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Texte à méditer :  La raison du plus fort est toujours la meilleure.
  
La Fontaine
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La protection de la nature et les droits de la nature

  "Une éthique, écologiquement parlant, est une limite imposée à la liberté d'agir dans la lutte pour l'existence. D'un point de vue philosophique, une éthique distingue entre des formes sociales et asociales de conduite. Il s'agir de deux définitions différentes d'une même chose. Cette chose a son origine dans la tendance des individus ou des groupes indépendants à mettre au point des modes de coopé­ration. L'écologiste les appelle symbioses. La politique et l'économie sont des symbioses avancées où la compétition primitive du chacun pour soi a été remplacée, en partie, par des mécanismes de coopération pourvus d'un contenu éthique.
  La complexité des mécanismes de coopération augmente même temps que la densité de population et l'efficacité des outils. Il était par exemple plus simple de définir les usages asociaux des pierres et des massues à l'époque des mastodontes, que des fusils de chasse et des panneaux publicitaires à l'époque des moteurs.

  Les premières éthiques se préoccupaient des relations entre individus : le décalogue mosaïque en est un exemple. Plus tard, il fut question de la relation entre l'individu et la société. La règle d'or est une tentative pour intégrer l'individu à la société ; la démocratie, pour intégrer l'organisation sociale à l'individu.
  Il n'existe pas à ce jour d'éthique chargée de définir la relation de l'homme à la terre, ni aux animaux et aux plantes qui vivent dessus. La terre, comme les petites esclaves d'Ulysse, est encore considérée comme une propriété. La relation à la terre est encore une relation strictement économique, comportant des droits mais pas des devoirs.
  L'extension de l'éthique à ce troisième élément de l'environnement humain constitue, si mon interprétation est correcte, une possibilité de l'évolution et une nécessité écologique. C'est la troisième étape d'une séquence où les deux premières ont déjà été atteintes. Les penseurs individuels, depuis l'époque d'Ézéchiel et d'Isaïe, ont établis que la spoliation de la terre n'est pas seulement un mauvais calcul, mais un mal. La société, cependant, n'a pas encore affirmé cette croyance. Je considère le mouvement écologique actuel comme l'embryon d'une telle affirmation.
  Une éthique peut être considérée comme un guide pour faire face à des situations écologiques si neuves ou si complexes, ou impliquant des réactions si lointaines que le chemin de l'intérêt social ne peut être perçu par l'individu moyen. L'instinct animal est un guide qui permet à l'individu de faire face à de telles situations. Il se peut que l'éthique soit une sorte d'instinct communautaire en gestation.
  Toutes les éthiques élaborées jusqu'ici reposent sur un seul présupposé : que l'individu est membre d'une communauté de parties interdépendantes. Son instinct le pousse à concourir pour prendre sa place dans cette communauté, mais son éthique le pousse aussi à coopérer (peut-être afin qu'il y ait une place en vue de laquelle concourir).
  L'éthique de la terre élargit simplement les frontières de la communauté de manière à y inclure le sol, l'eau, les plantes et les animaux ou, collectivement, la terre. Cela paraît simple : ne chantons-nous pas déjà l'amour et les devoirs qui nous lient à notre sol patriotique, terre de liberté ? Oui, mais qui et quoi au juste aimons-nous ?
  Certainement pas le sol, que nous envoyons à vau-l'eau, au fil des fleuves. Certainement pas ces fleuves eux-mêmes, dont nous pensons qu'ils n'ont d'autre fonction que de faire tourner nos turbines, porter nos péniches et charrier nos déchets. Certainement pas les plantes, que nous exter­minons sans ciller par communautés entières. Certainem­ent pas les animaux, dont nous avons déjà exterminé bien des espèces, parmi les plus grandes et les plus belles. Une éthique de la terre ne saurait bien entendu prévenir l'altération ni l'exploitation de ces « ressources », mais elle firme leur droit à continuer d'exister et, par endroits du oins, à continuer d'exister dans un état naturel.
  En bref, une éthique de la terre fait passer l'Homo sapiens du rôle de conquérant de la communauté-terre à celui de membre et citoyen parmi d'autres de cette communauté. Elle implique le respect des autres membres, et aussi le respect de la communauté en tant que telle."

 

Aldo Leopold, Almanach d'un comté des sables, 1949, 3e partie, tr. fr. Anna Gibson, GF, 2000, p. 256-259.



