"Dans la langue il n'y a que des différences. [...] Qu'on prenne le signifié ou le signifiant, la langue ne comporte ni des idées ni des sons qui préexisteraient au système linguistique, mais seulement des différences conceptuelles et des différences phoniques issues de ce système. Ce qu'il y a d'idée ou de matière phonique dans un signe importe moins que ce qu'il y a autour de lui dans les autres signes. La preuve en est que la valeur d'un terme peut être modifiée sans qu'on touche ni à son sens ni à ses sons, mais seulement par le fait que tel autre terme voisin aura subi une modification. […]
Un système linguistique est une série de différences de sons combinées avec une série de différences d’idées ; mais cette mise en regard d’un certain nombre de signes acoustiques avec autant de découpures faites dans la masse de la pensée engendre un système de valeurs ; et c’est ce système qui constitue le lien effectif entre les éléments phoniques et psychiques à l’intérieur de chaque signe. […]
Les synonymes craindre, redouter n'existent que l'un à côté de l'autre ; craindre s'enrichira de tout le contenu de redouter tant que redouter n'existera pas. Il en serait de même de chien, loup, quoiqu'on les considère comme des signes isolés. […] Un signe appelle l'idée, (dépend) d'un système de signes (voilà ce qui est négligé), tous les signes sont solidaires. Un signe ne peut être défini que par ce qui l'entoure. Deux synonymes ne vivent que l'un vis-và-vis de l'autre, par rapport à l'autre. Même allons plus loin : chien désignera le loup tant que le mot loup n'existera pas. Le mot, donc, dépend du système ; il n'y a pas de signe isolé.
[...]
Si vous augmentez d'un signe la langue, vous diminuez d'autant la signification des autres. Réciproquement, si par impossible on n'avait choisi au début que deux signes, toutes les significations se seraient réparties sur ces deux signes. L'un aurait désigné une moitié des objets, et l'autre, l'autre moitié."
Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, 1916, Payot, 1975, p. 166-167, p. 49 et p. 159 de l'édition critique, 1989.
"Je pense que tout problème est de langage, nous le disions pour l'art. Le langage réapparaît comme le fait culturel par excellence, et cela à plusieurs titres ; d'abord parce que le langage est une partie de la culture, l'une de ces aptitudes ou habitudes que nous recevons de la tradition externe ; en second lieu, parce que le langage est l'instrument essentiel, le moyen privilégié par lequel nous nous assimilons la culture de notre groupe... un enfant apprend sa culture parce qu'on lui parle ; on le réprimande, on l'exhorte, et tout cela se fait avec des mots ; enfin et surtout, parce que le langage est la plus parfaite de toutes les manifestations d'ordre culturel qui forment, à un titre ou à l'autre, des systèmes, et si nous voulons comprendre ce que c'est que l'art, la religion, le droit, peut-être même la cuisine ou les règles de la politesse, il faut les concevoir comme des codes formés par l'articulation de signes, sur le modèle de la communication linguistique."
Georges Charbonnier, Entretiens avec Lévi-Strauss, 1961, Éd. 10/18, 1969, p. 184.
"Quand les linguistes ont commencé, à l'instar de F. de Saussure, à envisager la langue en elle-même et pour elle-même, ils ont reconnu ce principe qui allait devenir le principe fondamental de la linguistique moderne, que la langue forme un système. Ceci vaut pour toute langue, quelle que soit la culture où elle est en usage, à quelque état historique que nous la prenions. De la base au sommet, depuis les sons jusqu'aux formes d'expression les plus complexes, la langue est un arrangement systématique de parties. Elle se compose d'éléments formels articulés en combinaisons variables, d'après certains principes de structure. Voilà le second terme clé de la linguistique, la structure. On entend d'abord par là la structure du système linguistique, dévoilée progressivement à partir de cette observation qu'une langue ne comporte jamais qu'un nombre réduit d'éléments de base, mais que ces éléments, peu nombreux en eux-mêmes, se prêtent à un grand nombre de combinaisons. On ne les atteint même qu'au sein de ces combinaisons. Or l'analyse méthodique conduit à reconnaître qu'une langue ne retient jamais qu'une petite partie des combinaisons, fort nombreuses en théorie, qui résulteraient de ces éléments minimaux librement assemblés. Cette restriction dessine certaines configurations spécifiques, variables selon les systèmes linguistiques envisagés. C'est là d'abord ce qu'on entend par structure : des types particuliers de relations articulant les unités d'un certain niveau.
Chacune des unités d'un système se définit ainsi par l'ensemble des relations qu'elle soutient avec les autres unités, et par les oppositions où elle entre ; c'est une entité relative et oppositive disait Saussure. On abandonne donc l'idée que les données de la langue valent par elles-mêmes et sont des « faits » objectifs des grandeurs absolues, susceptibles d'être considérées isolément. En réalité les entités linguistiques ne se laissent déterminer qu'à l'intérieur du système qui les organise et les domine, et les unes par rapport aux autres. Elles ne valent qu'en tant qu'éléments d'une structure. C'est tout d'abord le système qu'il faut dégager et décrire. On élabore ainsi une théorie de la langue comme système de signes et comme agencement d'unités hiérarchisées."
Émile Benvéniste, Problèmes de linguistique générale, t. I, 1966, chapitre II, Gallimard, tel, 2001, p. 21.
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