"Par écologie nous entendons la science des rapports organismes avec le monde extérieur, dans lequel nous pouvons reconnaître d'une façon plus large les facteurs de la « lutte pour l'existence ». Ceux-ci sont en partie de nature inorganique ; ils sont, nous l'avons vu, de la plus grande importance pour la forme des organismes qu'ils contraignent à s'adapter. Parmi les conditions d'existence de nature inorganique auxquelles chaque organisme doit se soumettre appartiennent en premier lieu les caractéristiques physiques et chimiques de l'habitat, le climat (lumière, température, humidité et électrisation de l'atmosphère), les caractéristiques chimiques (aliments non organiques), la qualité de l'eau, la nature du sol, etc. Sous le nom de conditions d'existence, nous comprenons l'ensemble des relations des organismes les uns avec les autres, relations soit favorables soit défavorables. Chaque organisme a parmi les autres organismes des amis et des ennemis [...]. Les organismes qui servent aux autres de nourriture, ou qui vivent à leurs dépens comme parasites doivent aussi être placés dans la catégorie des conditions d'existence."
Ernst Haeckel, Generelle Morphologie der Organismen, 1866, Volume 2, chapitre XI, p. 286, , tr. fr. Roger Dajoz.
"Prenons comme exemple un chêne habité par de nombreux animaux et appelé de ce fait à jouer un rôle différent dans chaque milieu. Comme d'autre part le chêne entre aussi dans divers milieux humains, je commencerai par ces derniers.
Dans le milieu tout à fait rationnel du vieux forestier, dont la tâche est de sélectionner les troncs qu'il convient d'abattre, le chêne destiné à la hache ne sera rien d'autre qu'un certain nombre de stères que l'homme cherchera à évaluer avec le plus de précision possible. Il ne prêtera guère d'attention au visage humain que peuvent dessiner les rides de l'écorce. Celles-ci, au contraire, joueront un rôle dans le milieu magique d'une fillette pour qui la forêt est encore pleine de gnomes et de lutins. La petite fille s'enfuira terrifiée devant un chêne qui la regarde méchamment. Pour elle l'arbre tout entier pourra se muer en esprit malfaisant. […]
Pour le renard qui a construit sa tanière entre les racines de l'arbre, le chêne s'est transformé, en un toit solide qui le protège, lui et sa famille, des intempéries. Il ne possède ni la connotation « mise en coupe » qu'il a dans le milieu du forestier, ni la connotation « danger » qu'il reçoit dans le milieu de la fillette, mais uniquement la connotation « protection ». Sa configuration ne joue aucun rôle dans le milieu du renard.
De même, c'est la connotation « protection » que le chêne prendra dans le milieu de la chouette. Toutefois, ce ne seront plus les racines, totalement étrangères au milieu de l'oiseau, mais les branches qui se trouveront connotées comme protectrices.
Pour l'écureuil, le chêne, avec sa nombreuse ramure offrant des tremplins commodes, sera affecté de la connotation « grimper » et pour les oiseaux qui bâtissent leurs nids dans les branches élevées il acquerra l'indispensable connotation de « soutien ».
Conformément aux diverses connotations d'activité, les images perceptives des nombreux habitants du chêne seront structurées de manière différente. Chaque milieu découpera une certaine région du chêne, dont les particularités seront propres à devenir porteuses aussi bien des caractères perceptifs que des caractères actifs de leurs cercles fonctionnels. Dans le milieu de la fourmi, le chêne disparaîtra comme totalité au profit de son écorce crevassée, dont les trous et les dépressions constituent le terrain de chasse de l'insecte.
La bostryche cherchera sa nourriture sous l'écorce du chêne après l'avoir détachée. C'est là qu'elle déposera ses œufs. Ses larves creuseront leur tunnel sous l'écorce et s'y nourriront à l'abri des dangers extérieurs.
Dans les cent milieux qu'il offre à ses habitants, le chêne joue de multiples rôles, chaque fois avec une autre de ses parties. La même partie est tantôt grande, tantôt petite. Son bois, tantôt dur, tantôt mou, sert à la protection aussi bien qu'à l'agression.
