"Nous accédons tous librement à la conscience ; elle bouillonne si aisément et si abondamment dans notre esprit que, sans hésitation ni appréhension, nous la laissons s'éteindre chaque nuit quand nous allons dormir et lui permettons de réapparaître chaque matin quand le réveil sonne, trois cent soixante-cinq fois par an au moins, sans compter les petits sommes. Pourtant, peu de choses en nous sont aussi remarquables, aussi fondatrices et en apparence aussi mystérieuses que la conscience. Sans elle, c'est-à-dire sans un esprit doté d'une subjectivité, nous ne pourrions savoir que nous existons et encore moins qui nous sommes et ce que nous pensons. Sans la subjectivité, même très modeste à ses débuts chez des créatures vivantes plus simples que nous, la mémoire et le raisonnement auraient eu peu de chances de se développer aussi prodigieusement que cela a été le cas ; le langage et la version humaine de la conscience n'auraient pas suivi l'évolution que nous leur connaissons. La créativité ne se serait pas épanouie. Il n'y aurait eu ni musique, ni peinture, ni littérature. L'amour n'aurait pas été l'amour, mais seulement du sexe. L'amitié n'aurait été que coopération intéressée. La douleur ne serait pas devenue la souffrance, ce qui n'aurait pas été un mal quand on y songe, mais plutôt un avantage ambigu dans la mesure où le plaisir n'aurait pas été du bonheur non plus. Bref, si la subjectivité n'était pas apparue, nous ne l'aurions pas su ; par conséquent, il n'y aurait pas eu non plus d'histoire de ce que les créatures ont accompli au cours des âges, ni de culture du tout."
Antonio Damasio, L'Autre moi-même, 2010, tr. fr. Jean-Luc Fidel, Odile Jacob/poches, 2012, p. 10-11.
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