"L'eau est […] un exemple d'un composé dans lequel les parties composantes sont si complètement et si intimement liées ou « intégrées » que les propriétés de ces parties sont presque totalement remplacées par les propriétés, complètement différentes, du tout. Il y a cependant d'autres composés chimiques dont les constituants se dissocient partiellement ou s'ionisent de telle sorte que les propriétés des parties ne sont pas complètement submergées. Ainsi, lorsque l'hydrogène se combine au chlore pour former du chlorure d'hydrogène, le composant hydrogène s'ionise beaucoup plus que dans la molécule d'eau, de telle sorte que les propriétés de l'ion hydrogène ressortent dans les propriétés acides du composé. Ainsi en est-il des écosystèmes. Certains d'entre eux sont si bien organisés ou intégrés que le comportement des vivants qui les composent se modifie considérablement lorsqu'ils doivent fonctionner ensemble dans de plus grandes unités. Dans d'autres écosystèmes, le lien qui rattache les composants biotiques est plus lâche, et ceux-ci s'y comportent comme des entités semi-indépendantes. Dans le premier cas, il est nécessaire d'étudier le tout aussi bien que les principales parties pour comprendre l'ensemble ; dans le deuxième cas, il est plus facile de comprendre le tout en isolant et en étudiant les parties selon la méthode réductionniste traditionnelle. D'une manière générale, les systèmes biotiques qui évoluent sous l'influence d'un stress physique irrégulier, comme dans un désert aux pluies incertaines, ne sont dominés que par quelques espèces, alors que ceux qui évoluent dans des environnements plus favorables, comme les régions tropicales humides, tendent à contenir plusieurs espèces, les populations et les nutriments y manifestant un degré très élevé de symbiose et d'interdépendance."
Eugene Pleasants Odum, Écologie : un lien entre les sciences naturelles et les sciences humaines, 1975, tr. fr. Raymond Bergeron.
"Chaque espèce vivante d'animal, de plante ou de thallophyte[1] fait partie du grand système universel et est adaptée à son environnement. Cet environnement comporte les composantes inorganiques d'un lieu particulier mais aussi, bien entendu, tous ses hôtes vivants. Dans un même espace vital, tous les êtres vivants sont donc adaptés les uns aux autres. Ceci Vaut également pour les ennemis apparents, tels que le carnassier et sa proie, celui qui dévore et celui qui est dévoré. À y regarder de plus près, il apparaît même que ces êtres vivants, considérés en tant qu'espèces et non en tant qu'individus, ne se nuisent pas les uns aux autres, mais forment dans certains cas une communauté d'intérêts. Il va de soi que le « mangeur » a passionnément intérêt à la survie de l'espèce animale ou végétale qui constitue sa nourriture. Plus il s'alimente d'une manière exclusive, plus cet intérêt grandit. Dans ces conditions, un carnassier ne pourra jamais exterminer l'animal qui est sa proie. En effet, le dernier couple d'agresseurs serait depuis longtemps mort de faim avant d'avoir même rencontré le dernier couple de l'espèce qu'il poursuit. Si la densité de population de la proie est inférieure à une certaine limite, l'agresseur disparaît."
Konrad Lorenz, Les Huit péchés de notre civilisation, 1973, III, tr. fr. Elizabeth de Miribel, Flammarion, p. 33-34.
[1] Thallophyte : végétal inférieur qui n'a ni fleurs, ni feuilles, ni tiges, ni racines, et dont le corps a des formes filamenteuses ou aplaties et constitue ce qu'on appelle un thalle.
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