  "L'une de faibles essentielles d'un système de pro­tection de la nature basé entièrement sur la motivation économique, c'est que la plupart des membres de la communauté-terre n'ont pas de valeur économique. Les fleurs sauvages et les oiseaux chanteurs, par exemple. Sur vingt-deux mille plantes et animaux supérieurs originaires du Wisconsin, il y en a peut-être cinq pour cent, à tout prendre, qui sont susceptibles d'être vendus, élevés, mangés ou utilisés de quelque manière que ce soit à des fins économiques. Pourtant, ces créatures sont des membres la communauté biotique et si (comme je le crois) la stabilité de celle-ci dépend de son intégrité, elles devraient avoir le droit de continuer d'exister.
  Quand l'une de ces catégories non économiques est menacée, pour peu qu'elle nous soit chère, nous inventons des subterfuges pour lui donner de l'importance. Au début du siècle, on pensait que les oiseaux chanteurs étaient en voie de disparition. Les ornithologues se sont aussitôt précipités en arguant de façon pas entièrement convaincante que nous serions bientôt dévorés par les insectes si les oiseaux n'étaient plus là pour limiter leur nombre. L'argument devait être économique pour être valable. Ces circonlocutions font mal quand on les lit aujour­d'hui. Nous n'avons pas encore d'éthique de la terre, mais nous sommes au moins un peu plus près d'admettre que les oiseaux devraient continuer d'exister, par la seule vertu du droit biotique, indépendamment des avantages économiques que nous pouvons en retirer.

  Une situation parallèle nous est offerte par les mammi­fères prédateurs et par les rapaces, carnassiers ou piscivores. Il y eut un temps où les biologistes exagéraient quelque peu le fait que ces créatures préservent la santé du gibier en tuant les plus faibles, ou qu'elles aident le fermier en limitant le nombre des rongeurs ou qu'elles ne s'attaquent qu'à des espèces « sans valeur». Là encore, l'argument devait être économique pour être valable. Ce n'est que ces dernières années qu'on a commencé à entendre un argument plus honnête, à savoir que les prédateurs font partie de la communauté, et qu'aucun intérêt par­ticulier n'a le droit de les exterminer au nom d'un bénéfice personnel réel ou imaginaire. […]
  En résumé : un système de protection de la nature basé exclusivement sur l'intérêt économique est désespérément bancal. Il tend à ignorer, donc en fin de compte à éliminer beaucoup d'éléments de la commu­nauté-terre qui manquent de valeur commerciale mais sont (dans l'état actuel de nos connaissances) essentiels à son bon fonctionnement. Il part du principe, erroné selon moi, que les parties rentables de l'horloge biotique peuvent fonctionner sans les parties non rentables. Il tend à déléguer aux soins de l'État de nombreuses fonctions qui deviennent en fin de compte trop vastes, trop complexes ou trop dispersées pour que l'État puisse réellement les assumer.
  Une obligation éthique de la part du propriétaire privé semble le seul remède envisageable à ces situations."

 

Aldo Leopold, Almanach d'un comté des sables, 1949, 3e partie, tr. fr. Anna Gibson, GF, 2000, p. 266-267 et p. 270.



  "Il me paraît inconcevable qu'une relation éthique à la terre puisse exister sans amour, sans respect, sans admi­ration pour elle, et sans une grande considération pour sa valeur. Par valeur, j'entends bien sûr quelque chose qui dépasse de loin la valeur économique ; je l'entends au sens philosophique.
  L'obstacle le plus sérieux à l'évolution d'une éthique de la terre tient peut-être au fait que notre système éducatif et économique s'éloigne plus qu'il ne se rapproche d'une conscience intense de la terre. L'homme moderne typique est séparé de la terre par de nombreux intermédiaires et par d'innombrables gadgets. Il n'a pas de relation vitale à la terre. Pour lui, elle est l'espace entre les villes où poussent des récoltes. Lâchez-le une journée dans la nature ; si l'endroit n'est pas un terrain de golf ou un « site pittoresque », il s'ennuiera mortellement. Si l'on pouvait remplacer les fermes par la culture hydroponique, il trou­verait cela très bien. Les substituts synthétiques du bois, du cuir, de la laine et autres produits naturels de la terre lui conviennent mieux que la chose même. En bref, la terre, c'est quelque chose qu'il a dépassé depuis longtemps.