Si l'on voulait rassembler tous les caractères contradictoires que présente le chêne en tant qu'objet, on n'aboutirait qu'à un chaos. Et pourtant ces caractères ne font partie que d'un seul sujet, en lui-même solidement structuré, qui porte et renferme tous les milieux sans être reconnu ni jamais pouvoir l'être par tous les sujets de ces milieux. Mais elles ne connaîtront pas pour autant une parfaite sécurité. En effet, le pivert qui attaque l'écorce à grands coups de bec n'est pas le seul animal qui les menace : ce bois, dur dans tous les autres milieux, l'ichneumon le traverse comme du beurre avec sa fine tarière. Il pourra anéantir les larves du bostryche en y pondant ses œufs, lesquels donneront naissance à des larves qui se nourriront de leurs victimes.
Dans les cent milieux qu'il offre à ses habitants, le chêne joue de multiples rôles, chaque fois avec une autre de ses parties. La même partie est tantôt grande, tantôt petite. Son bois, tantôt dur, tantôt mou, sert à la protection aussi bien qu'à l'agression.
Si l'on voulait rassembler tous les caractères contradictoires que présente le chêne en tant qu'objet, on n'aboutirait qu'à un chaos. Et pourtant, ces caractères ne font partie que d'un seul sujet, en lui-même solidement structuré, qui porte et renferme tous les milieux sans être reconnu ni jamais pouvoir l'être par tous les sujets de ces milieux.
Conclusion
Ce que nous avons observé en petit dans le cas du chêne se produit en grand dans l'arbre de vie de la nature.
Parmi les millions de milieux qui nous déroutent par leur multitude, nous ne considérerons que ceux des hommes qui se vouent à l'étude de la nature, les milieux des hommes de science.
Dans le milieu de l'astronome, l'être humain a troqué ses yeux contre un gigantesque instrument optique, si bien qu ils sont capable de pénétrer l'espace jusqu aux plus lointaines étoiles. Dans ce milieu, soleils et planètes gravitent majestueusement. La rapide lumière a besoin de millions d'années-lumière pour y pénétrer.
Et cependant le milieu entier n'est qu'une infime partie la nature, découpée selon les facultés d'un sujet humain.
On peut, avec quelques modifications, utiliser l'imago de l'astronome pour se faire une idée du milieu de l'explorateur sous-marin. Autour de son observatoire ne gravitent plus des constellations, mais les formes fantastiques des poissons des profondeurs avec leurs gueules terribles, leurs longues antennes et les rayons de leurs organes lumineux. Là encore nous voyons un monde qui ne représente qu'une faible partie de la nature.
Le milieu du chimiste, qui, se servant des éléments comme d'un alphabet de quatre-vingt-douze lettres, s'efforce de déchiffrer et de décrire les relations mystérieuses des corps naturels, échappe à une représentation figurée. On parvient mieux à représenter le milieu de l'atomiste, autour duquel gravitent les électrons, comme les constellations autour de l'astronome. Ici ne règne pas le calme de la nature, mais un mouvement furieux de particules que le physicien bombarde avec d'infimes projectiles afin de produire des désintégrations.
Un autre physicien, examinant les ondes d'éther dans son milieu, recourt à d'autres instruments qui lui fournissent une image de ces ondes. Il constate que les ondes lumineuses qui frappent nos yeux s'associent à d'autres ondes, sans présenter la moindre différence de nature. Ce sont des ondes et rien de plus.
Les ondes lumineuses jouent un rôle tout différent dans le milieu du physiologiste qui étudie les sens. Chez lui, elles deviennent des couleurs ayant leurs lois propres. Le rouge et le vert s'unissent dans le blanc, et les ombres projetées sur un écran jaune deviennent bleues. Phénomènes déroutants au niveau des ondes, et cependant les couleurs sont aussi réelles que les ondes.
On observe la même opposition entre le milieu d'un spécialiste des ondes et celui d'un musicologue. Dans l'un il n'y a que des ondes, dans l'autre il n'y a que des sons. Mais les deux phénomènes sont aussi réels l'un que l'autre.
Il en est ainsi dans chaque domaine. Dans le milieu de la nature chez le behavioriste, le corps produit l'esprit ; dans le monde du psychologue, l'esprit édifie le corps.
Le rôle que joue la nature en tant qu'objet dans les différents milieux est éminemment contradictoire. Si l'on voulait rassembler ses caractères objectifs, on serait devant un chaos. Et cependant tous ces milieux sont portés et conservés par la totalité qui transcende chaque milieu particulier. Derrière tous les mondes auxquels il donne naissance, se cache, éternellement présent, le sujet : la nature."
Jacob von Uexküll, Mondes animaux et monde humain, 1934, tr. fr. Philippe Muller, Denoël, 1984, p. 86-90.
