"Je remarque aussi que la grandeur d'un bien, à notre égard, ne doit pas seulement être mesurée par la valeur de la chose en quoi il consiste, mais principalement aussi par la façon dont il se rapporte à nous ; et qu'outre que le libre arbitre est de soi la chose la plus noble qui puisse être en nous, d'autant qu'il nous rend en quelque façon pareils à Dieu, et semble nous exempter de lui être sujets et que par conséquent, son bon usage est le plus grand de tous nos biens, il est aussi celui qui est le plus proprement nôtre et qui nous importe le plus, d'où il suit que ce n'est que de lui que nos plus grands contentements peuvent procéder. Aussi voit-on par exemple que le repos d'esprit et la satisfaction intérieure que sentent en eux-mêmes ceux qui savent qu'ils ne manquent jamais à faire leur mieux, tant pour connaître le bien que pour l'acquérir, est un plaisir sans comparaison plus doux, plus durable et plus solide que tous ceux qui viennent d'ailleurs."
René Descartes, Lettre à la reine Christine de Suède - Egmond, 20 novembre 1647.
"Renoncer à sa liberté, c'est renoncer à sa qualité d'homme, aux droits de l'humanité, même à ses devoirs. Il n'y a nul dédommagement possible pour quiconque renonce à tout. Une telle renonciation est incompatible avec la nature de l'homme ; et c'est ôter toute moralité à ses actions que d'ôter toute liberté à sa volonté. Enfin, c'est une convention vaine et contradictoire de stipuler d'une part une autorité absolue et de l'autre une obéissance sans bornes. N'est-il pas clair qu'on n'est engagé à rien envers celui dont on a droit de tout exiger, et cette seule condition, sans équivalent, sans échange n'entraîne-t-elle pas la nullité de l'acte. Car quel droit mon esclave aurait-il contre moi, puisque tout ce qu'il a m'appartient et que son droit étant le mien, ce droit de moi contre moi-même est un mot qui n'a aucun sens."
Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat Social, 1752, Livre I, Chapitre 4 : De l'esclavage.
"J'avoue ne pas pouvoir me faire très bien à cette expression dont usent aussi des hommes sensés : un certain peuple (en train d'élaborer sa liberté légale) n'est pas mûr pour la liberté ; les serfs d'un propriétaire terrien ne sont pas encore mûrs pour la liberté ; et de même aussi, les hommes ne sont pas encore mûrs pour la liberté de conscience. Dans une hypothèse de ce genre la liberté ne se produira jamais ; car on ne peut mûrir pour la liberté, si l'on n'a pas été mis au préalable en liberté (il faut être libre pour se servir utilement de ses forces dans la liberté). Les premiers essais en seront sans doute grossiers, et liés d'ordinaire à une condition plus pénible et plus dangereuse que lorsque l'on se trouvait encore sous les ordres, mais aussi confié au soin d'autrui ; cependant jamais on ne mûrit pour la raison autrement que grâce à ses tentatives personnelles (qu'il faut être libre de pouvoir effectuer). Je ne fais pas d'objection à ce que ceux qui détiennent le pouvoir renvoient encore loin, bien loin, obligés par les circonstances, le moment d'affranchir les hommes de ces trois chaînes. Mais ériger en principe que la liberté ne vaut rien de manière générale pour ceux qui leur sont assujettis et qu'on ait le droit de les en écarter pour toujours, c'est là une atteinte aux droits régaliens de la divinité elle-même qui a créé l'homme pour la liberté. Il est plus commode évidemment de régner dans l'État, la famille et l'Église quand on peut faire aboutir un tel principe. Mais est-ce aussi plus juste ?"
Kant, La Religion dans les limites de la simple raison, 1794, IVème partie, 2ème section, § 4, note 1, trad. Gibelin, Vrin, 1952, p. 245.