  Autre obstacle presque aussi sérieux à une éthique de la terre : l'attitude du fermier pour lequel elle est encore un adversaire, ou un tyran qui le maintient en esclavage. Théoriquement, la mécanisation de l'agriculture devrait briser ses chaînes, mais est-ce vraiment le cas ? On peut en discuter.
  L'un des présupposés pour une compréhension écolo­gique de la terre, c'est une compréhension de l'écologie, et ceci n'est en aucun cas coextensif à l' « éducation » ; de fait, une bonne partie de l'éducation supérieure semble délibérément éviter tout concept écologique. La compréhension de l'écologie ne prend pas nécessairement sa source dans des cours étiquetés « écologiques », elle peut s'appeler aussi bien géographie, botanique, agronomie, histoire ou économie. Ceci est dans l'ordre des choses ; cependant, quelle que soit l'étiquette, l'initiation écologique reste rare.
  La cause de l'éthique de la terre semblerait désespérée, n'était la minorité en révolte ouverte contre ces tendances « modernes ».
  La montagne qu'il faut déplacer pour libérer le pro­cessus vers une éthique, c'est tout simplement ceci : cessez de penser au bon usage de la terre comme à un problème exclusivement économique. Examinez chaque question en termes de ce qui est éthiquement et esthétiquement juste autant qu'en termes de ce qui est économiquement avan­tageux. Une chose est juste lorsqu'elle tend à préserver l'intégrité, la stabilité et la beauté de la communauté biotique. Elle est injuste lorsqu'elle tend à l'inverse.
  Il va sans dire, bien sûr, que la faisabilité économique limite la marge de ce qui peut ou ne peut pas être fait en faveur de la terre. Il en a toujours été, il en ira toujours ainsi. Le sophisme que les tenant du déterminisme économique nous ont attaché autour du cou, collectivement, et dont nous devons à présent nous débarrasser, c'est l'idée que l'économie détermine tout l'usage de la terre. Ce n’est pas le cas. Une foule innombrable d’actions et d’attitudes, qui comprennent peut-être l'essentiel de toutes les relations à la terre, sont déterminés par les goûts et les prédilections de l'utilisateur bien plus que par son portefeuille. L'es­sentiel de routes les relations à la terre demandent un investissement en termes de temps, de réflexion, de talent et de foi, bien plus qu'un investissement financier. Dans l'usage de la terre, on est ce que l'on pense.
  J'ai délibérément présenté l'éthique de la terre comme un produit de l'évolution sociale parce qu'une chose aussi importante n'est jamais « écrite ». Seul le plus superficiel des étudiants en Histoire s'imagine que Moïse a « écrit » le Décalogue ; celui-ci a évolué dans les esprits d'une communauté pensante, et Moïse a tenté d'en faire un résumé en vue d'un « séminaire ». Je dis tenté, parce que l'évolution ne s'arrête jamais.
  L'évolution d'une éthique de la terre est un processus intellectuel autant qu'émotionnel. La route de l'écologie est pavée de bonnes intentions qui s'avèrent futiles, voire dangereuses, parce qu'elles sont dépourvues d'une compré­hension critique de la terre aussi bien que de l'usage économique qu'on en fait. Je pense que c'est un truisme de dire qu'à mesure que la frontière éthique se déplace de l'individu à la communauté son contenu intellectuel aug­mente.
  Le mécanisme est le même pour toute éthique : une approbation sociale pour les actions justes ; une désapprobation sociale pour les actions injustes.
  De façon très générale, notre problème actuel est un problème d'attitudes et de mise en œuvre. Nous remo­delons l'Alhambra à la pelleteuse, et nous sommes fiers de notre rendement. Nous n'allons pas abandonner la pelle­teuse, qui, après tout, nous a rendu bien des services, mais nous avons besoin de critères d'une plus grande douceur et d'une plus grande objectivité pour l'utiliser avec succès."

 

Aldo Leopold, Almanach d'un comté des sables, 1949, 3e partie, tr. fr. Anna Gibson, GF, 2000, p. 282-284.



  "Et si le nouveau type de l'agir humain voulait dire qu'il faut prendre en considération davantage que le seul intérêt de l'homme ‑ que notre devoir s'étend plus loin et que la limitation anthropocentrique de toute éthique du passé ne vaut plus ? Du moins n'est‑il plus dépourvu de sens de demander si l'état de la nature extra‑humaine, de la biosphère dans sa totalité et dans ses parties qui sont maintenant soumises à notre pouvoir, n'est pas devenu par le fait même un bien confié à l'homme et qu'elle a quelque chose comme une prétention morale à notre égard ‑ non seulement pour notre propre bien, mais également pour son propre bien et de son propre droit. Si c'était le cas, cela réclamerait une révision non négligeable des fondements de l'éthique. Cela voudrait dire chercher non seulement le bien humain, mais également le bien des choses extra‑humaines, c'est‑à‑dire étendre la reconnaissance de « fins en soi » au‑delà de la sphère de l'homme et intégrer cette sollicitude dans le concept du bien humain. Aucune éthique du passé [mise à part la religion] ne nous a préparés à ce rôle de chargés d'affaires ‑ et moins encore la conception dominante de la nature. Cette dernière nous refuse même décidément tout droit théorique de penser encore à la nature comme à quelque chose qui mérite le respect puisqu'elle réduit celle‑ci à l'indifférence de la nécessité et du hasard et qu'elle l'a dépouillée de toute la dignité des fins. Et pourtant : un appel muet qu'on préserver son intégrité semble émaner de la plénitude du monde de la vie, là où elle est menacée"

 

  Hans Jonas, Le Principe Responsabilité, 1979, tr. fr. Jean Greisch, Champ Flammarion, 1990, p. 34-35.