''Au concept des niveaux d'organisation s'ajoute un très important corollaire, celui du principe des niveaux d'intégration, également connu sous le nom de principe de contrôle hiérarchique. Dans sa forme la plus simple, ce principe s'énonce comme suit : lorsque des composants se combinent pour produire des entités plus grandes et plus fonctionnelles dans une série hiérarchique, de nouvelles propriétés émergent. Ainsi, lorsque nous passons des systèmes organismiques à des systèmes de population et éventuellement à des écosystèmes, nous voyons se développer de nouvelles caractéristiques qui n'existaient pas ou du moins qui n'apparaissaient pas au niveau inférieur. Le principe des niveaux d'intégration est en fait une formulation plus formelle de ce vieil adage selon lequel « le tout est plus que la somme des parties », ou encore, « une forêt est plus qu un simple rassemblement d'arbres ». Quoique les philosophes chinois et grecs, à leur époque, comprissent déjà bien ce truisme, la tendance actuelle est d'en faire peu de cas dans la spécialisation de la science et de la technologie modernes. Cette spécialisation met l'accent sur l'étude précise et détaillée d'unités de plus en plus petites sous prétexte que c'est la seule façon de traiter ces sujets complexes. En réalité, s'il est vrai que les découvertes, à quelque niveau que ce soit, contribuent à l'étude d'un autre niveau, elles ne réussissent jamais à expliquer totalement les phénomènes qui se produisent à cet autre niveau. Ainsi, non seulement devons-nous avoir des connaissances sur les arbres pour comprendre et aménager adéquatement une forêt, mais encore devons-nous étudier cette forêt en tant qu'écosystème.
Nous nous rendons compte quotidiennement de cette difficulté de percevoir à la fois les parties et l'ensemble. Lorsqu'un individu aborde les choses avec une étroitesse de vue, nous disons que « les arbres lui cachent la forêt ». Il est donc possible que dans un avenir rapproché le rôle primordial des écologistes soit de promouvoir l'approche globale pour contrebalancer l'approche « réductionniste », maintenant bien ancrée dans la méthodologie scientifique.
L'analogie suivante permettra peut-être d'éclairer le concept de niveau d'intégration. Lorsque deux atomes d'hydrogène se combinent à un atome d'oxygène selon rune configuration moléculaire précise nous obtenons de l'eau (H2O ou HOH), un composé possédant de nouvelles propriétés, complètement différentes de celles de ses constituants. Or, l'étude séparée de l'hydrogène et de l'oxygène, si approfondie soit-elle, ne nous permettrait certainement jamais de bien comprendre l'eau, à moins que nous n'étudions aussi l'eau elle-même.
L'eau est donc un exemple d'un composé dans lequel les parties composantes sont si complètement et si intimement liées ou « intégrées » que les propriétés de ces parties sont presque totalement remplacées par les propriétés, complètement différentes, du tout. Il y a cependant d'autres composés chimiques dont les constituants se dissocient partiellement ou s'ionisent de telle sorte que les propriétés des parties ne sont pas complètement submergées. Ainsi, lorsque l'hydrogène se combine au chlore pour former du chlorure d'hydrogène, le composant hydrogène s'ionise beaucoup plus que dans la molécule d'eau, de telle sorte que les propriétés de l'ion hydrogène ressortent dans les propriétés acides du composé. Ainsi en est-il des écosystèmes. Certains d'entre eux sont si bien organisés ou intégrés que le comportement des vivants qui les composent se modifie considérablement lorsqu'ils doivent fonctionner ensemble dans de plus grandes unités. Dans d'autres écosystèmes, le lien qui rattache les composants biotiques est plus lâche, et ceux-ci s'y comportent comme des entités semi-indépendantes. Dans le premier cas, il est nécessaire d'étudier le tout aussi bien que les principales parties pour comprendre l'ensemble ; dans le deuxième cas, il est plus facile de comprendre le tout en isolant et en étudiant les parties selon la méthode réductionniste traditionnelle. D'une manière générale, les systèmes biotiques qui évoluent sous l'influence d'un stress physique irrégulier, comme dans un désert aux pluies incertaines, ne sont dominés que par quelques espèces, alors que ceux qui évoluent dans des environnements plus favorables, comme les régions tropicales humides, tendent à contenir plusieurs espèces, les populations et les nutriments y manifestant un degré très élevé de symbiose et d'interdépendance.
