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Texte à méditer :   Les vraies révolutions sont lentes et elles ne sont jamais sanglantes.   Jean Anouilh
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Hors des sentiers battus
Le pouvoir de la majorité

  "Dans un État démocratique, des ordres absurdes ne sont guère à craindre, car il est presque impossible que la majorité d'une grande assemblée se mette d'accord sur une seule et même absurdité. Cela est peu à craindre, également, à raison du fondement et de la fin de la démocratie, qui n'est autre que de soustraire les hommes à la domination absurde de l'appétit et à les maintenir, autant qu'il est possible, dans les limites de la raison, pour qu'ils vivent dans la concorde et dans la paix. Ôté ce fondement, tout l'édifice s'écroule aisément. Au seul souverain, donc, il appartient d'y pourvoir ; aux sujets, il appartient d'exécuter ses commandements et de ne reconnaître comme droit que ce que le souverain déclare être le droit.
  Peut-être pensera-t-on que, par ce principe, nous faisons des sujets des esclaves ; on pense en effet que l'esclave est celui qui agit par commandement et l'homme libre celui qui agit selon son caprice. Cela cependant n'est pas absolument vrai ; car en réalité, celui qui est captif de son plaisir, incapable de voir et de faire ce qui lui est utile, est le plus grand des esclaves, et seul est libre celui qui vit, de toute son âme, sous la seule conduite de la raison."

 

Spinoza, Traité théologico-politique, 1670, chapitre XVI, tr. fr. Jacqueline Lagrée et Pierre-François Moreau, PUF, 1999, p. 649.



  "Personne n'a jamais entendu la souveraineté du peuple en ce sens qu'après avoir consulté toutes les opinions et toutes les volontés, l'opinion et la volonté du plus grand nombre feraient loi, mais que la minorité serait libre de ne pas obéir à ce qui aurait été décidé contre son opinion et sa volonté. Ce serait là cependant la conséquence nécessaire du prétendu droit attribué à chaque individu de n'être gouverné que par des lois qu'il aurait consenties. L'absurdité de la conséquence n'a pas toujours fait abandonner le principe, mais elle l'a toujours fait violer. La souveraineté du peuple s'est démentie dès ses premiers pas, en se réduisant à n'être plus que l'empire de la majorité sur la minorité. Il est presque ridicule de dire que la minorité peut se retirer ; ce serait tenir la société en dissolution permanente. À chaque occasion la majorité et la minorité varieraient, et si toutes les minorités se retiraient, il n'y aurait bientôt plus de société. Il faut donc bien accepter la souveraineté du peuple réduite à n'être plus que la souveraineté de la majorité. Ainsi réduite, qu'est-elle ?
  Son principe est que la majorité a droit par cela seul qu'elle est majorité. Mais dans l'idée de majorité entrent deux éléments très-différents l'idée d'une opinion qui est accréditée, et celle d'une force qui est prépondérante. Comme force, la majorité n'a aucun droit que celui de la force même qui ne peut être, à ce titre seul, la souveraineté légitime. Comme opinion, la majorité est-elle infaillible ? sait-elle et veut-elle toujours la raison, la justice, qui sont la vraie loi et confèrent seules la souveraineté légitime ? L'expérience dépose dit contraire. La majorité en tant que majorité c'est-à-dire en tant que nombre, ne possède donc la souveraineté légitime ni en vertu de la force qui ne la confère jamais ni en vertu de l'infaillibilité qu'elle n'a point.

  Le principe de la souveraineté du peuple part de la supposition que chaque homme possède, par son droit de naissance, non-seulement un droit égal à être bien gouverné, mais encore un droit égal à gouverner les autres. Comme les gouvernements aristocratiques, il attache le droit de gouverner, non à la capacité, mais à la naissance. Le gouvernement aristocratique, c'est la souveraineté du peuple dans la minorité. La souveraineté du peuple, c'est le despotisme et le privilège aristocratiques dans la majorité. Dans les deux cas, le principe est le même principe contraire, 1° au fait de l'inégalité établie par la nature entre les capacités et les puissances individuelles; 2° au fait de l'inégalité de capacité provoquée par la différence des positions, différence qui existe partout et qui a sa source primitive dans l'inégalité naturelle ; 3° à l'expérience du monde qui a toujours vu les timides suivre le brave, les moins habiles obéir à l'habile, en un mot les infériorités naturelles reconnaître les supériorités naturelles et leur obéir. Le principe de la souveraineté du peuple, c'est-à-dire le droit égal des individus à l'exercice de la souveraineté, ou seulement le droit de tous les individus de concourir à l'exercice de la souveraineté, est donc radicalement faux car, sous prétexte de maintenir l'égalité légitime, il introduit violemment l'égalité où elle n'est pas, et viole l'inégalité légitime. Les conséquences de ce principe sont le despotisme du nombre, la domination des infériorités sur les supériorités, c'est-à-dire, la plus violente et la plus inique des tyrannies. "

 

François Guizot, Histoire des origines du gouvernement représentatif et des institutions européennes, 1822, Didier, 1880, p. 106-108.