  "L'avenir de l'humanité est la première obligation du comportement collectif humain à l'âge de la civilisation technique devenue « toute-puissante » modo negativo. Manifestement l'avenir de la nature y est compris comme condition sine qua non, mais même indépendamment de cela, c'est une responsabilité métaphysique en et pour soi, depuis que l'homme est devenu dangereux non seulement pour lui-même, mais pour la biosphère entière. Même si les deux choses se laissaient séparer – c'est-à-dire si, avec un environnement ravagé (et remplacé en grande partie par des artefacts), une vie digne d'être appelée humaine était possible pour nos descendants – la plénitude de vie produite pendant le long travail créateur de la nature, et maintenant livrée entre nos mains, aurait droit à notre protection pour son propre bien. Mais puisqu'en effet les deux choses sont inséparables, sans caricaturer l'image de l'homme, et qu'au contraire dans le plus décisif, à savoir l'alternative « préservation ou destruction », l'intérêt de l'homme coïncide avec celui du reste de la vie qui est sa patrie terrestre au sens le plus sublime de ce mot, nous pouvons traiter les deux obligations sous le concept directeur de l'obligation pour l'homme comme une seule obligation, sans pour autant succomber à une réduction anthropocentrique".

 

Hans Jonas, Le Principe responsabilité : une éthique pour la civilisation technologique, 1979, trad. J. Greisch, Éd. du Cerf, 1990, Préface, p. 261-262.

 

  "L'avenir de l'humanité est la première obligation du comportement collectif humain à l'âge de la civilisation technique devenue « toute-puissante » modo negativo. Manifestement l'avenir de la nature y est compris comme condition sine qua non, mais même indépendamment de cela, c'est une responsabilité métaphysique en et pour soi, depuis que l'homme est devenu dangereux non seulement pour lui-même, mais pour la biosphère entière. Même si les deux choses se laissaient séparer – c'est-à-dire si, avec un environnement ravagé (et remplacé en grande partie par des artefacts), une vie digne d'être appelée humaine était possible pour nos descendants – la plénitude de vie produite pendant le long travail créateur de la nature, et maintenant livrée entre nos mains, aurait droit à notre protection pour son propre bien. Mais puisqu'en effet les deux choses sont inséparables, sans caricaturer l'image de l'homme, et qu'au contraire dans le plus décisif, à savoir l'alternative « préservation ou destruction », l'intérêt de l'homme coïncide avec celui du reste de la vie qui est sa patrie terrestre au sens le plus sublime de ce mot, nous pouvons traiter les deux obligations sous le concept directeur de l'obligation pour l'homme comme une seule obligation, sans pour autant succomber à une réduction anthropocentrique. […]
  Dans le choix entre l'homme et la nature, tel qu'il se pose toujours à nouveau, dans chaque cas particulier de la lutte pour l'existence, l'homme vient sans doute toujours en premier et la nature, même une fois admise sa dignité, doit lui céder le pas, ainsi qu'à sa dignité supérieure. Ou bien, à supposer qu'on conteste ici l'idée d'un quelconque droit « supérieur », c'est pourtant la nature elle-même qui veut que l'égoïsme des espèces vienne d'abord, et l'exercice du pouvoir humain à l'encontre du reste du monde vivant est un droit naturel, résultant seulement de sa capa­cité. C'était pratiquement là le point de vue de toutes les époques au cours desquelles la nature paraissait globalement invulnérable, et la raison pour laquelle elle paraissait être à la libre disposition de l'homme pour qu'il en use à sa guise. Mais même si l'obligation à l'égard de l'homme continue encore à avoir une valeur absolue, elle n'en inclut pas moins désormais la nature comme condition de sa propre survie et comme un des éléments de sa propre complétude existentielle. Nous allons encore plus loin et nous disons que la solidarité de destin entre l'homme et la nature, solidarité nouvellement découverte à travers le danger, nous fait également redécouvrir la dignité autonome de la nature et nous commande de respec­ter son intégrité par-delà l'aspect utilitaire. […]

  C'est seulement la supériorité de la pensée et pouvoir de la civilisation technique qu'elle a rendu possible qui mettaient une forme de vie, « l'homme », en état de mettre en danger toutes les autres (et aussi également lui-même). La nature ne pouvait prendre de risque plus grand que de laisser naître l'homme, et toute conception aristotélicienne de la téléologie de la nature intégrale (physis) qui est à son propre service et qui s'intègre pour former un tout est réfutée par ceci que même un Aristote ne pouvait pas encore pressentir. Pour lui c'était la raison théorique dans l'homme qui transcende la nature, sans assurément l'endommager par sa contemplation. L'intellect pratique émancipé qu'a produit la « science », un héritage de cet intellect théorique, n'oppose pas seulement sa pensée, mais encore son agir, à la nature d'une manière qui n'est plus guère compatible avec le fonctionnement inconscient de l'ensemble : dans l'homme, la nature s'est perturbée elle-même, et c'est seulement dans sa faculté morale (que nous pouvons encore lui imputer comme le reste) qu'elle a laissé ouverte une issue incertaine l'assurance ébranlée de l'autorégulation. Le fait que sa cause soit dorénavant suspendue à cela — ou disons plus modestement : le fait que tant de choses dépendent de ce que l'homme peut voir de cette cause — a quelque chose d'effrayant. Après les dimensions temporelles de l'évolution et même celles bien plus petites de l'histoire humaine, ceci est un tournant presque subit dans le destin de la nature. Sa possibilité était contenue dans l'essence du savoir et du vouloir indépendants du monde qui firent irruption dans le monde avec l'homme, mais sa réalité a lentement mûri et ensuite, brusquement, elle fut là. En ce siècle fut atteint le point depuis longtemps préparé, où le danger devient manifeste et critique. Le pouvoir, associé à la raison, entraîne de soi la responsabilité. Cela allait de soi depuis toujours concernant le domaine intersubjectif. Le fait que depuis peu la responsabilité s'étende au-delà jusqu'à l'état de la biosphère et la survie future de l'espèce humaine est simplement donné avec l'extension du pouvoir sur ces choses qui est en premier lieu un pouvoir de destruction. Le pouvoir et le danger dévoilent une obligation qui, par la solidarité avec le reste, une solidarité soustraite au choix, s'étend de l'être propre à l'être général sans même un consentement particulier".

