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Texte à méditer :  Il n'est pas contraire à la raison de préférer la destruction du monde à une égratignure de mon doigt.  David Hume
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Hors des sentiers battus
L'écologisme

  "L'irruption du mouvement écologiste sur la scène politique en France a produit un effet de mode qui a recouvert sa pensée profonde pour ne montrer que ses propos superficiels.  Défense de la nature, qualité de la vie, protection de l'environnement, ces concepts récents ne forment que l'emballage de la réalité écologiste. Celle-ci présente de multiples facettes qu'il faut faire tourner toutes à la fois dans un même éclairage pour en comprendre la cohérence. Une discipline scientifique, une théorie critique de l'économie, une analyse de la société industrielle, des esquisses de proportions politiques, une sensibilité morale, un mouvement social, une certaine joie de vivre, et même le plaisir de contempler une jolie fleur et un petit oiseau ... tel est le puzzle écologiste.
  Pour démêler cet écheveau de définitions, il faut suivre au préalable la courte histoire du mot « écologie ». Il fut forgé vers 1866 par un biologiste allemand, Ernst Haeckel, qui fusionna deux racines grecques : oïkos (la maison) et logos (le discours). Étymologiquement « science de l'habitat », l'écologie est donc une branche de la biologie qui étudie le interactions entre les êtres vivants et leur environnement.

  Rien ne prédisposait cette nouvelle discipline à un avenir social. Qui aurait imaginé qu'il puisse y avoir par exemple un mouvement biologiste ou des militants psychologiques ? L'idéologie fut pourtant le sort de l'écologie. La science n'en a pas été dénaturée pour autant, c'eût été un comble pour une science de la nature. Mais elle a contribué à la formation d'un courant de pensée et d'un mouvement sociopolitique.
  En étudiant les équilibres naturels, l'écologie s'est aperçue de leur dégradation croissante. Depuis quelques décennies, le développement des sociétés industrielles a modifié profondément l'environnement planétaire. Pollutions, disparitions d'espèces, épuisement des ressources, famines dan le Tiers Monde, mal de vivre dans les sociétés occidentales, ce furent pour les écologistes scientifiques autant de symptômes d'une crise écologique.
  L'écologie a rappelé l'évidence : l'homme ne peut agir indéfiniment sur son milieu sans en subir le conséquences à plus ou moins long terme. Bon gré, mal gré, l'espèce humaine fait partie de la nature, elle ne peut s'y soustraire. Et, aux yeux des naturalistes, l'homme est en train de scier la branche sur laquelle il est assis.
  Ainsi, au-delà de la biologie, est née la notion de protection de la nature. Puis cette conscience écologique s'est affinée, les sciences biologiques ont appelé les sciences humaines: l'ethnologie a dénoncé la « décivilisation » perpétrée par les Occidentaux contre les ethnies et les cultures minoritaires; la démographie s'est trouvée confrontée à la croissance mondiale galopante et aux surpopulations; la sociologie s'en est mêlée, jugeant la société « contre nature» et l'homme occidental « domestiqué» ; les mots nature, sciences, techniques ont réveillé la philosophie qui a nourri ses vieux débats de ces nouveaux constats.
  Ce bouillon de culture a envahi l'économie et la politique, ces deux domaines clefs de la société industrielle où l'on a cherché les causes de la crise écologique. Une écologie politique a interpellé l'économie politique; et parallèlement, dans le tissu social, un nouveau courant de pensée et d'action qui s'est appuyé sur ces analyses a vue le jour dans les années 1970 : ce seront les écologistes. L'appellation est ambiguë puisqu'elle ne désigne plus cette fois des scientifiques, mais bel et bien des militants qui n'hésitent pas à intervenir dans le champ politique."

 

Dominique Simonnet, L'écologisme, 1982, PUF, Que-sais-je ?, p. 3-5.



  "1) Le bien-être et l'épanouissement de la vie humaine et non humaine sur la terre sont des valeurs en soi (synonymes : valeurs intrinsèques, valeurs inhérentes). Ces valeurs sont indépendantes de l'utilité du monde non-humain pour les besoins de l'homme.
  2) La richesse et la diversité des formes de vie contribuent à la réalisation de ces valeurs et sont par conséquent aussi des valeurs en soi.