"La nature de l'esprit se reconnaît à ce qui en est le parfait contraire. De même que la substance de la matière est la pesanteur, nous devons dire que la substance, l'essence de l'esprit est la liberté. Chacun admet volontiers que l'esprit possède aussi, parmi d'autres qualités, la liberté ; mais la philosophie nous enseigne que toutes les qualités de l'esprit ne subsistent que grâce à la liberté, qu'elles ne sont toutes que des moyens en vue de la liberté, que toutes cherchent et produisent seulement celle-ci ; c'est une connaissance de la philosophie spéculative que la liberté est uniquement ce qu'il y a de vrai dans l'esprit. La matière est pesante en tant qu'elle se dirige vers un centre ; elle est essentiellement complexe ; elle se trouve hors de l'unité et la cherche, elle cherche donc à s'anéantir elle-même, elle cherche son contraire ; si elle l'atteignait elle ne serait plus la matière, elle aurait disparu, elle tend à l'idéalité, car dans l'unité, elle est idéale. L'esprit au contraire a justement en lui même son centre ; il n'a pas l'unité hors de lui mais il l'a trouvée ; il est en soi et avec soi. La matière a sa substance en dehors d'elle ; l'esprit est, l'être-en-soi-même. Cela est justement la liberté, car si je suis dépendant je me rapporte à autre chose que je ne suis pas; je ne puis exister sans, quelque chose hors de moi; je suis libre quand je suis en moi. Cet état de l'esprit, d'être en soi, c'est la conscience, la conscience de soi. Il faut dans la conscience, distinguer deux choses : d'abord le fait que je sais et ensuite ce que je sais. Ces deux choses se confondent dans la conscience de soi, car l'esprit se sait lui-même il est le jugement de sa propre nature, il est aussi l'activité par laquelle il revient à soi, se produit ainsi, se fait ce qu'il est en soi. D'après cette définition abstraite, on peut dire de l'histoire universelle qu'elle est la représentation de l'esprit dans son effort pour acquérir le savoir de ce qu'il est ; et comme le germe porte en soi la nature entière de l'arbre, le goût, la forme des fruits, de même les premières traces de l'esprit contiennent déjà aussi virtuellement toute l'histoire. Les orientaux ne savent pas encore que l'esprit ou l'homme en tant que tel est en soi libre ; parce qu'ils ne le savent pas, ils ne le sont pas ; ils savent uniquement qu'un seul est libre ; c'est pourquoi une telle liberté n'est que caprice, barbarie, abrutissement de la passion ou encore douceur, docilité de la passion qui n'est elle-même qu'une contingence de la nature ou un caprice. – Cet unique n'est donc qu'un despote et non un homme libre. Chez les Grecs s'est d'abord levée la conscience de la liberté, c'est pourquoi ils furent libres, mais eux, aussi bien que les Romains savaient seulement que quelques-uns sont libres, non l'homme, en tant que tel. Cela, Platon même et Aristote ne le savaient pas ; c'est pourquoi non seulement les Grecs ont eu des esclaves desquels dépendait leur vie et aussi l'existence de leur belle liberté ; mais encore leur liberté même fut d'une part seulement une fleur, due au hasard, caduque, renfermée en d'étroites bornes et d'autre part aussi une dure servitude de ce qui caractérise l'homme,de l'humain. – Seules les nations germaniques sont d'abord arrivées dans le Christianisme, que l'homme en tant qu'homme est libre, que la liberté spirituelle constitue vraiment sa nature propre ; cette conscience est apparue d'abord dans la religion, dans la plus intime région de l'esprit ; mais faire pénétrer ce principe dans le monde, était une tâche nouvelle dont la solution et l'exécution exigent un long et pénible effort d'éducation. Ainsi, par exemple, l'esclavage n'a pas cessé immédiatement avec l'adoption du christianisme ; encore moins la liberté a-t-elle aussitôt régné dans les États et les gouvernements et constitutions ont-ils été rationnellement organisés ou même fondés sur le principe de liberté. Cette application du principe aux affaires du monde, la transformation et la pénétration par lui de la condition du monde, voilà le long processus qui constitue l'histoire elle-même. J'ai déjà appelé l'attention sur la différence entre ce principe comme tel et son application, c'est-à-dire son introduction et sa réalisation dans la réalité de l'esprit et de la vie : c'est une détermination fondamentale de notre science et il faut s'en bien souvenir. Comme on a provisoirement souligné ici cette différence par rapport au principe chrétien de la conscience, la liberté, elle s'établit aussi essentiellement pour le principe de la liberté en général. L'histoire universelle est le progrès dans la conscience de la liberté – progrès dont nous avons à reconnaître la nécessité."
