"L'autorité des Jurisconsultes a un grand poids à l'égard de beaucoup de gens, sur ce qui concerne les femmes, parce qu'ils font une profession particulière de rendre à chacun ce qui lui appartient. Ils mettent les femmes sous la puissance de leurs maris, comme les enfants sous celle de leurs pères, et disent que c'est la nature qui leur a assigné les moindres fonctions de la société, et qui les a éloignées de l'autorité publique.
L'on croit être bien fondé de le dire aussi après eux. Mais il est permis, sans blesser le respect qu'ils méritent, de n'être pas en cela de leur sentiment. On les embarrasserait fort, si on les obligeait de s'expliquer intelligiblement sur ce qu'ils appellent Nature en cet endroit, & de faire entendre comment elle a distingué les deux Sexes, comme ils prétendent.
Il faut considérer que ceux qui ont fait ou compilé les Lois, étant des hommes, ont favorisé leur Sexe, comme les femmes auraient peut-être fait si elles avaient été à leur place : et les Lois ayant été faites depuis l'établissement des sociétés, en la manière qu'elles sont à présent à l'égard des femmes, les Jurisconsultes qui avaient aussi leur préjugé, ont attribué à la nature une distinction qui ne vient que de la coutume. Outre qu'il n'était pas nécessaire de changer l'ordre qu'ils trouvaient établi, pour obtenir la fin qu'ils se proposaient, qui était de bien gouverner un État, en exerçant la justice. Enfin s'ils s'opiniâtraient à soutenir que les femmes sont naturellement dépendantes des hommes, on les combattrait par leurs propres principes, puisqu'ils reconnaissent eux-mêmes, que la dépendance et la servitude sont contraires à l'ordre de la nature, qui rend tous les hommes égaux.
La dépendance étant un rapport purement corporel et civil, elle ne doit être considérée que comme un effet du hasard, de la violence ou de la coutume : si ce n'est celle où sont les enfants à l'égard de ceux qui leur ont donné la vie. Encore ne passe-t-elle point un certain âge, où les hommes étant supposés avoir assez de raison et d'expérience pour se pouvoir gouverner eux-mêmes, sont affranchis par les Lois, de l'autorité d'autrui."
François Poullain de la Barre, De l'égalité des deux sexes, discours physique et moral, où l'on voit l'importance de se défaire des Préjugés, 1673, 2e partie.
"Les femmes doivent-elles exercer les droits politiques et s'immiscer dans les affaires du gouvernement ? Gouverner, c'est régir la chose publique par des lois dont la confection exige des connaissances étendues, une application et un dévouement sans bornes, une impassibilité sévère et l'abnégation de soi-même ; gouverner, c'est encore diriger et rectifier sans cesse l'action des autorités constituées. Les femmes sont-elles susceptibles de ces soins et des qualités qu'ils exigent. On peut répondre en général que non. Bien peu d'exemples démentiraient ce jugement.
Les droits politiques des citoyens sont de discuter et de faire prendre des résolutions relatives à l'intérêt de l'État par des délibérations comparées, et de résister à l'oppression. Les femmes ont-elles la force morale et physique qu'exige l'exercice de l'un et l'autre de ces droits ? L'opinion universelle repousse cette idée.
Secondement, les femmes doivent-elles se réunir en associations politiques ? Le but des associations populaires est celui-ci : dévoiler les manœuvres des ennemis de la chose publique, surveiller et les citoyens comme individus et les fonctionnaires publics, même le corps législatif, exciter le zèle des uns et des autres par l'exemple des vertus républicaines, s'éclaircir par des discussions publiques et approfondies. Les femmes peuvent-elles se dévouer à ces utiles et pénibles fonctions ? Non, parce qu'elles seraient obligées d'y sacrifier des soins plus importants auxquelles la nature les appelle. Les fonctions privées auxquelles sont destinées les femmes par la nature même, tiennent à l'ordre général de ce qu'il y a entre l'homme et la femme. Chaque sexe est appelé à un genre d'occupation qui lui est propre ; son action est circonscrite dans ce cercle qu'il ne peut franchir ; car la nature qui a posé les limites à l'homme commande impérieusement, et ne reçoit aucune loi."
Jean Pierre André Amar, Discours à la Convention, le 9 brumaire an II (30 octobre 1793).
"Parmi les progrès de l'esprit humain les plus importants pour le bonheur général, nous devons compter l'entière destruction des préjugés, qui ont établi entre les deux sexes une inégalité de droits funeste à celui même qu'elle favorise. On chercherait en vain des motifs de la justifier par les différences de leur organisation physique, par celle qu'on voudrait trouver dans la force de leur intelligence, dans leur sensibilité morale. Cette inégalité n'a eu d'autre origine que l'abus de la force, et c'est vainement qu'on a essayé depuis de l'excuser par des sophismes.
Nous montrerons combien la destruction des usages autorisés par ce préjugé, des lois qu'il a dictées, peut contribuer à augmenter le bonheur des familles, à rendre communes les vertus domestiques, premier fondement de toutes les autres ; à favoriser les progrès de l'instruction, et surtout à la rendre vraiment générale, soit parce qu'on l'étendrait aux deux sexes avec plus d'égalité, soit parce qu'elle ne peut devenir générale, même pour les hommes, sans le concours des mères de famille. Cet hommage trop tardif, rendu enfin à l'équité et au bon sens, ne tarirait-il pas une source trop féconde d'injustices, de cruautés et de crimes, en faisant disparaître une opposition si dangereuse entre le penchant naturel le plus vif, le plus difficile à réprimer, et les devoirs de l'homme, ou les intérêts de la société ? Ne produirait-il pas, enfin, ce qui n'a jamais été jusqu'ici qu'une chimère, des moeurs nationales, douces et pures, formées, non de privations orgueilleuses, d'apparences hypocrites, de réserves imposées par la crainte de la honte ou les terreurs religieuses, mais d'habitudes librement contractées, inspirées par la nature, avouées par la raison ?"
Condorcet, Esquisse d'un tableau des progrès de l'esprit humain, 1793, Éditions sociales, 1966, p. 274-275.
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