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Texte à méditer :  Aucune philosophie n'a jamais pu mettre fin à la philosophie et pourtant c'est là le voeu secret de toute philosophie.   Georges Gusdorf
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Hors des sentiers battus
Que peut-on connaître de la nature ?

  "Car enfin qu'est‑ce que l'homme dans la nature ? Un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant, un milieu entre rien et tout, infiniment éloigné de comprendre les extrêmes, la fin des choses et leur principe sont pour lui invinciblement cachés dans un secret impénétrable, également incapable de voir le néant d'où il est tiré et l'infini, où il est englouti. 
  Que fera‑t‑il donc sinon d'apercevoir [quelque] apparence du milieu des choses, dans un désespoir éternel de connaître ni leur principe ni leur fin ? Toutes choses sont sorties du néant et portées jusqu'à l'infini. Qui suivra ces étonnantes démarches ? L'auteur de ces merveilles les comprend. Tout autre ne le peut faire.

   Manque d'avoir contemplé ces infinis, les hommes se sont portés témérairement à la recherche de la nature comme s'ils avaient quelque proportion avec elle.
  C'est une chose étrange qu'ils ont voulu comprendre les principes des choses et de là arriver jusqu'à connaître tout, par une présomption aussi infinie que leur objet. Car il est sans doute qu'on ne peut former ce dessein sans une présomption ou sans une capacité infinie, comme la nature.
  Quand on est instruit, on comprend que, la nature ayant gravé son image et celle de son auteur dans toutes choses, elles tiennent presque toutes de sa double infinité. C'est ainsi que nous voyons que toutes les sciences sont infinies en l'étendue de leurs recherches, car qui doute que la géométrie, par exemple, a une infinité d'infinités de propositions à exposer ? Elles sont aussi infinies dans la multitude et la délicatesse de leurs principes, car qui ne voit que ceux qu'on propose pour les derniers ne se soutiennent pas d'eux‑mêmes et qu'ils sont appuyés sur d'autres qui, en ayant d'autres pour appui, ne souffrent jamais de dernier ?
  Mais nous faisons des derniers qui paraissent à la raison comme on fait dans les choses matérielles où nous appelons un point indivisible celui au‑delà duquel nos sens n'aperçoivent plus rien, quoique divisible infiniment et par sa nature.
  De ces deux infinis des sciences celui de grandeur est bien plus sensible, et c'est pourquoi il est arrivé à peu de personnes de prétendre à traiter toutes choses. Je vais parler de tout, disait Démocrite.
  Mais l'infinité en petitesse est bien moins visible. Les philosophes ont bien plutôt prétendu d'y arriver, et c'est là où tous ont achoppé. C'est ce qui a donné lieu à ces titres si ordinaires, Des principes des choses, Des principes de la philosophie, et aux semblables aussi fastueux en effet, quoique moins en apparence que cet autre qui crève les yeux : De omni scibili [De tout ce qui peut être connu].
On se croit naturellement bien plus capable d'arriver au centre des choses que d'embrasser leur circonférence. L'étendue visible du monde nous surpasse visiblement. Mais comme c'est nous qui surpassons les petites choses, nous nous croyons plus capables de les posséder. Et cependant il ne faut pas moins de capacité pour aller jusqu'au néant que jusqu'au tout. Il la faut infinie pour l'un et l'autre. Et il me semble que qui aurait compris les derniers principes des choses, pourrait aussi arriver jusqu'à connaître l'infini. L'un dépend de l'autre, et l'un conduit à l'autre. Ces extrémités se touchent, et se réunissent à force de s'être éloignées, et se retrouvent en Dieu, et en Dieu seulement.
  Connaissons donc notre portée. Nous sommes quelque chose et ne sommes pas tout. Ce que nous avons d'être nous dérobe la connaissance des premiers principes qui naissent du néant, et le peu que nous avons d'être nous cache la vue de l'infini.
  Notre intelligence tient dans l'ordre des choses intelligibles le même rang que notre corps dans l'étendue de la nature.
  Bornés en tout genre, cet état qui tient le milieu entre deux extrêmes se trouve en toutes nos puissances. Nos sens n'aperçoivent rien d'extrême. Trop de bruit nous assourdit, trop de lumière éblouit, trop de distance et trop de proximité empêche la vue. Trop de longueur et trop de brièveté de discours l'obscurcit, trop de vérité nous étonne. J'en sais qui ne peuvent comprendre que qui de zéro ôte quatre reste zéro. Les premiers principes ont trop d'évidence pour nous. Trop de plaisir incommode, trop de consonances déplaisent dans la musique et trop de bienfaits irritent. Nous voulons avoir de quoi surpayer la dette. Beneficia eo usque laeta sunt dum videntur exsolvi posse ; ubi multum antevenere pro gratia odium redditur[1]. Nous ne sentons ni l'extrême chaud, ni l'extrême froid, les qualités excessives nous sont ennemies et non pas sensibles, nous ne les sentons plus, nous les souffrons. Trop de jeunesse et trop de vieillesse empêche l'esprit, trop et trop peu d'instruction.
  Enfin les choses extrêmes sont pour nous comme si elles n'étaient point, et nous ne sommes point à leur égard, elles nous échappent ou nous à elles.
  Voilà notre état véritable. C'est ce qui nous rend incapables de savoir certainement et d'ignorer absolument. Nous voguons sur un milieu vaste, toujours incertains et flottants, poussés d'un bout vers l'autre."

 

Pascal, Pensées, 1670, Brunschvicg 72, Lafuma 199, Sellier 230.


[1] "Les bienfaits sont agréables tant qu'on sait pouvoir s'acquitter ; mais s'ils dépassent de beaucoup cette limite, au lieu de gratitude nous les payons de haine." (Tacite, Annales, IV, 18).



  "Nous avons conscience de la nature comme étant une interaction de corps, de couleurs, de sons, d'odeurs, de goûts, de touchers et d'autres sensations corporelles diverses, déployés dans l'espace, à travers des schèmes de séparation mutuelle dans lesquels interviennent des volumes d'aspect individuel. De plus, tout l'ensemble est un flux, qui change avec le passage du temps. Cette totalité systématique nous est dévoilée comme un seul complexe de choses. Mais le dualisme du XVIIème siècle fait une découpe nette à travers ce complexe. Le monde objectif fût confiné au seul matériau spatial ayant une localisation simple dans l'espace et le temps, et soumis à des règles définies relatives à sa locomotion. Le monde subjectif de la philosophie annexa les couleurs, les sons, les odeurs, les goûts, les touchers, les sensations corporelles, en tant que formant le contenu subjectif des cogitations d'esprits individuels. Les deux mondes participent au flux général ; mais le temps, tel que nous le mesurons, fût assigné par Descartes aux cogitations de l'esprit de l'observateur. Il y a, à l'évidence, une faiblesse fatale dans ce schéma. Les cogitations de l'esprit se présentent comme tenant devant l'esprit des entités, telles que les couleurs par exemple, qui sont comme les termes de la contemplation. Mais, dans cette théorie, ces couleurs ne sont, après tout, que les contenus qui meublent l'esprit. Par conséquent, l'esprit semble être confiné à son propre monde, sa sphère privée, de cogitations. […] Par suite, la question de savoir comment on obtient une connaissance du monde vraiment objectif de la science devint un problème de première importance."

 

Alfred North Whitehead, La Science et le monde moderne, trad. fr. Paul Coururiau, Paris, Editions du Rocher, 1994, p. 172-173.

 

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Date de création : 21/12/2015 @ 09:21
Dernière modification : 03/03/2016 @ 15:29
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