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   |  | Liberté, ordre et sécurité |  |  
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 "Il y a un passage très périlleux dans la vie des peuples démocratiques.  Lorsque le goût des jouissances  matérielles se développe chez un de ces peuples plus rapidement que les  lumières et que les habitudes de la liberté, il vient un moment où les  hommes sont emportés et comme hors d'eux-mêmes, à la vue de ces biens  nouveaux qu'ils sont prêts à saisir. Préoccupés du seul soin de faire  fortune, ils n'aperçoivent plus le lien étroit qui unit la fortune  particulière de chacun d'eux à la prospérité de tous. Il n'est pas  besoin d'arracher à de tels citoyens les droits qu'ils possèdent ; ils  les laissent volontiers échapper eux-mêmes […]  Si, à ce moment critique, un  ambitieux habile vient à s'emparer du pouvoir, il trouve que la voie à  toutes les usurpations est ouverte. Qu'il veille quelque temps à ce que  tous les intérêts matériels prospèrent, on le tiendra aisément quitte du  reste. Qu'il garantisse surtout le bon ordre. Les hommes qui ont la  passion des jouissances matérielles découvrent d'ordinaire comment les  agitations de la liberté troublent le bien-être, avant que d'apercevoir  comment la liberté sert à se le procurer ; et, au moindre bruit des  passions politiques qui pénètrent au milieu des petites jouissances de  leur vie privée, ils s'éveillent et s'inquiètent ; pendant longtemps la  peur de l'anarchie les tient sans cesse en suspens et toujours prêts à  se jeter hors de la liberté au premier désordre.  Je conviendrai sans peine que la paix  publique est un grand bien ; mais je ne veux pas oublier cependant que  c'est à travers le bon ordre que tous les peuples sont arrivés à la  tyrannie. Il ne s'ensuit pas assurément que les peuples doivent mépriser  la paix publique ; mais il ne faut pas qu'elle leur suffise. Une nation  qui ne demande à son gouvernement que le maintien de l'ordre est déjà  esclave au fond du coeur ; elle est esclave de son bien-être, et l'homme  qui doit l'enchaîner peut paraître. […]  Il n'est pas rare de voir alors sur  la vaste scène du monde, ainsi que sur nos théâtres, une multitude  représentée par quelques hommes. Ceux-ci parlent seuls au nom d'une  foule absente ou inattentive ; seuls ils agissent au milieu de  l'immobilité universelle ; ils disposent, suivant leur caprice, de  toutes choses, ils changent les lois et tyrannisent à leur gré les  moeurs ; et l'on s'étonne en voyant le petit nombre de faibles et  d'indignes mains dans lesquelles peut tomber un grand peuple…  Le naturel du pouvoir absolu, dans les siècles démocratiques, n'est ni cruel ni sauvage, mais il est minutieux et tracassier."   Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, 1840, vol. II, 2e partie, chapitre 14. 
 "La liberté individuelle n'est donc nullement un produit culturel. C'est avant toute civilisation qu'elle était la plus grande, mais aussi sans valeur le plus souvent, car l'individu n'était guère en état de se défendre. Le développement de la civilisation lui impose des restrictions, et la justice exige que ces restrictions ne soient épargnées à personne. Quand une communauté humaine sent s'agiter en elle une poussée de liberté, cela peut répondre à un mouvement de révolte contre une injustice patente, devenir ainsi favorable à un nouveau progrès culturel et demeurer compatible avec lui. Mais cela peut être aussi l'effet de la persistance d'un reste de l'individualisme indompté et former alors la base de tendances hostiles à la civilisation. La poussée de liberté se dirige de ce fait contre certaines formes ou certaines exigences culturelles, ou bien même contre la civilisation."
 
 
 
 Freud, Malaise dans la civilisation, 1929, Presses Universitaires de France, 1971, p. 45.
 
 Date de création : 19/01/2006 @ 13:32Dernière modification : 01/11/2011 @ 14:55
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