 

Hans Jonas, Le Principe Responsabilité, 1979, tr. fr. Jean Greisch, Champ Flammarion, 1990, p. 261 et 263-263.



  "1) Le bien-être et l'épanouissement de la vie humaine et non humaine sur la terre sont des valeurs en soi (synonymes : valeurs intrinsèques, valeurs inhérentes). Ces valeurs sont indépendantes de l'utilité du monde non-humain pour les besoins de l'homme.
  2) La richesse et la diversité des formes de vie contribuent à la réalisation de ces valeurs et sont par conséquent aussi des valeurs en soi.

  3) Les humains n'ont aucun droit à réduire cette richesse et cette diversité, si ce n'est pour satisfaire des besoins vitaux.
  4) L'épanouissement de la vie et de la culture humaines est compatible avec une diminution subs­tantielle de la population humaine. L'épanouisse­ment de la vie non humaine requiert une telle diminution.
  5) L'intervention humaine dans le monde non humain est actuellement excessive et la situation se dégrade rapidement.
  6) Il faut donc changer nos orientations politi­ques de façon drastique sur le plan des structures économiques, technologiques et idéologiques. Le résultat de l'opération sera profondément différent de l'état actuel.
  7) Le changement idéologique consiste principa­lement dans le fait de valoriser la qualité de la vie (d'habiter dans des situations de valeur intrinsè­ques) plutôt que de viser sans cesse un niveau de vie plus élevé. Il faudra qu'il y ait une prise de conscience profonde de la différence entre gros (big) et grand (great).

  8) Ceux qui souscrivent aux points qu'on vient d'énoncer ont une obligation directe ou indirecte à travailler à ces changements nécessaires."

 

Arne Naess, The deep ecological movement : some philosophical aspects, 1986, Philosophical Inquiry, vol. VIII, n° 1-2, p. 14.



  "Nous pensons le droit à partir d'un sujet de droit, dont la notion s'étendit progressivement. N'importe qui, jadis, ne pouvait y accéder : la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen donna la possibilité à tout homme en général d'accéder à ce statut de sujet du droit. Le contrat social, du coup, s'achevait, mais se fermait sur soi, laissant hors jeu le monde, collection énorme de choses réduites au statut d'objets passifs de l'appropriation. Raison humaine majeure, nature extérieure mineure. Le sujet de la connaissance et de l'action jouit de tous les droits et ses objets d'aucun. Ils n'ont encore accédé à aucune dignité juridique. Ce pour quoi, depuis, la science a tous les droits.
  Voilà pourquoi nous vouons nécessairement les choses du monde à la destruction.
Maîtrisées, possédées, du point de vue épistémologique, mineures dans la consécration prononcée par le droit. Or, elles nous reçoivent comme des hôtesses, sans lesquelles, demain, nous devrons mourir. Exclusivement social, notre contrat devient mortifère, pour la perpétuation de l'espèce, son immortalité objective et globale.
  Qu'est-ce que la nature ? D'abord l'ensemble des conditions de la nature humaine elle-même, ses contraintes globales de renaissance ou d'extinction, l'hôtel qui lui donne logement, chauffage et table ; de plus elle les lui ôte dès qu'il en abuse. Elle conditionne la nature humaine qui, désormais, la conditionne à son tour. La nature se conduit comme un sujet."

 

Michel Serres, Le Contrat naturel, 1990, François Bourin, p. 64.



  "Il faut donc procéder à une révision déchirante du droit naturel moderne qui suppose une proposition informulée, en vertu de laquelle l'homme, individuellement ou en groupe, peut seul devenir sujet du droit. Ici le parasitisme reparaît. La Déclaration des droits de l'homme a eu le mérite de dire : « tout homme » et la faiblesse de penser : « seuls les hommes » ou les hommes seuls. Nous n'avons encore dressé aucune balance où le monde entre en compte, au bilan final.
  Les objets eux-mêmes sont sujets de droit et non plus simples supports passifs de l'appropriation, même collective. Le droit tente de limiter le parasitisme abusif entre les hommes mais ne parle pas de cette même action sur les choses. Si les objets eux-mêmes deviennent sujets de droit, alors toutes les balances tendent vers un équilibre.

