"La vérité de la religion naturelle est à la vérité des autres religions comme le témoignage que je me rends à moi-même est au témoignage que je reçois d'autrui ; ce que je sens à ce qu'on me dit ; ce que je trouve écrit en moi-même du doigt de Dieu, et ce que les hommes vains et superstitieux et menteurs ont gravé sur la feuille ou sur le marbre ; ce que je porte en moi et rencontre le même partout et ce qui est hors de moi et change avec les climats ; ce qui n'a point été sincèrement contredit ne l'est point et ne le sera jamais, et ce qui loin d'être admis et de l'avoir été, ou n'a point été connu ou a cessé de l'être, ou ne l'est point, ou bien est rejeté comme faux ; ce que ni le temps ni les hommes n'ont point aboli et n'aboliront jamais et ce qui passe comme l'ombre ; ce qui rapproche l'homme civilisé et le barbare, le chrétien, l'infidèle et le païen ; l'adorateur de Jéhova, de Jupiter et de Dieu ; le philosophe et le peuple, le savant et l'ignorant, le vieillard et l'enfant, le sage même et l'insensé ; et ce qui éloigne le père du fils, arme l'homme contre l'homme, expose le savant et le sage à la haine et à la persécution de l'ignorant et de l'enthousiaste, et arrose de temps en temps la terre du sang d'eux tous."
Diderot, De la suffisance de la religion naturelle, 1746, § 27.
"C'est un noble privilège, pour la raison humaine, de s'élever à la connaissance de l'Être suprême et de pouvoir inférer, à partir des œuvres visibles de la nature, un principe aussi sublime que son Créateur suprême ; mais voyez le revers de la médaille. Observez la plupart des nations et la plupart des époques. Examinez les principes religieux qui se sont en fait imposés dans le monde. Vous vous persuaderez avec peine qu'ils sont autre chose que les rêves d'un homme malade. […]
Il n'est en théologie aucune absurdité si manifeste, qui n'ait été embrassée un jour ou l'autre par des hommes doués de l'intelligence la plus grande et la plus raffinée. Il n'est aucun précepte si rigoureux, qui n'ait été adopté par les hommes les plus voluptueux et les plus dépravés. […]
Le tout est un abîme, une énigme, un mystère inexplicable. Le doute, l'incertitude, la suspension de jugement semblent les seuls résultats de notre examen le plus attentif sur ce sujet. Mais telle est la fragilité de la raison humaine, et telle est l'irrésistible contagion de l'opinion, que nous aurions peine à maintenir jusqu'à ce doute délibéré, si nous n'élargissions pas notre vue, et si, opposant une espèce de superstition à une autre, nous ne les maintenions pas en guerre, pendant que de notre côté, les laissant à leurs fureurs et à leurs combats, nous avons le bonheur de nous échapper vers les régions calmes, quoique obscures, de la philosophie."
Hume, L'Histoire naturelle de la religion, 1757, Section XV, Vrin, 1996, tr. fr. Michel Malherbe, p. 103-105.
"Noble privilège de la raison humaine que d'atteindre à la connaissance de l'Être Suprême, de pouvoir conclure, des œuvres visibles de la nature, à un principe aussi sublime que le Suprême Créateur ! Mais voyons le revers de la médaille. Observons la plupart des nations et des âges. Examinons les principes religieux qui, en fait, ont prévalu dans le monde. On aura grand mal à se persuader qu'ils soient autre chose que des rêveries d'esprits malades... Point d'absurdités théologiques, si flagrantes qu'elles fussent, qui n'aient été une fois embrassées par des hommes d'une intelligence aussi vaste et cultivée que possible. Point de préceptes religieux si rigoureux qui n'aient été adoptés par les plus voluptueux et les plus relâchés des hommes... Tout cela est un casse-tête, une énigme, un mystère inexplicable. Doute, incertitude, suspension du jugement, rien d'autre ne semble résulter de l'examen le plus approfondi de ce sujet. Mais telle est la fragilité de la raison humaine, et telle est l'irrésistible contagion de l'opinion que nous avons le plus grand mal à nous en tenir à ce doute si délibéré, à moins d'étendre notre regard jusqu'à toutes sortes de superstitions afin de les mettre en conflit les unes avec les autres, cependant que nous-mêmes, durant leurs furieux démêlés, trouvons notre bonheur dans la fuite vers les régions paisibles, quoique obscures, de la philosophie."
Hume, L'Histoire naturelle de la religion, 1757, Section XV.
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