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Texte à méditer :  Avant notre venue, rien de manquait au monde ; après notre départ, rien ne lui manquera.   Omar Khayyâm
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Hors des sentiers battus
Le langage comme fait social

  "Le langage a pour première condition l'existence des sociétés humaines dont il est de son côté l'instrument indispensable et constamment employé ; sauf accident historique, les limites des diverses langues tendent à coïncider avec celles des groupes sociaux qu'on nomme des nations ; l'absence d'unité de langue est le signe d'un État récent, comme en Belgique, ou artificiellement constitué, comme en Autriche ; le langage est donc éminemment un fait social. En effet, il entre exactement dans la définition qu'a proposée Durkheim ; une langue existe indépendamment de chacun des individus qui la parlent, et, bien qu'elle n'ait aucune réalité en dehors de la somme de ces individus, elle est cependant, de par sa généralité, extérieure à chacun d'eux ; ce qui le montre, c'est qu'il ne dépend d'aucun d'entre eux de la changer et que toute déviation individuelle de l'usage provoque une réaction ; cette réaction n'a le plus souvent d'autre sanction que le ridicule auquel elle expose l'homme qui ne parle pas comme tout le monde ; mais, dans les États civilisés modernes, elle va jusqu'à exclure des emplois publics, par des examens, ceux qui ne savent pas se conformer au bon usage admis par un groupe social donné. Les caractères d'extériorité à l'individu et de coercition par lesquels Durkheim définit le fait social apparaissent donc dans le langage avec la dernière évidence."

 

Antoine Meillet, "Comment les mots changent de sens", I, Année sociologique, 9e année, 1904-1905, Édition de 1921.



  "Nous avons constaté l'existence d'un certain nombre de besoins qui sont la raison d'être du langage, qui par leurs actions sur lui et par leurs réactions réciproques le créent et le recréent sans cesse et font de l'origine du langage une réalité pour ainsi dire permanente. Signaler l'existence de ces besoins, dresser leur liste, en faire le classement, examiner leur interaction (alliances et conflits), rechercher à l'aide de quels procédés ils se réalisent, telles sont les tâches de la linguistique fonctionnelle.
  Aller plus avant et se demander d'où viennent ces besoins et dans quelles conditions et pour quelles causes ils peuvent, d'un idiome à l'autre ou d'une époque à l'autre de la même langue, varier dans leur dosage, c'est aborder les problèmes de la linguistique externe.

  Avant de terminer, nous jetterons un coup d'œil sur les rapports de la linguistique fonctionnelle avec la sociologie. Si les besoins que nous avons appelés les constantes du langage varient néanmoins dans une certaine mesure d'une langue à l'autre ou d'une époque à l'autre du même idiome, cette variation a lieu en fonction de l'état social des collectivités qui emploient les langues.
  « Le seul élément variable auquel on puisse recourir pour rendre compte du changement linguistique est le changement social dont les variations du langage ne sont que les conséquences parfois immédiates et directes, et le plus souvent médiates et indirectes. » (Meillet, Linguistique historique et linguistique générale2).

  La société agit sur le langage principalement par la manière dont elle détermine le dosage des besoins linguistiques, d'une langue, d'une classe sociale ou d'une époque à l'autre.
  Le facteur essentiel semble être la plus ou moins grande étendue spatiale (milieux étroits ou étendus) et sociale (milieux fermés ou ouverts). C'est en somme ce que F. de Saussure appelait l'opposition entre l'esprit de clocher et la force d'intercourse.
  On remarquera, dans les langues de petite communication – civilisations anciennes (peuples de langue indo-européenne), sociétés inférieures (sauvages), milieux professionnels, sectes, etc. –  le rôle énorme joué par le besoin de différenciation et le conformisme : pullulement des différences lexicales, rareté des termes génériques, surabondance et complication des catégories grammaticales, etc. Les langues de grande communication, employées par les civilisations que caractérise la force d'intercourse (Chinois, Européens modernes), manifestent au contraire une tendance très forte à l'économie (brièveté et invariabilité) : appauvrissement graduel du lexique et extension parallèle de l'emploi des signes, nombre plus restreint et simplification des catégories grammaticales, interchangeabilité des pièces du système, monosyllabisme, etc.
  Rien n'est plus remarquable que le langage pour montrer cette opposition, que l'on constate également dans les autres institutions sociales."

 

Henri Frei, La Grammaire des fautes, 1929, conclusion, P. Geuthner, p. 291-292.



  "La parole est donc la fonction humaine d'intégration sociale. Une sociologie de la parole s'impose si l'on veut explorer la réalité humaine du langage, considéré ici comme la dimension propre de la communication. Le champ d'étude ainsi ouvert paraît extrêmement vaste, dans la mesure où il correspond à des structures et à des intentions très variées. Tout d'abord, le langage réunissant plusieurs personnes dans une entente plus ou moins complète, suppose un domaine de référence commun, donné dès le départ et que le développement de la communication ne cesse de remanier. Mais ce domaine de référence lui-même n'est pas simple ; il se multiplie à l'analyse. Sa première forme, et la plus apparente, est celle du vocabulaire et de la grammaire : l'échange de paroles implique la reconnaissance tacite d'un langage, garanti par une autorité sociale. L'usage de la langue se réfère lui-même à certaines règles de pensée. On ne peut s'entendre dans une discussion ou même dans une simple conversation, si l'on n'est pas d'accord sur les règles d'articulation des pensées, de convenance ou de disconvenance des idées entre elles. L'usage commun de la parole présuppose cet autre pacte social d'une logique, ensemble de normes pour la correction du raisonnement. […]
  Le monologue apparaît comme la forme la plus réduite de cette sociologie de la parole. Langage du solitaire, dont l'usage est tout personnel, une sorte de début dans l'aventure oratoire. […]. En tout cas, le monologue n'est pas le point de départ de la parole, il serait bien plutôt une chute au-dessous de son niveau normal, l'affirmation d'un repli ou d'une sécession. […]

  Le point de départ pour l'usage de la parole n'est donc pas le monologue, mais le dialogue. […] Le dialogue authentique scelle la rencontre des hommes de bonne volonté, dont chacun porte pour l'autre témoignage non de soi seulement, mais des valeurs communes. […]
  Lorsque le nombre des interlocuteurs dépasse deux, le dialogue fait place à la conversation. L'intimité décroît à mesure que se multiplient les participants, car le domaine de référence implicite de la causerie, dénominateur commun de l'assemblée, sera d'autant moins personnel qu'il met en cause plus d'individualités différentes. Plus on est, moins on se confie. La conversation est pourtant l'un des modes les plus significatifs de l'être ensemble ; les romanciers l'ont abondamment décrit, mais il semble que sociologues et psychologues ne lui aient pas donné toute l'attention qu'il mérite. "

 

Georges Gusdorf, La parole, 1952, PUF, p. 89, p. 93 et p. 97-98.

 

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Date de création : 17/01/2017 @ 11:11
Dernière modification : 26/03/2017 @ 16:46
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