  Il existe un ou plusieurs équilibres naturels, décrits par les mécaniques, les thermodynamiques, la physiologie des organismes, l'écologie ou la théorie des systèmes ; les cultures ont inventé de même un ou plusieurs équilibres de type humain ou social, décidés, organisés, gardés par les religions, les droits ou les politiques. Il nous manque de penser, de construire et de mettre en œuvre un nouvel équilibre global entre ces deux ensembles.
  Car les systèmes sociaux, compensés en eux-mêmes et fermés sur eux, pèsent de leur poids nouveau, de leurs relations, objets-mondes et activités, sur les systèmes naturels par eux-mêmes compensés, de même qu'autrefois les seconds faisaient courir des risques aux premiers, à l'âge où la nécessité l'emportait en puissance sur les moyens de la raison.
  Aveugle et muette, la fatalité naturelle négligeait alors de passer contrat exprès avec nos ancêtres écrasés par elle : nous voici, à ce jour, assez vengés de cet archaïque abus par un abus moderne réciproque. Il nous reste à penser une nouvelle balance, délicate, entre ces deux ensembles de balances. Le verbe penser, proche de compenser, ne connaît pas, que je sache, d'autre origine que cette juste pesée. Voilà ce qu'aujourd'hui nous nommons pensée. Voilà le droit le plus général pour les systèmes les plus globaux.
  Dès lors, dans le monde reviennent les hommes, le mondain dans le mondial, le collectif dans le physique, un peu comme à l'époque du droit naturel classique, mais avec pourtant de grandes différences, qui tiennent toutes au passage récent du local au global et au rapport renouvelé que nous entretenons désormais avec le monde, notre maître jadis et naguère notre esclave, toujours notre hôte en tout cas, maintenant notre symbiote[1]
  Retour donc à la nature ! Cela signifie : au contrat exclusivement social ajouter la passation d'un contrat naturel de symbiose et de réciprocité où notre rapport aux choses laisserait maîtrise et possession pour l'écoute admirative, la réciprocité, la contemplation et le respect, où la connaissance ne supposerait plus la propriété, ni l'action la maîtrise, ni celles-ci leurs résultats ou conditions stercoraires[2]. Contrat d'armistice dans la guerre objective, contrat de symbiose: le symbiote admet le droit de l'hôte, alors que le parasite —notre statut actuel — condamne à mort celui qu'il pille et qu'il habite sans prendre conscience qu'à terme il se condamne lui-même à disparaître.
  Le parasite prend tout et ne donne rien ; l'hôte donne tout et ne prend rien. Le droit de maîtrise et de propriété se réduit au parasitisme. Au contraire, le droit de symbiose se définit par réciprocité : autant la nature donne à l'homme, autant celui-ci doit rendre à celle-là, devenue sujet de droit.
  Que rendons-nous, par exemple, aux objets de notre science, à qui nous prenons la connaissance ? Alors que le cultivateur, autrefois, rendait en beauté, par son entretien, ce qu'il devait à la terre, à qui son travail arrachait quelques fruits. Que devons-nous rendre au monde ? Qu'écrire dans le programme des restitutions ?
  Nous avons poursuivi, au siècle dernier, l'idéal de deux révolutions, toutes deux égalitaires : le peuple reprend ses droits politiques, rendus parce que volés ; de même les prolétaires rentrent dans la jouissance des fruits matériels et sociaux de leur travail : recherches d'équilibre et d'équité au sein du contrat exclusivement social, auparavant injuste ou léonin, et tendant sans cesse à le redevenir. Tant l'animalité en nous s'acharne à rétablir la hiérarchie, une telle quête jamais ne s'achève ; pendant que nous la poursuivons, une deuxième commence, qui caractérisera notre histoire à venir comme la précédente a marqué de son trait le siècle passé : même recherche d'équilibre et de justice, mais entre de nouveaux partenaires, le collectif global et le monde tel quel.
  Nous ne connaîtrons plus, au sens de la science ; nos industries ne travailleront ni ne transformeront la face et les entrailles pacifiques du monde, comme nous le fîmes : la mort collective veille à ce changement contractuel global.
  On dirait que le règne du droit naturel moderne commence en même temps que les révolutions scientifique, technique et industrielle, avec la maîtrise et possession du monde. Nous avons imaginé pouvoir vivre et penser entre nous, pendant que les choses obéissantes dormaient, toutes écrasées sous notre emprise : l'histoire des hommes jouissait de soi dans un acosmisme[3] de l'inerte et des autres vivants. On peut faire histoire de tout et tout se réduit à l'histoire.
  Les esclaves ne dorment jamais longtemps. Cet intervalle prend fin à ce jour, où la référence aux choses nous rappelle violemment. L'irresponsabilité ne dure que pendant l'enfance.
  Dans quel langage parlent les choses du monde pour que nous puissions nous entendre avec elles, par contrat ? Mais, après tout, le vieux contrat social, aussi, restait non dit et non écrit : nul n'en a jamais lu ni l'original ni même une copie. Certes, nous ignorons la langue du monde, ou nous ne connaissons d'elle que les diverses versions animiste, religieuse ou mathématique. Quand fut inventée la physique, les philosophes allaient disant que la nature se cachait sous le code des nombres ou les lettres de l'algèbre : ce mot de code venait du droit.
En fait la Terre nous parle en terme de forces, de liens et d'interactions, et cela suffit à faire un contrat. Chacun des partenaires en symbiose doit donc, de droit, à l'autre la vie sous peine de mort."