Ces cas où des insectes deviennent un fléau après avoir été déplacés de leurs écosystèmes naturels illustrent d'une manière frappante l'effet qu'une différence d'intégration des systèmes peut avoir sur le comportement des espèces qui les composent. La plupart des insectes nuisibles à l'agriculture s'avèrent être des espèces qui ont un comportement relativement inoffensif dans leur habitat naturel mais qui deviennent incommodantes lorsqu'elles envahissent une nouvelle région ou un nouveau système agricole, ou lorsqu'elles y sont introduites par inadvertance. Ainsi, plusieurs des espèces nuisibles à l'agriculture américaine viennent d'autres continents (et vice versa), comme par exemple, la mouche à fruits méditerranéenne Ceratitis capitata, le coléoptère japonais mangeur de feuilles Popilla japonica, le parasite européen du maïs Pyrausta nubilalis et bien d'autres. Dans leur habitat originel, ces espèces fonctionnaient en tant que parties d'écosystèmes bien réglés dans lesquels les augmentations excessives du taux de reproduction et du taux d'alimentation sont contrôlées ; lorsque, dans de nouvelles situations, de tels contrôles sont absents, les populations sont susceptibles de se comporter comme un cancer qui peut détruire tout le système avant même que des contrôles puissent s'y établir. Comme nous le soulignerons [...], le coût croissant de l'utilisation de contrôles chimiques artificiels pour remplacer les contrôles naturels rompus est une des rançons que nous devons payer pour obtenir un rendement agricole élevé.
Il est évident que certains attributs deviennent plus complexes et plus variables au fur et à mesure que nous passons d'unités naturelles petites à de plus grandes unités, mais on oublie souvent que les taux de fonctionnement peuvent devenir, eux, moins variables. Par exemple, le taux de photosynthèse de toute une forêt ou de l'ensemble d'un champ de maïs peut être moins variable que celui de chacun des arbres ou de chaque plant de maïs présent à l'intérieur de ces communautés, puisque, si un individu ou une espèce ralentit son activité, un autre peut compenser ce ralentissement en augmentant la sienne. Des mécanismes homéostatiques, c'est-à-dire des vérifications et des régulations (ou des forces et des contreforces) qui amortissent les oscillations, sont en opération tout le long de cette lignée hiérarchique. Nous sommes tous plus ou moins familiers avec la notion d'homéostasie appliquée à l'organisme individuel, à savoir, par exemple, tous ces mécanismes qui, chez l'homme, contribuent à maintenir une température corporelle constante malgré les fluctuations de température de son environnement. Des mécanismes régulateurs sont également en opération aux niveaux de la population, de la communauté et de l'écosystème. Par exemple, on prend pour acquis que le taux de CO2 de l'air demeure constant, sans nous rendre compte peut-être que c'est l'intégration homéostatique des organismes et de l'environnement qui permet une telle stabilité malgré les continuelles entrées et sorties d'importants volumes de gaz dans l'atmosphère. Nous verrons [...] que l'utilisation massive des combustibles par l'homme est susceptible de surtaxer la capacité compensatrice de la nature.
Les phénomènes d'intégration fonctionnelle et d'homéostasie impliquent que nous pouvons aborder l'étude de l'écologie à l'un ou l'autre des différents niveaux sans avoir à connaître nécessairement tout ce qui se rapporte aux niveaux adjacents. Le principal défi consiste à trouver quelles sont les propriétés uniques du niveau sélectionné et à imaginer par la suite les méthodes de travail appropriées.
Eugene Pleasants Odum, Écologie : un lien entre les sciences naturelles et les sciences humaines, 1975, tr. fr. Raymond Bergeron.
"L'ÉCOLOGIE DANS LE CHAMP DES SCIENCES DE LA NATURE
Définie comme l'étude des relations des organismes avec leur environnement, ou bien comme l'étude des interactions qui déterminent la distribution et l'abondance des organismes, ou encore comme l'étude des écosystème, l'écologie couvre un large champ, de la physiologie à la biogéographie. Sous cet angle, c'est une sorte de biologie générale des organismes, une approche naturaliste du monde vivant. Histoire naturelle, l'écologie l'est par ses origines et le reste par ses objectifs. Mais il s'agit aujourd'hui d'une Histoire naturelle profondément renouvelée, structurée par l'intégration et le développement des concept et méthodes issus de la théorie des systèmes, d'une part, et fécondée par l'assimilation des progrès de la théorie de l'évolution, d'autre part.