  3) Les humains n'ont aucun droit à réduire cette richesse et cette diversité, si ce n'est pour satisfaire des besoins vitaux.
  4) L'épanouissement de la vie et de la culture humaines est compatible avec une diminution subs­tantielle de la population humaine. L'épanouisse­ment de la vie non humaine requiert une telle diminution.
  5) L'intervention humaine dans le monde non humain est actuellement excessive et la situation se dégrade rapidement.
  6) Il faut donc changer nos orientations politi­ques de façon drastique sur le plan des structures économiques, technologiques et idéologiques. Le résultat de l'opération sera profondément différent de l'état actuel.
  7) Le changement idéologique consiste principa­lement dans le fait de valoriser la qualité de la vie (d'habiter dans des situations de valeur intrinsè­ques) plutôt que de viser sans cesse un niveau de vie plus élevé. Il faudra qu'il y ait une prise de conscience profonde de la différence entre gros (big) et grand (great).

  8) Ceux qui souscrivent aux points qu'on vient d'énoncer ont une obligation directe ou indirecte à travailler à ces changements nécessaires."

 

Arne Naess, The deep ecological movement : some philosophical aspects, 1986, Philosophical Inquiry, vol. VIII, n° 1-2, p. 14.



  "D'une manière générale, on peut observer que partout où les débats théoriques sur l'écologie ont pris forme philosophique cohérente, ils se sont structurés en trois courants bien distincts, voire tout à fait opposés dans leurs principes mêmes quant à la question directrice des rapports de l'homme et de la nature.
  Le premier, sans doute le plus banal, mais aussi le moins dogmatique, parce que le moins doctrinaire, part de l'idée qu'à travers la nature, c'est encore et toujours l'homme qu'il s'agit de protéger, fût-ce de lui-même, lorsqu'il joue les apprentis sorciers. L'environnement n'est pas doté ici d'une valeur intrinsèque. Simplement, la conscience s'est fait jour qu'à détruire le milieu qui l'entoure, l'homme risque bel et bien de mettre sa propre existence en danger et, à tout le moins, de se priver des conditions d'une vie bonne sur cette terre. C'est dès lors à partir d'une position qu'on peut dire « humaniste », voire anthropocentriste, que la nature est prise, sur un mode seulement indirect, en considération. Elle n'est que ce qui environne l'être humain, la périphérie, donc, et non le centre. À ce titre, elle ne saurait être considérée comme un sujet de droit, comme une entité possédant une valeur absolue en elle-même.

  La seconde figure franchit un pas dans l'attribution d'une signification morale à certains êtres non humains. Elle consiste à prendre au sérieux le principe « utilitariste », selon lequel il faut non seulement rechercher l'intérêt propre des hommes, mais de manière plus générale tendre à diminuer au maximum la somme des souffrances dans le monde ainsi qu'à augmenter autant que faire se peut la quantité de bien-être. Dans cette perspective, très présente dans le monde anglo-saxon où elle fonde l'immense mouvement dit de « libération animale », tous les êtres susceptibles de plaisir et de peine doivent être tenus pour des sujets de droit et traités comme tels. À cet égard, le point de vue de l'anthropocentrisme se trouve déjà battu en brèche, puisque les animaux sont désormais inclus, au même titre que les hommes, dans la sphère des préoccupations morales.
  La troisième forme est celle que nous avons déjà vue à l’œuvre dans la revendication d'un droit des arbres, c'est-à-dire de la nature comme telle, y compris sous ses formes végétale et minérale. […] L'ancien « contrat social » des penseurs politiques est censé faire place à un « contrat naturel » au sein duquel l'univers tout entier deviendrait sujet de droit : ce n'est plus l'homme, considéré comme centre du monde, qu'il faut au premier chef protéger de lui-même, mais bien le cosmos comme tel, qu'on doit défendre contre les hommes. L'écosystème - la « biosphère » - est dès lors investi d'une valeur intrinsèque bien supérieure à celle de cette espèce, somme toute plutôt nuisible, qu'est l'espèce humaine.
  Selon une terminologie désormais classique dans les universités américaines, il faut opposer l'« écologie profonde » (deep ecology), « écocentrique » ou « biocentrique », à l’« écologie superficielle » (shallow ecology) ou « environnementaliste » qui se fonde sur l’ancien anthropocentrisme."