 

Michel Serres, Le Contrat naturel, 1990, Éditions François Bourin, p. 65-69.


[1] Symbiote : être avec lequel nous vivons en symbiose.
[2] Stercoraire : qui a rapport aux excréments.
[3] Acosmisme : système de pensée qui nie l'existence d'un monde sensible ayant sa consistance propre.



  "Les deux difficultés majeures que rencontre l'écologie profonde dans son projet d'instituer la nature en sujet de droit, capable de jouer le rôle d'un partenaire dans un « contrat naturel », peuvent être encore résumées de la façon suivante : la première, celle qui choque par son évidence, est que la nature n'est pas un agent, un être susceptible d'agir avec la réciprocité qu'on attend d'un alter ego juridique. C'est toujours pour les hommes qu'il y a du droit, pour eux que l'arbre ou la baleine peuvent devenir les objets d'une forme de respect liée à des législations — non l'inverse. Moins évidente est la seconde difficulté : en admettant qu'il soit possible de parler par métaphore de « la nature » comme d'une « partie contractante », encore faudrait-il préciser ce qui, en elle, est censé posséder une valeur intrinsèque. Les fondamentalistes répondent le plus souvent qu'il s'agit de la « biosphère » dans son ensemble, parce qu'elle donne la vie à tous les êtres qui sont en elles ou, à tout le moins, leur permet de se maintenir dans l'existence. Mais la biosphère donne vie tout autant au virus du sida qu'au bébé phoque, à la peste et au choléra comme à la forêt et au ruisseau. Dira-t-on sérieusement que le HIV est sujet de droit, au même titre que l'homme ?
  L'objection ne vise pas à légitimer a contrario l'anthropocentrisme cartésien, seulement à faire ressortir la difficulté qu'il y a à parler du monde objectif en termes de droits subjectifs : comment dépasser l'antinomie du cartésianisme (qui tend à dénier toute valeur intrinsèque aux êtres de nature) et de l'écologie profonde (qui tient la biosphère pour le seul authentique sujet de droit) ? Nul doute que cette question, sous une forme ou sous une autre, occupera le centre des débats écologiques dans les années à venir. Elle sera au cœur des préoccupations philosophiques touchant le nouveau statut des rapports de l'homme à la nature, mais aussi des projets législatifs qui ne manqueront pas de voir le jour dans les pays industrialisés. Sans prétendre la résoudre, il est d'ores et déjà possible d'indiquer une voie pour la réflexion, analogue à celle évoquée à propos du droit de l'animal.

