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Texte à méditer :  C'est proprement avoir les yeux fermés, sans tâcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans philosopher.
  
Descartes
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Nature et égalité/inégalité

  "La nature a fait les humains si égaux quant facultés du corps et de l'esprit que, bien qu'il soit parfois possible d'en trouver un dont il est manifeste qu'il a plus de force dans le corps ou de rapidité d'esprit qu'un autre, il n'en reste pas moins que, tout bien pesé, la différence entre les deux n'est pas à ce point considérable que l'un d'eux puisse s'en prévaloir et obtenir un profit quelconque pour lui-même auquel l'autre ne pourrait prétendre aussi bien que lui. En effet, en ce qui concerne la force du corps, le plus faible a assez de force pour tuer le plus fort, soit par une manœuvre secrète, soit en s'alliant à d'autres qui sont avec lui confrontés au même danger.
  Je trouve que parmi les humains, l'égalité est plus grande en ce qui concerne les facultés de l'esprit qu'en ce qui concerne la force (je laisse de côté les arts fondés sur les mots, et en particulier cette aptitude à suivre des règles générales et infaillibles, qu'on appelle science ; aptitude dont très peu disposent et pour quelques objets seulement, car il ne s'agit pas d'une faculté innée, qu'on a de naissance,, ou qu'on acquiert – comme la prudence – alors qu'on s'occupe d'autre chose). Car la prudence n'est rien que l'égale expérience que tous les hommes ont, en un temps égal, de ces choses dans lesquelles ils s'impliquent également. Ce qui, peut-être, peut faire qu'on ne puisse croire à une telle égalité, n'est que la vaine idée que chacun se fait de sa propre sagesse, sagesse dont presque tous pensent qu'ils en disposent à un degré supérieur aux gens ordinaires – autrement dit  tout le monde à l'exception d'eux-mêmes, et de quelques autres qui sont populaires ou avec qui ils sont d'accord. Car telle est la nature humaine que, quel que soit le nombre de ceux que l'on estime être plus intelligents ou plus éloquents ou plus savants, on aura pourtant du mal à croire qu'il y en a beaucoup de plus sages que soi-même ; en effet, chacun voit sa propre intelligence de près et celle des autres de loin. Mais cela prouve que, sous ce rapport, les humains sont égaux plutôt qu'inégaux. Car il n'existe pas d'ordinaire de meilleur signe d'égalité dans la distribution de quelque chose que le fait que chacun soit satisfait de sa part.

  Cette égalité des aptitudes engendre l'égalité dans l'espérance que nous avons de parvenir à nos fins. Et donc, si deux humains désirent la même chose, dont ils ne peuvent cependant jouir l'un et l'autre, ils deviennent ennemis et, pour parvenir à leur fin (qui est principalement leur propre conservation et parfois seulement leur jouissance), ils s'efforcent de s'éliminer ou de s'assujettir l'un l'autre."

 

Thomas Hobbes, Léviathan, 1651, livre I, Chapitre 13, tr. fr. Gérard Mairet, Folio Essais, 2000, p. 220-222.


 

  "Il est aisé de voir que c’est dans ces changements successifs de la constitution humaine qu’il faut chercher la première origine des différences qui distinguent les hommes, lesquels d’un commun aveu sont naturellement aussi égaux entre eux que l’étaient les animaux de chaque espèce, avant que diverses causes physiques eussent introduit dans quelques-unes les variétés que nous y remarquons. En effet, il n’est pas concevable que ces premiers changements, par quelque moyen qu’ils soient arrivés, aient altéré tout à la fois et de la même manière tous les individus de l’espèce ; mais les uns s’étant perfectionnés ou détériorés, et ayant acquis diverses qualités bonnes ou mauvaises qui n’étaient point inhérentes à leur nature, les autres restèrent plus longtemps dans leur état originel ; et telle fut parmi les hommes la première source de l’inégalité, qu’il est plus aisé de démontrer ainsi en général que d’en assigner avec précision les véritables causes."

 

Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, 1755, Préface, Le Livre de Poche, 1996, p. 70.


 

  "Je conçois dans l'espèce humaine deux sortes d'inégalité ; l'une, que j'appelle naturelle ou physique, parce qu'elle est établie par la nature, et qui consiste dans la différence d'âges, de la santé, des forces du corps et des qualités de l'esprit, ou de l'âme ; l'autre, qu'on peut appeler inégalité morale ou politique, parce qu'elle dépend d'une sorte de convention, et qu'elle est établie, ou du moins autorisée par le consentement des hommes. Celle-ci consiste dans les différents privilèges, dont quelques-uns jouissent, au préjudice des autres ; comme d'être plus riches, plus honorés, plus puissants qu'eux, ou même de s'en faire obéir."

 

Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, 1755, 1ère partie, Le Livre de Poche, 1996, p. 77.


 

  "L'influence différenciatrice du milieu se trouve tant soi peu limitée par le fait que, tous, nous passons les premiers mois de notre existence dans un milieu semblable. Pour diverses que doivent être plus tard nos conditions de vie, pendant les neuf mois de la formation nous sommes soustraits au privilège, nous sommes pareillement traités, pareillement chauffés, pareillement nourris. Toutes les matrices se valent. Il y a là une égalité de principe, non pas fictive et politique, mais biologique et réelle. Les hommes ne connaissent un sort égal qu'avant la naissance ou après la mort, au sein de la mère ou dans la tombe.
  […] Que doit le groupe social à ces hommes mieux conçus, à ces aristocrates de chair, qui n'ont eu que la peine de recueillir des chromosomes de bon aloi ? Faut-il enchérir sur l'inégalité de la nature, en avantageant ceux qu'elle n'a déjà que trop favorisés ? Ou faut-il, par une injustice inverse, traiter également ceux qu'elle fit inégaux ? À ne point récompenser le meilleur, ne les découragera-t-on pas de mettre leur supériorité au service de l'intérêt collectif ? Et, d'autre part quelle ne serait la cruauté d'une société qui, fondant sa hiérarchie sur le mérite germinal, ne laisserait même pas à l'inférieur la ressource de s'en prendre au mauvais destin ?"

 

Jean Rostand, Pensées d'un biologiste, 1939, Stock, 1954, p. 21 et p. 24.

 

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Date de création : 07/02/2016 @ 15:27
Dernière modification : 19/06/2018 @ 12:37
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