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Texte à méditer :  

Il est vrai qu'un peu de philosophie incline l'esprit de l'homme à l'athéisme ; mais que davantage de philosophie le ramène à la religion.   Francis Bacon


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  "Il existe […] un accord unanime parmi les Grecs pour constater que l'égalité n'est pas une donnée de nature. Ce qui règne dans la nature, c'est l'inégalité : inégalité des forces, inégalité des courages, inégalité des capacités et des talents. Cela n'est pas seulement vrai des hommes ; les dieux, les animaux, les plantes sont eux aussi soumis à cette grande loi de l'inégalité.
  En présence de cette inégalité qui apparaît comme un fait, deux attitudes sont concevables – deux attitudes extrêmes entre lesquelles toute une série d'intermédiaires ou de compromis peuvent bien sûr être imaginés.

  - La première consiste à penser qu'il n'y a de société, de communauté, de cité viable que celle qui respecte la nature et se conforme à sa loi. Puisque les hommes sont inégaux, il faut accepter cette inégalité, et fonder sur elle l'organisation de la cité. Le problème devient alors d'aménager la cité de telle sorte que soit assurée la suprématie des meilleurs : les hommes sont inégaux sous de multiples rapports, et tous ces rapports ne sont pas pareillement pertinents dans le domaine politique, tous ne doivent pas être pris en considération pour créer les conditions d'une vie collective supportable. Ce qui compte, c'est l'inégalité des dons et des aptitudes ; c'est cette inégalité-là qui devra être prise comme base de l'organisation civique, de telle sorte que les plus doués, les plus capables exercent le pouvoir. Le problème politique central devient celui des mécanismes de la sélection, et le régime idéal est l'aristocratie, le gouvernement des meilleurs.
  Il existe en Grèce une longue et vigoureuse tradition aristocratique, dont Sparte est sans doute le représentant et le symbole le plus éminent. À Athènes même, il existe un parti aristocratique, dont Platon est assurément le porte-parole le plus éloquent. C'est à cette tradition aristocratique que nous rattache, que nous le voulions ou non, la critique libérale de l'égalité […].
  - En face de l'inégalité naturelle, une autre attitude est possible. Les partisans de cette seconde attitude discernent avant tout dans l'inégalité naturelle l'inégalité des forces, le déséquilibre, la dissymétrie entre les forts et les faibles. Ce privilège accordé à la question de la force est compréhensible, puisque nous nous occupons de politique, donc de la question du pouvoir. Dans la nature, et parmi les hommes à l'état de nature, avant l'apparition de la loi et la naissance de la cité, il y a des forts et des faibles, et, en quelque sorte par définition, les forts dominent et les faibles sont asservis.
  C'est ce que, dans une formule paradoxale, nous appelons le « droit du plus fort » ; en réalité il n'y a là aucun droit ; la suprématie du plus fort est la constatation d'un fait : du point de vue de la physique ou de la mécanique, entre deux forces inégales, c'est évidemment la plus grande qui l'emporte.
  Cela entraîne une conséquence décisive ; entendue au sens large comme inégalité non seulement des forces physiques, mais aussi des ressources matérielles, intellectuelles et morales, l'inégalité des forces entraîne la généralisation du rapport de domination et de subordination, et la division des hommes entre ceux qui commandent et ceux qui obéissent. En d'autres termes, l'inégalité est exclusive de la liberté.
  Elle exclut la liberté pour les faibles, mais elle l'exclut aussi pour les forts : car dans un monde où les rapports de force sont seuls décisifs, l'avantage est toujours temporaire et contingent ; une coalition de faibles peut toujours venir à bout d'un fort. En conséquence, même pour les forts, la liberté est toujours fragile, précaire, menacée de mort.
  L'inégalité est exclusive de la liberté ; énonçons le même résultat en termes positifs : pour les partisans athéniens de la démocratie, l'égalité est une condition nécessaire de la liberté. On voit à quel point la critique libérale de l'égalité est contraire à la tradition démocratique grecque ; pour la première, l'égalité est un péril pour la liberté ; pour la seconde, l'égalité est au contraire un présupposé de la liberté.
  Bien entendu, nous pouvons pressentir, après Benjamin Constant, que le mot de liberté n'a pas le même sens dans les deux cas. […] pour les démocrates athéniens, être libre, c'est essentiellement ne pas être dominé, n'avoir pas à subir le joug et les caprices d'un maître ; ou encore, être libre, c'est ne pas avoir de supérieur ; et ces termes de domination et de supériorité doivent être entendus dans le sens le plus concret, je dirais même le plus matériel.
  C'est l'expérience du duel ou du combat qui doit être évoquée ici : dans un duel à armes égales, le plus grand l'emporte sur le plus petit ; dans une bataille entre deux armées, celle qui occupe les hauteurs a l'avantage sur celle qui se déploie dans la plaine ; dominer, c'est d'abord surplomber.
  Au contraire, si tous les individus sont placés sur le même plan, nul ne domine et nul n'est dominé ; en conséquence, personne n'est en mesure de commander, et personne n'est contraint d'obéir. Ni commander ni obéir : tel est l'idéal que propose Otanès, le champion de la démocratie, lors du fameux débat relaté par Hérodote sur la constitution de l'Empire perse (III, 80-83). Ni commander ni obéir, telle est la définition grecque de la liberté politique ; on voit bien qu'ainsi entendue la liberté suppose l'égalité à titre de condition nécessaire."

 

Emmanuel Terray, "Égalité des Anciens, égalité des Modernes", in Les Grecs, les Romains et nous. L'Antiquité est-elle moderne ?, Le Monde Éditions, 1991, p. 144-146.

Corrigé proposé :

  Pour les Grecs, la nature est par essence inégalitaire. Cependant, il existe deux manières d'envisager cette inégalité.
  D'un / côté, les aristocrates considèrent qu'il faut suivre la nature, que le pouvoir doit être confié aux meilleurs et que / les institutions politiques doivent donc être inégalitaires. 47

  De l'autre côté, les démocrates estiment que la loi du plus fort / est destructrice de toute liberté, et que par conséquent la liberté politique nécessite l'égalité politique. Ce n'est en / effet qu'en faisant disparaître les relations de domination et de soumission entre les hommes que ceux-ci sont réellement / libres.

101 mots

 

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Date de création : 06/11/2017 @ 09:08
Dernière modification : 06/11/2017 @ 09:08
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