  Si l'animal n'était qu'une machine, comme le pensent les cartésiens, la question de ses droits ne se serait jamais posée. Ce qui peut éveiller à son propos le sentiment d'une obligation, au-delà même de la compassion et de la pitié qui relèvent de la simple sympathie, c'est le caractère non mécanique du vivant qu'il incarne. Non qu'il s'agisse de disqualifier totalement l'approche sentimentale de la question des droits, mais plutôt d'en rechercher, au-delà de la simple description phénoménologique, les éventuels principes de légitimité. Car la sympathie n'est qu'un fait qui se heurte à d'autres faits et, comme tel, ne justifie rien : il y a ceux qui aiment la corrida de facto, ceux qui la réprouvent de facto et si l'on veut trancher de jure, il faut s'élever au-dessus de la seule sphère de la factualité pour rechercher des arguments. L'un d'entre eux, que j'ai évoqué tout à la fois contre les cartésiens et les utilitaristes pour justifier l'idée d'un certain respect de l'animal, est qu'il nous apparaît relever d'un ordre du réel qui n'est ni celui de la pierre, ni celui des plantes, bien qu'il n'appartienne pas non plus à l'humanité proprement dite. Quoique mû par le code de l'instinct, et non par liberté, il est, dans la nature, le seul être qui semble capable d'agir d'après la représentation de fins, donc de façon consciente et intentionnelle. Et c'est à ce titre qu'il s'éloigne du règne du mécanisme pour se rapprocher, par analogie, de celui de la liberté. Il n'est pas un simple automate et sa souffrance, à laquelle nous pouvons et même devons ne pas rester indifférents, en est l'un des signes visibles —parmi d'autres qu'on pourrait évoquer, tels que le dévouement, l'affection ou l'intelligence dont il peut parfois témoigner. Bref, tout se passe comme si la nature, dans l'animal, tendait en certaines circonstances à se faire humaine, comme si elle s'accordait d'elle-même avec des idées auxquelles nous attachons un prix lorsqu'elles se manifestent dans l'humanité.
  Le sens de ce « comme si » doit être précisé : il est l'indice que le jugement de valeur porté à propos de l'animal et de ses droits éventuels n'est ni tout à fait « naturaliste » (comme dans l'écologie profonde) ni entièrement « anthropocentriste » (comme dans le cartésianisme et, à certains égards encore, le kantisme). Car c'est bien la nature elle-même qui fait signe vers des idées qui nous sont chères, et non pas nous qui les projetons en elle : à rencontre de ce que pensent les cartésiens, il semble raisonnable d'admettre que les cris des animaux qui souffrent n'ont pas la même signification que les sons égrenés par le timbre de l'horloge, que la fidélité du chien n'est pas celle de la montre. De là le sentiment que la nature possède bien cette fameuse valeur intrinsèque sur laquelle s'appuient les deep ecologists pour légitimer leur antihumanisme. Mais d'un autre côté, et c'est là ce qu'ils manquent, ce sont les idées évoquées par la nature qui lui donnent tout son prix. Sans elles, nous n'accorderions pas la moindre valeur au monde objectif. Bien plus : c'est parce que la nature, souvent, va à rencontre de telles idées, parce qu'elle est aussi génératrice de violence et de mort, que nous lui ôtons aussitôt la valeur que nous lui attribuions l'instant d'avant, lorsqu'elle nous semblait belle, harmonieuse, ou même, dans l'animal, intelligente et affectueuse.
  Par où l'on voit comment la question du « droit des arbres » devrait être reposée à l'écart de l'anthropocentrisme cartésien (puisque c'est bien la nature qui évoque les idées que nous aimons) et du fondamentalisme (il reste que ce sont les idées, et non les objets en tant que tels qui sont au principe des jugements de valeurs que seuls les hommes sont capables de formuler : les fins éthiques, politiques ou juridiques ne sont jamais « domiciliées dans la nature », qui ne connaît que des finalités extramorales). Il faut ainsi faire justice au sentiment que la nature n'est pas de nulle valeur, que nous avons des devoirs envers elle qui n'est pas, pourtant, sujet de droit. C'est aussi dans cette voie qu'on pourrait tenter de définir ce qui dans la nature elle-même doit être respecté et ce qui, en revanche, doit être combattu au nom d'un interventionnisme bien compris. Faute d'une telle distinction, l'idée de devoirs envers « LA » nature perdrait son sens, tant il est évident que tout, en elle, ne mérite pas également d'être protégé."

 

Luc Ferry, Le nouvel ordre écologique - l'arbre, l'animal et l'homme, 1992, Grasset, p. 256-260.



  "« L'homme tient à tout ce qui l'environne », écrit Rousseau. C'est dire qu'il en dépend, mais aussi qu'il s'y attache et s'en soucie : on s'est toujours, d'une façon d'une autre, préoccupé du milieu dans lequel on vivait. Mais c'est depuis le XIXe siècle que l'on s'est délibérément employé à protéger la nature. Cette volonté émerge, en Amérique du Nord comme en Europe, et se développe alors que s'affirme la révolution industrielle. Elle résulte d'une évaluation critique de l'impact d'activités traditionnelles (agriculture, pastoralisme, exploitation forestière, chasse, pêche et cueillette) sur les milieux naturels et sur les espèces d'animaux sauvages et de plantes non cultivées. Essentiellement émise, dans un premier temps, par des naturalistes, cette préoccupation a conduit à mettre en place une politique de « protection de la nature », codifiée par des décisions législatives. D'abord principalement consacrées à tenir certains espaces « relictuels », ou « remarquables », à l'écart de pratiques jugées destructrices, ces politiques se sont développées en des formes plus complexes de « gestion », des populations, des peuplements, ou des territoires.
  La nature que l'on entend protéger ainsi, c'est la terre du terroir, et tout ce qui y pousse, ou qui en vit. Ce sont aussi les eaux continentales et océaniques. C'est tout ce qui peut relever, au sens large, d'une « géographie », d'une description de la terre, tout ce dont l'agronomie, la sylviculture, la botanique, la zoologie, l'hydrobiologie, l'écologie enfin, ont fait leur objet d'étude. Dans un pays comme la France, de très ancienne civilisation rurale, c'est une nature toujours déjà transformée par l'homme, une nature « anthropisée ». C'est aussi une nature visible, sensible, une nature à contempler, à admirer ou à aimer. D'où la dimension esthétique de cette préoccupation et l'importance actuelle du paysage – nature façonnée par l'homme et offerte aux regards de tous – dans cette approche des problèmes environnementaux."

 

Catherine et Raphaël Larrère, Du bon usage de la nature. Pour une philosophie de l'environnement, 1997, Champs essais, 2009, p. 167-168.
 

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Date de création : 31/01/2016 @ 14:42
Dernière modification : 18/02/2016 @ 10:05
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