"Le traitement psychanalytique ne comporte qu'un échange de paroles entre l'analysé et le médecin. Le patient parle, raconte les évènements de sa vie passée et ses impressions présentes, se plaint, confesse ses désirs et ses émotions. Le médecin s'applique à diriger la marche des idées du patient, éveille ses souvenirs, oriente son attention dans certaines directions, lui donne des explications et observe les réactions de compréhension ou d'incompréhension qu'il provoque ainsi chez le malade.
L'entourage inculte de nos patients, qui ne s'en laisse imposer que par ce qui est visible et palpable, de préférence par des actes tels qu'on en voit se dérouler sur l'écran du cinématographe, ne manque jamais de manifester son doute quant à l'efficacité que peuvent avoir de « simples discours », en tant que moyen de traitement. Cette critique est peu judicieuse et illogique. Ne sont-ce pas les mêmes gens qui savent d'une façon certaine que les malades « s'imaginent » seulement éprouver tels ou tels symptômes ?
Les mots faisaient primitivement partie de la magie, et de nos jours encore le mot garde encore beaucoup de sa puissance de jadis. Avec des mots un homme peut rendre son semblable heureux ou le pousser au désespoir, et c'est à l'aide de mots que le maître transmet son savoir aux élèves, qu'un orateur entraîne ses auditeurs et détermine leurs jugements et décisions. Ne cherchons donc pas à diminuer la valeur que peut présenter l'application de mots à la psychothérapie et contentons nous d'assister en auditeurs à l'échange de mots qui à lieu entre l'analyste et le malade."
Sigmund Freud, Introduction à la psychanalyse, 1917, "Introduction", trad. S. Jankélévitch, Payot, 1987, p. 7-8.
" « Maintenant nous allons donc savoir ce que l'analyse entreprend avec le patient à qui le médecin n'a pu être d'aucun secours. »
Il ne se passe rien d'autre que ceci : ils parlent ensemble. L'analyste n'utilise aucun instrument, pas même pour l'examen, il ne prescrit pas davantage de médicaments. Pour peu que ce soit possible, il laisse même le malade en traitement dans son milieu et sa situation. Ce n'est évidemment pas une condition absolue et même ce n'est pas toujours réalisable. L'analyste convoque le patient à une certaine heure de la journée, le laisse parler, l'entend, puis lui parle et le laisse écouter.
Le visage de notre interlocuteur impartial exprime maintenant un soulagement et une détente indéniables, mais traduit tout aussi nettement un certain dédain. C'est comme s'il pensait : rien que cela ? Des mots, des mots et encore des mots, comme dit le prince Hamlet. Sans doute, le discours ironique de Méphistophélès, qui veut prouver combien il est facile de se payer de mots, lui traverse-t-il également l'esprit – ces vers que nul Allemand n'oubliera jamais.
Il dit aussi : « C'est donc une sorte de magie, vous soufflez sur les souffrances et elles s'envolent. »
Très juste, ce serait de la magie si cela agissait plus vite. Le charme a pour condition essentielle la rapidité, on aimerait dire : la soudaineté du succès. Mais les traitements analytiques réclament des mois, voire des années ; un charme aussi lent perd le caractère du merveilleux. Nous ne voulons d'ailleurs pas mépriser la Parole. N'est-ce pas un instrument puissant, le moyen par lequel nous nous révélons les uns aux autres nos sentiments, la voie par laquelle nous prenons de l'influence sur l'autre ? Des paroles peuvent faire un bien indicible et causer de terribles blessures. Assurément, tout au commencement était l'action, la parole vint plus tard ; ce fut sous maints rapports un progrès culturel quand l'action se modéra et se fit parole. Mais la parole était à l'origine un charme, un acte magique, et elle a conservé encore beaucoup de son ancienne force."
Sigmund Freud, La Question de l'analyse profane, 1925, I, tr. fr. Janine Altounian, Odile et André Bourguignon, Pierre Cotet et Alain Rauzy, Gallimard, 1985, p. 33.
