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Texte à méditer :  Soyez philosophe ; mais, au milieu de toute votre philosophie, soyez toujours un homme.  David Hume
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Hors des sentiers battus
La relativité de l'évidence

  "[L'évidence est une qualité relative] […] Outre que c'est trop s'avancer que de matières controversées sont claires et évidentes comme le jour, chacun sait, ou doit savoir que l'évidence est une qualité relative ; c'est pourquoi nous ne pouvons guère répondre, si ce n'est à l'égard des notions communes, que ce qui nous semble évident le doit paraître aussi à un autre. Cette évidence que nous trouvons dans certains objets peut venir ou du biais selon lequel nous les envisageons, ou de la proportion qui se trouve entre nos organes et eux, ou de l'éducation et de l'habitude, ou de quelques autres causes ; ainsi il n'y a point de conséquence de nous à notre prochain, parce qu'un autre homme n'envisage pas les choses du même biais que nous, n'a pas les organes qui servent à la compréhension modifiée comme nous, n'a pas été élevé comme nous, et ainsi du reste. Plusieurs personnes regardent un même tableau, chef-d'œuvre d'un Michel-Ange, et en font mille jugements différents. Celui qui est dans le point de vue, et qui est connaisseur, le trouve admirable ; d'autres qui le regardent d'un autre point, et qui n'ont nul goût, ni habileté, le méprisent. Le connaisseur pourra se moquer tant qu'il lui plaira de leur ignorance, ou en avoir pitié ; mais il serait ridicule s'il les accusait de mentir, et de soutenir malicieusement que le tableau ne vaut rien, pendant qu'ils savent le contraire. Oh ! mais la beauté de ce tableau est invisible qu'il n'y a pas moyen de ne la voir pas ! Qui vous a dit cela, et vous­-même qui la connaissez si bien, voyez-vous la bonté et la beauté de certaines pierreries qu'un joaillier prétend qui doit sauter aux yeux de tout le monde ? Vous trouvez peut-être le vin de Canarie si bon, que vous croyez qu'il ne faut qu'avoir une langue pour sentir cette bonté ; mais combien y a-t-il de gens qui valent autant que vous, et qui ne boivent que de l'eau, qui ne sauraient mettre dans leur bouche ce vin sans le trouver très mauvais. Ainsi c'est une ignorance crasse du monde, et de l'homme principalement, que de juger du goût d'autrui par le nôtre."

 

Pierre Bayle, Commentaire philosophique sur ces paroles de Jésus-Christ « Contrains-les d'entrer », 1686, II, 1, Champion Classiques, 2014, p. 185-186.


 

  "Nous devons distinguer, d'une part, nos expériences subjectives ou nos sentiments de conviction, lesquels ne peuvent jamais justifier un énoncé (bien qu'ils puissent faire l'objet d'un examen psychologique) et, d'autre part, les relations logiques objectives existant entre les divers systèmes d'énoncés et à l'intérieur de chacun d'eux. […]
  […] une expérience subjective ou un sentiment de conviction ne peut jamais justifier un énoncé, scientifique et ne peut jouer dans la science d'autre rôle que celui d'objet d'une enquête empirique (psychologique). Aussi intense soit-il, un sentiment de conviction ne peut jamais justifier un énoncé. Ainsi, je puis être intimement convaincu, tout à fait certain, de l'évidence de mes perceptions, confondu par l'intensité de mon expérience, le moindre doute peut me sembler absurde. Mais cela fournit-il à la science la moindre raison d'accepter mon énoncé ? Un énoncé peut-il être justifié par le fait que Monsieur X est intimement convaincu de sa vérité ? La réponse est négative et toute autre réponse serait incompatible avec l'idée d'objectivité scientifique. Même le fait, si fermement établi pour moi, que j'éprouve ce sentiment de conviction, ne peut apparaître dans le champ de la science objective sinon sous la forme d'une hypothèse psychologique qui appelle naturellement un test intersubjectif : de la conjecture que j'ai cette conviction, le psychologue, à l'aide de théories psychologiques et autres, peut déduire certaines prévisions relatives à mon comportement, qui peuvent être confirmées ou réfutées au cours de tests expérimentaux. Mais du point de vue de l'épistémologie, il est tout à fait hors de propos de savoir si ma conviction était forte ou faible, si elle venait d'une impression forte ou même irrésistible de certitude indubitable (ou d'une « évidence en soi ») ou simplement d'une présupposition douteuse. Aucune de ces informations n'a un rapport quelconque avec la question de savoir comment les énoncés scientifiques peuvent être justifiés."

 

Karl Popper, La logique de la découverte scientifique, 1934, Trad. N. Thyssen-Rutten et P. Devaux, Bibliothèque scientifique Payot, Paris, 1973, p. 40-41 et p. 43.


 

  "Mes mains dans les poches, je suis absolument « certain » que j'ai cinq doigts à chaque main ; mais si la vie de mon meilleur ami devait dépendre de la vérité de cette proposition, il se pourrait (et ce serait, je crois, mon devoir) que je sorte mes mains de mes poches pour me rendre « deux fois plus sûr » que je n'ai pas perdu l'un ou l'autre de mes doigts miraculeusement.
  À quoi aboutit tout ceci ? À montrer que la « certitude absolue » est une idée limite, et que la « certitude »  éprouvée ou subjective ne dépend pas seulement du degré de croyance et du sentiment d'évidence, mais aussi de la situation - de l'importance de l'enjeu. En outre, pour peu que l'enjeu soit suffisamment important, je puis être amené à reconsidérer radicalement le sentiment d'évidence que j'ai en faveur d'une proposition, même s'il s'agit, je le sais bien, d'une vérité triviale[1]. Ce qui montre qu'il n'est pas impossible de renforcer même la plus certaine des certitudes. La « certitude » n'est pas - à strictement parler – une mesure de la croyance. C'est plutôt la mesure d'une croyance relativement à une situation instable ; car dans l'urgence globale de la situation où j'agis, il y a de nombreux aspects, et je peux passer tantôt de l'un à l'autre. La certitude complète n'a donc pas le caractère d'un maximum ou d'un terme. Il peut toujours y avoir une certitude qui soit encore plus assurée".

 

Karl Popper, Les deux visages du sens commun, in La connaissance objective, 1970, trad. J-J Rosat, Champs Flammarion, 1998, p. 144.


[1] Ce qui est extrêmement commun, rebattu.

 

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Date de création : 19/03/2016 @ 17:05
Dernière modification : 19/03/2016 @ 17:05
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