Hegel, Leçons sur la philosophie de l'histoire, 1822-1823, Introduction, tr. fr. Jean Gibelin, Vrin, 1985, p. 27-28.
"La liberté est l'essence de l'homme, à un point tel que même ses adversaires la réalisent, bien qu'ils en combattent la réalité ; ils veulent s'approprier comme de la parure la plus précieuse ce qu'ils ont rejeté comme parure de la nature humaine.
Nul ne combat la liberté ; il combat tout au plus la liberté des autres. Toute espèce de liberté a donc toujours existé, seulement tantôt comme privilège particulier, tantôt comme droit général."
Karl Marx, Rheinische Zeitung, n° 132, 12 mai 1842.
"Liberté! mot magique, qui donc es-tu ? N'es-tu qu'un mot, une fleur de rhétorique ? Pourquoi donc, hommes et femmes de l'Amérique, à ce seul mot le sang de vos cœurs coule-t-il plus vite ?
Ah! pour ce mot, vos pères ont versé leur sang, et, plus courageuses encore, vos mères envoyaient à la mort les meilleurs et les plus nobles d'entre leurs fils !
Y a-t-il dans ce mot quelque chose qui le rende plus glorieux et plus cher à une nation qu'à un homme ? La liberté serait-elle donc autre chose pour un peuple que pour les hommes qui le composent ? Qu'est-ce que la liberté pour Georges que voici, les bras croisés sur sa large poitrine, la teinte du sang africain sur ses joues, et tous les feux de l'Afrique dans ses yeux noirs ?... Oui, qu'est-ce que la liberté pour Georges Harris ? Pour vos pères, la liberté, c'était le droit qu'a toute nation d'être une nation ; pour lui c'est le droit qu'a tout homme d'être un homme, et non une brute ! Le droit d'appeler la femme de son cœur sa femme, de la protéger contre toute violence illégale, le droit de protéger et d'élever ses enfants, le droit d'avoir à lui sa maison, sa religion, ses principes, sans dépendre de la volonté d'un autre."
Harriet Beecher-Stowe, La Case de l'oncle Tom, 1852, Chapitre XXXVII, tr. fr. Louis Enault, Le Livre de Poche, 2011, p. 522-523.
"Qui pourra jamais dire les ravissements de ce premier jour de liberté ?
Oh ! il y a un sixième sens, le sens de la liberté , plus noble et plus élevé cent fois que les autres sens ! Se mouvoir, parler, respirer, aller, venir, sans contrôle et sans danger ! Qui pourra jamais dire ce repos béni, qui descend sur l'oreiller d'un homme libre, à qui les lois assurent la jouissance des droits que Dieu lui a donnés ? Qu'il était charmant et beau pour sa mère, ce visage endormi d'un enfant que le souvenir de mille dangers rendait plus cher !... Oh! pour eux, dans l'exubérance de leur félicité, le sommeil ne leur était pas possible : et cependant ils n'avaient pas un pouce de terre à eux, pas un toit qui leur appartînt; ils avaient dépensé jusqu'à leur dernier dollar... Ils avaient ce qu'a l'oiseau dans les airs, la fleur dans les champs... et ils ne pouvaient pas dormir à force de bonheur !
Ah ! vous qui prenez à l'homme la liberté, quelles paroles trouverez-vous pour répondre à Dieu ?"
Harriet Beecher-Stowe, La Case de l'oncle Tom, 1852, Chapitre XXXVII, tr. fr. Louis Enault, Le Livre de Poche, 2011, p. 528.
Date de création : 19/01/2006 @ 13:28
Dernière modification : 02/04/2024 @ 09:14
Catégorie :
Page lue 9471 fois
Imprimer l'article
|