"La différence essentielle entre une machine et un outil réside dans le degré d’indépendance, au cours de l’opération, par rapport à l’habileté et l’énergie de l’opérateur : l’outil se prête à la manipulation, la machine à l’action automatique. Le degré de complexité importe peu. En utilisant l’outil, la main et l’oeil de l’homme accomplissent des actions compliquées qui égalent le fonctionnement d’une machine complexe. D’autre part, des machines très puissantes, telles que le marteau-pilon, exécutent des tâches élémentaires à l’aide d’un mécanisme relativement simple. La différence entre outils et machines réside d’abord dans le degré d’automatisme qu’ils ont atteint. L’ouvrier habile devient plus précis et plus automatique, en un mot plus mécanique, à mesure que des mouvements, volontaires à l’origine, se transforment en réflexes. Dans la machine la plus automatique, la participation consciente d’un agent humain intervient nécessairement à un moment donné, au commencement et à la fin de l’opération, d’abord pour la concevoir, ensuite pour en corriger les défauts et en effectuer les réparations.
D’ailleurs, entre l’outil et la machine, il existe une autre catégorie d’instruments : la machine-outil. Dans le tour ou le foret, la précision de la machine la plus fine se combine à l’habileté de l’artisan. Si l’on ajoute à ce complexe mécanique une source extérieure d’énergie, la distinction est encore plus difficile à faire. En général, la machine accentue la spécialisation des fonctions; l’outil est plus souple. La raboteuse n’accomplit qu’une seule fonction, tandis que le couteau peut être utilisé pour aplanir du bois, le sculpter, le fendre, pour faire pression sur une serrure ou pour enfoncer une vis. La machine automatique est une forme très particulière d’adaptation. Elle implique la notion d’une source extérieure d’énergie, une interrelation plus ou moins complexe entre les parties et un genre limité d’activité. La machine est en quelque sorte un organisme mineur, conçu pour accomplir un ensemble simple de fonctions."
Lewis Mumford, Technique et civilisation, 1934, tr. fr. Denise Moutonnier, Seuil, 1950, p. 20.
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