 

Luc Ferry, Le Nouvel ordre écologique, 1992, Grasset, p. 30-33.
 


 

  "La politique a une rationalité propre, n'est ni celle de écologie, ni celle de la physique nucléaire. L'homme politique, quoi qu'on en puisse penser à voir l'attitude de la plupart de ceux qui nous gouvernent (ou nous ont gouvernés), n'est ni un ingénieur qui appliquerait un savoir, ni un pédagogue qui ferait comprendre aux citoyens où sont leurs véritables intérêts. Sans doute, dans une démocratie représentative, le gouvernement mène-t-il une politique au nom de la nation, ou du peuple : il peut donc l'impression que sa tâche est d'appliquer la seule politique admise, à la façon dont on applique un modèle scientifique ou dont on enseigne une doctrine. Mais ce serait oublier qu'une démocratie représentative se caractérise par compétition ouverte pour le pouvoir, qui permet aux électeurs de choisir entre une pluralité de programmes concurrents, publiquement présentés et argumentés. Une autre caractéristique des démocraties représentatives est l'indépendance de l'opinion publique par rapport au gouvernement. C'est dire que les démocraties représentatives sont bâties sur la rationalité politique du débat, non sur l'autorité du vrai. La décision politique, tâche du gouvernant, a aussi sa rationalité propre. Il faut tenir compte des contraintes de la situa­tion, prendre en considération la diversité des points de vue, distinguer le possible du souhaitable, chercher à dégager des compromis entre les systèmes de légitimation. Mettant en œuvre des procédures de décision, aussi informées que possi­bles (d'où l'importance de l'expertise), le gouvernant ne peut ignorer que ce sera à lui de décider et qu'il portera la responsabilité des décisions (ou des absences de décisions) prises.
  Si les connaissances scientifiques peuvent éclairer la décision politique en dégageant ses multiples enjeux, il ne faut pas en induire qu'une science puisse déterminer, dans toute circonstance, le bon choix. On sait le désastre que fut, dans s pays communistes, l'arrimage de la politique à une théo­rie prétendument scientifique. On commencé à découvrir ceux de la subordination de la politique aux théories éco­nomiques libérales. Quels que soient les mérites de l'écolo­gie, en tant que discipline scientifique, on a tout à parier que son arrimage à la politique aurait des effets aussi per­nicieux, tant pour les sociétés que pour leur environnement.
  La prétention d'élaborer une écologie politique est, de surc­roît, excessive. L'écologie contemporaine est loin de don­ner une vision d'ensemble cohérente des rapports qu'entre­tiennent les sociétés à la nature. Elle cherche certes à la construire, dans la déconstruction du paradigme odumien[1]. Mais elle est loin de parvenir à l'élaboration d'une nouvelle synthèse. Comment pourrait-elle prétendre fournir, en outre, une vision d'ensemble d'un monde où s'interpénètrent le naturel et le social ?

  Que la nature soit objet de responsabilité politique ne signifie donc nullement qu'il puisse exister une politique écocentrée (comme il peut exister […] une éthique écocentrée). La politique, affaire de la cité, est nécessairement sociocentrée, prendrait-elle en charge la protection de la nature et la pré­vention des risques écologiques."

 

Catherine et Raphaël Larrère, Du bon usage de la nature. Pour une philosophie de l'environnement, 1997, Champs essais, 2009, p. 297-298.


[1] Eugène Pleasants Odum (1913-2002), est un écologue américain, souvent considéré comme le "père de l'écologie moderne" et auteur du premier traité d'écologie, les Fondamentaux de l'écologie (1953) qui proclament l'écologie des écosystèmes comme science à part entière. Affirmant la nécessité d'une prise de conscience citoyenne en faveur de l'environnement, il contribue à donner une assise scientifique aux mouvements écologistes émergents.
 

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Date de création : 13/01/2016 @ 14:45
Dernière modification : 09/03/2016 @ 15:50
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