Le statut scientifique de l'écologie est aujourd'hui assez bien établi au-delà des définitions classiques énoncées ci-dessus. Plusieurs ouvrages en retracent l'histoire, en soulignent l'origine plurielle, sans en remettre en cause l'enracinement parmi les sciences de la nature. Mais il est néanmoins clair que, plus qu'une autre, elle touche aussi – indirectement – à l'homme et au social.
Je voudrai souligner ici ce que l'on peut considérer comme la structure épistémologique de l'écologie moderne.
Comme toute science, l'écologie doit être caractérisée par les techniques et méthodes qu'elle emploie et par les grands types de mécanismes ou de phénomènes auxquels elle donne accès (fig. 1). En simplifiant on peut dire que, au-delà du polymorphisme qui fait sa richesse et de sa large ouverture sur d'autres disciplines, l'écologie moderne se structure autour de deux axes fondamentaux qui s'incarnent l'un dans l'étude de la dynamique et du fonctionnement des populations et des peuplements et l'autre dans celle de la dynamique et du fonctionnement des écosystèmes et des paysages – champs qui se chevauchent d'ailleurs largement.
Dans le cadre du premier champ, celui de l'écologie populationnelle, on s'intéresse à des objets qui sont des populations - animales, végétales ou microbiennes - à leur dynamique et à leurs interactions. Taux de mortalité, taux de fécondité, effectifs par unité de surface ou de volume, régulation dépendante de la densité, structure sociale, structure génétique, traits physiologiques, comportements, relations de compétition ou de prédation, mutualisme – voilà autant de processus ou d'interactions biodémographiques dont l'analyse demande une solide formation spécialisée. Notons au passage que le concept de population apparemment banal pour l'espèce sociale que nous sommes, nous oblige à un saut épistémologique que les naturalistes n'ont accompli que très tardivement – quand ils l'ont fait !
Dans le second champ majeur représenté à droite dans le schéma de la figure l, celui de l'écologie écosystémique, les objets de recherche, écosystèmes et paysage, ne sont plus exclusivement biologiques. On s'intéresse aux cycles de la matière et aux flux d'énergie qui les structurent : processus et mécanismes de décomposition, de production, de transferts, de recyclage – on parle de cycles biogéochimiques car leur moteur est biologique, constitué par les populations évoquées précédemment. C'est bien souligner que nous avons là deux axes de structuration de l'écologie, deux champs de force, mais certainement pas deux écologies étrangères l'une à l'autre.
L'écologie, science de la nature, ai-je souligné en titre. On a beaucoup dit qu'elle avait failli en excluant l'homme de son champ de vision, en se détournant même des espaces qu'il fréquente, des systèmes qu'il gère ou transforme. Il est bien vrai que nombre de naturalistes ont parfois péché en aimant leurs espèces de prédilection davantage que leur prochain. Il est bien vrai que la science écologique a largement privilégié une nature sans hommes (l'homme apportant « l'artificiel » dans une nature que l'écologie voulait « naturelle »).
Il est toutefois utile et juste de préciser que :
(1) ici ou là, dès ses premiers développements significatifs à la fin du XIXe siècle et au début du XXe a percé une préoccupation de type social (si Pearl, Lokta, Volterra se sont penchés sur les lois de croissance des populations animales c'est. en partie au moins, dans le contexte de réflexions démographiques et économiques marquées par l'Essai sur le Principe de Population de Thomas Malthus, 1798) – et souvenons-nous que l'essai sur la biosphère de Wladimir Vernadsky, qui souligne l'omniprésence de l'homme dans le fonctionnement de la biosphère, date de 1925 ;
(2) avec de plus en plus de force depuis les années soixante, l'écologie s'affirme comme une discipline nouvelle, marquée par le néodarwinisme et une pensée systémique qui la distinguent du naturalisme des origines
(3) elle traverse au cours de cette décennie une mutation profonde, marquée par une capacité d'autocritique qui traduit bien sa maturité.
Comme science appliquée, l'écologie développe et met en œuvre les connaissances théoriques et pratiques à partir desquelles devraient être posés, puis résolus, la plupart des problèmes liés à la sauvegarde, à l'aménagement ou à l'exploitation des écosystèmes et des ressources renouvelables de la biosphère. Elle est donc appelée à jouer. Dans les prochaines décennies, un rôle de plus en plus important, tant par sa contribution au développement de la biologie fondamentale que par ses applications, nécessaires à la solution rationnelle des problèmes posés par l'expansion de l'homme dans la biosphère."
Robert Barbault, Écologie générale, Structure et fonctionnement de la biosphère, 6e édition, 2008, Dunod, p. 1-3.
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