"Il s'en faut que l'évolution organique réalise partout l'harmonie superlative, la souveraine pertinence, et que tout soit pour le mieux dans la meilleure des natures possibles. Comme l'avait déjà noté le vieux Théophraste, il y a beaucoup de choses mal faites dans le règne vivant. On connaît des animaux à peine capables de manger et de se reproduire, des animaux aussi contrefaits qu'ils peuvent l'être dès lors qu'ils sont ; il y en a qui, ayant des yeux inutiles et cachés, témoignent en faveur de l'assertion lucrétienne que l'organe n'a pas été créé pour l'usage, mais l'usage par l'organe. Si, cessant de prôner béatement la nature, on s'enhardit à la chicaner, on s'avise qu'elle foisonne d'erreurs, de superfluités, de complications gratuites ou malfaisantes. Et combien de fois n'a-t-on pas dû conclure à l'inutilité, voire à la nocivité, de dispositifs organiques dont on avait d'abord fait honneur à l'astuce naturelle, comme Victor Cousin, naïf exégète de Pascal, criait au génie devant un faute d'impression !"
Jean Rostand, Pensées d'un biologiste, 1954, Stock, 1978, p. 80-81.
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