"« Enfin, dit-il, nous allons apprendre ce que l'analyste entreprend avec le malade à qui le médecin ne put être d'aucun secours ! »
Il ne se passe entre eux rien d'autre que ceci : ils causent. L'analyse n'emploie pas d'instruments - pas même pour l'examen du malade - et il n'ordonne pas de médicaments. Chaque fois que cela est possible, il laisse même le malade, pendant le traitement, dans son atmosphère et son entourage. Cela n'est bien entendu pas une condition du traitement et ne peut pas toujours être réalisé. L'analyste fait venir le malade à une certaine heure de la journée, le laisse parler, l'écoute, puis lui parle et le malade l'écoute à son tour.
Notre auditeur impartial manifeste alors un grand soulagement et une détente évidente, mais aussi un certain et net dédain. Il semble vouloir dire : « Rien que ça ? Des mots, des mots et encore des mots », comme dit Hamlet ! Le discours ironique de Méphisto lui passe aussi par l'esprit : que les mots se prêtent à tout.
Aussi dit-il : « C'est donc une sorte de magie ? Vous parlez et ainsi faites envoler les maux. »
Très juste : ce serait de la magie, si cela agissait plus vite ! La magie réclame - attribut essentiel ! -la rapidité, on pourrait dire l'instantanéité du succès. Mais les cures analytiques exigent des mois, voire des années, et une magie aussi lente perd le caractère du merveilleux. D'ailleurs, ne méprisons pas le Verbe ! Il est un instrument de puissance, le moyen par lequel nous communiquons aux autres nos sentiments, le chemin par lequel nous acquérons de l'influence sur les autres hommes. Des paroles peuvent faire un bien qu'on ne peut dire ou causer de terribles blessures. Certes, au commencement était l'acte, le verbe ne vint qu'après ; ce lut sous bien des rapports un progrès de la civilisation quand l'acte put se modérer jusqu'à devenir le mot. Mais le mot fut cependant à l'origine un sortilège, un acte magique, et il a gardé encore beaucoup de sa force antique.
L'auditeur impartial poursuit : « Supposons que le malade ne soit pas mieux préparé que moi à l'intelligence de la cure analytique, comment voulez-vous l'amener à croire à la magie du mot ou du discours, qui doit le délivrer de ses maux ? »
Il faut bien entendu le préparer à sa cure, et un moyen très simple s'offre pour cela. On l'invite à être absolument sincère avec son analyste, à ne rien lui dissimuler avec intention de ce qui lui passe par l'esprit, ensuite à se mettre au-dessus de toutes les réticences qui cherchent à empêcher la communication de telle pensée ou de tel souvenir. Chacun sait receler en lui-même des choses qu'il ne communiquerait aux autres que très à contrecœur, davantage, dont la communication lui semble impossible. Ce sont ses « intimités ». Il pressent aussi - ce qui est un grand progrès dans la connaissance de soi-même - qu'il est d'autres choses que l'on ne voudrait pas s'avouer à soi-même, que l'on se dissimule volontiers, auxquelles on coupe court et que l'on chasse si elles surgissent pourtant dans la pensée. Peut-être notre observateur remarque-t-il même qu'un très curieux problème psychologique est posé par ce fait qu'une de ses propres pensées doit être gardée secrète par rapport à son propre moi. On croirait que son moi n'a plus l'unité qu'il lui attribue toujours ; on penserait qu'il y a en lui encore autre chose qui peut s'opposer à son moi. En soi il peut ainsi obscurément pressentir comme une antithèse entre le moi et une vie psychique au sens plus large. A-t-il accepté la règle fondamentale de l'analyse : tout dire, alors le malade deviendra aisément accessible à l'idée que des rapports et un échange de pensées sous des conditions aussi peu communes puissent aussi amener des réactions toutes particulières."
Sigmund Freud, Psychanalyse et médecine, 1925, I, tr. fr. Marie Bonaparte, Gallimard idées, 1972, p. 100-102.
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