  "On peut essentiellement se poser trois questions à propos du gouvernement. La première : à quelle autorité le peuple peut-il, pour son bien, être soumis ? La seconde : comment peut-on l'amener à obéir à celle-ci ? Les réponses à ces deux questions peuvent varier indéfiniment selon le degré et la forme de civilisation et de culture auxquels est déjà parvenu un peuple ainsi que son aptitude à les améliorer. Mais la troisième de ces questions, qui est de savoir par quels moyens les abus de ce pouvoir peuvent être contrôlés, ne souffre pas tant de variations quant à sa réponse. Et c'est à cette seule question que Bentham s'est vraiment intéressé pour lui donner la seule réponse possible : la Responsabilité, la responsabilité envers ceux dont l'intérêt, évident et parfaitement identifié, s'accorde avec le but recherché, celui d'un bon gouvernement. Ceci accordé, il faut ensuite se demander dans quel groupe d'individus on peut trouver réalisée cette identité entre l'intérêt (personnel) et le bon gouvernement, c'est-à-dire l'intérêt de toute la communauté. Dans rien de moins, répond Bentham, que dans la majorité numérique. Et nous ajoutons, quant à nous, que ce n'est même pas dans la majorité numérique elle-même ; car jamais l'intérêt d'une portion quelconque, inférieure au tout, de la communauté ne coïncidera en permanence et sur tous les points avec l'intérêt de tous. Mais puisque le pouvoir qui est donné à tous revient en fait, dans un gouvernement représentatif, à la majorité, il nous faut retourner à notre première question, à savoir quelle est l'autorité à laquelle le peuple doit se soumettre pour son bien ? Si l'on répond qu'il faut qu'il se soumettre à ceux qui constituent la majorité, le système de Bentham devient indiscutable."

 

John Stuart Mill, Essai sur Bentham, 1838, tr. fr. Patrick Thierry, PUF, 1998, p. 225-226.


 

  "Il doit exister, comme il va de soi dans toute société, un pouvoir qui l'emporte sur tout autre ; que ce pouvoir doive résider dans la majorité paraît être ce qu'il y a de plus juste : non pas juste en soi, mais moins injuste que toute autre solution. Mais il est nécessaire que les institutions sociales comportent des dispositions convenables pour que soit maintenue en existence une forme d'opposition permanente à la volonté de la majorité, afin de corriger ses vues partielles et de protéger tant la liberté de penser que l'individualité du caractère. Les pays qui ont su progresser durablement ou se conserver dans leur grandeur sont ceux où l'on trouve une opposition organisée face au pouvoir dominant, quel qu'il soit – les plébéiens face aux patriciens, le clergé aux rois, les libres penseurs au clergé, les rois aux barons, les communes aux rois et à l'aristocrate."

 

John Stuart Mill, Essai sur Bentham, 1838, tr. fr. Patrick Thierry, PUF, 1998, p. 228-229.


 

  "Bien que lors d'un vote les individus soient considérés comme égaux, ou plutôt parce qu'il en est ainsi, la majorité – qu'elle ait été constituée par un vote direct ou au moyen d'un système de représentation – aurait la force physique de contraindre la minorité. La finalité du vote est d'empêcher cet affrontement direct des forces, mais de faire en sorte que le décompte des voix produise le même résultat virtuel, afin que la minorité se persuade de l'inutilité d'une résistance concrète. Il y a donc dans le groupe deux partis qui s'affrontent comme deux groupes entre lesquels les rapports de force, représentés par le vote, sont décisifs. Celui-ci remplit ici le même office méthodologique que les négociations, diplomatiques ou autres, entre des parties qui veulent éviter l'ultima ratio du combat. Finalement ici aussi, quelques exceptions mises à part, l'individu ne cède que lorsque l'adversaire peut lui faire comprendre que si l'on en arrivait à cette extrémité, il y perdrait au moins autant. Le vote, tout comme ces négociations, est une projection des forces concrètes et de leur appréciation sur le plan intellectuel, une anticipation dans un symbole abstrait de l'issue d'une bataille et d'une violence réelles. En tout cas, il représente les rapports de force réels et la contrainte de subordination qu'ils imposent à la minorité. Mais il est  parfois sublimé, passant de la forme physique à la forme éthique. À la fin du Moyen Âge, si l'on rencontre souvent le principe selon lequel la minorité doit suivre la majorité, cela ne veut évidemment pas dire seulement que la minorité doit participer en pratique à ce qui a été décidé par la majorité : elle doit aussi accepter la volonté de la majorité, reconnaître que celle-ci a ­voulu ce qui était bon. L'unanimité ne règne pas ici comme un fait, mais comme une exigence morale, il faut que l'action produite contre la volonté de la minorité soit légitimée par une unité de la volonté construite après coup. L'exigence concrète d'unanimité de l'époque germanique s'est donc affadie pour devenir une exigence idéale, dans laquelle retentit pourtant un motif tout à fait nouveau : celui d'un droit intérieur de la majorité, qui va au-delà de la supériorité du nombre des votes et de la prépondérance extérieure qu'il symbolise. La majorité apparaît comme le représentant naturel de l'ensemble, et elle participe à cette signification de l'unité du tout qui, au-delà de la simple addition des individus, ne laisse pas d'avoir un ton supra-empirique, mystique. Quand plus tard Grotius affirme que la majorité a naturaliter jus integri, cela définit cet appel inté­rieur adressé à la minorité ; car on n'est pas seulement contraint, mais aussi tenu de reconnaître un droit. Mais que la majorité ait le droit de l'ensemble « par nature », c'est-à-dire par une nécessité intérieure, rationnelle, cela nous conduit de cette nuance du droit du vote majoritaire qui vient d’apparaître, vers son deuxième motif principal, tout aussi important. La voix de la majorité n'exprime plus à présent la voix de la plus grande puissance au sein du groupe, mais le signe que la volonté unitaire du groupe a choisi tel parti."

 

Georg Simmel, Sociologie. Études sur les formes de la socialisation, 1908, tr. fr. Lyliane Deroch-Gurcel et Sibylle Muller, PUF, Quadrige, 2013, p. 212-213.

 

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Date de création : 16/04/2017 @ 17:21
Dernière modification : 22/11/2019 @ 09:20
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