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Texte à méditer :   Le progrès consiste à rétrograder, à comprendre [...] qu'il n'y avait rien à comprendre, qu'il y avait peut-être à agir.   Paul Valéry
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La cohérence, la logique

  "Quand il n'est besoin que de considérer l'idée, la proposition peut être prise pour axiome, surtout si cette considération ne demande qu'une attention médiocre dont tous les esprits ordinaires soient capables : mais si l'on a besoin de quelque autre idée que de l'idée de la chose, c'est une proposition qu'il faut démontrer. Ainsi, l'on peut donner ces deux règles pour les axiomes.
  Règle I. Lorsque, polir voir clairement qu'un attribut convient à un sujet, comme pour voir qu'il convient au tout d'être plus grand que sa partie, on n'a besoin que de considérer les deux idées du sujet et de l'attribut avec une médiocre attention, en sorte qu'on ne puisse le faire sans s'apercevoir que l'idée de l'attribut est véritablement renfermée dans l'idée du sujet : on a droit alors de prendre cette proposition pour un axiome qui n'a pas besoin d'être démontré, parce qu'il a de lui-même toute l'évidence que pourrait lui donner la démonstration, qui ne pourrait faire autre chose , sinon de montrer que cet attribut convient au sujet en se servant d'une troisième idée pour montrer cette liaison ; ce qu'on voit déjà sans l'aide d'aucune troisième idée.
  Mais il ne faut pas confondre une simple explication, quand môme elle aurait quelque forme d'argument, avec une vraie démonstration ; car il y a des axiomes qui ont besoin d'être expliqués pour mieux les faire entendre, quoiqu'ils n'aient pas besoin d'être démontrés ; l'explication n'étant autre chose que de dire en autres termes et plus au long ce qui est contenu dans l'axiome; au lieu que la démonstration demande quelque moyen nouveau que l'axiome ne contienne pas clairement.
  Règle II. Quand la seule considération des idées du sujet et de l'attribut ne suffit pas pour voir clairement que l'attribut convient au sujet, la proposition qui l'affirme ne doit point être prise pour axiome ; mais elle doit être démontrée, en se servant de quelques autres idées pour faire voir cette liaison, comme on se sert de l'idée des lignes parallèles pour montrer que les trois angles d'un triangle sont égaux à deux droits.
  Ces deux règles sont plus importantes que l'on ne pense, car c'est un des défauts les plus ordinaires aux hommes, de ne pas assez se consulter eux-mêmes dans ce qu'ils assurent ou qu'ils nient ; de s'en rapporter à ce qu'ils en ont ouï dire ou qu'ils ont autrefois pensé, sans prendre garde à ce qu'ils en penseraient eux-mêmes, s'ils considéraient avec plus d'attention ce qui se passe dans leur esprit, de s'arrêter plus au son des paroles qu'à leurs véritables idées ; d'assurer comme clair et évident ce qu'il leur est impossible de concevoir, et de nier comme faux ce qu'il leur serait impossible de ne pas croire vrai, s'ils voulaient prendre la peine d'y penser sérieusement."

 

Antoine Arnauld et Pierre Nicole, La logique ou l'art de penser, 1662, 4e partie, Chapitre VI, Champs Flammarion, 1978, p. 389-91.



  "Et je trouve que nos contemporains n'abusent pas moins en brandissant ce fameux principe : tout ce que je conçois clairement et distinctement sur quoi que ce soit est vrai, et peut en être dit. Souvent, en effet, apparaissent claires et distinctes aux hommes de jugement téméraires des choses qui sont obscures et confuses. L'axiome est donc inutile si l'on ne fournit pas les critères du clair et du distinct, que nous avons, nous, apportés, et si l'on n'a pas établi ce qu'est la vérité des idées. Au demeurant, les règles de la Logique commune ne sont pas à mépriser comme critères de la vérité des propositions ; les géomètres [1] même en usent, de façon à ne rien admettre pour certain sans la preuve apportée par une minutieuse expérience ou une solide démonstration ; or, est solide la démonstration qui observe la forme prescrite par la logique ; non qu'il soit toujours besoin d'aligner des syllogismes à la mode des écoles […] mais il faut au moins que l'argumentation conclue au nom d'une forme ; et par là on entend qu'un calcul serait aussi un exemple légitime d'une telle argumentation en forme bien conçue. C'est pourquoi on ne doit pas omettre quelque prémisse nécessaire, et toutes les prémisses doivent être déjà auparavant, ou démontrées, ou, du moins, posées comme hypothèses, auquel cas la conclusion est hypothétique. Ceux qui observeront ces règles méticuleusement se garderont aisément des idées qui peuvent les tromper".
 

Leibniz, Méditations sur la connaissance, La vérité et les idées, 1684.


[1] Géomètre : le terme est utilisé ici dans l'ancien sens, plus général, de mathématicien.



  "Une notion est obscure quand elle ne suffit pas pour reconnaître la chose représentée. [...] Une connaissance est donc claire, lorsqu'elle suffit pour me faire reconnaître la chose représentée, et cette connaissance est à son tour confuse ou distincte [...]. Elle est confuse, lorsque je ne peux pas énumérer une à une les marques suffisantes pour distinguer la chose d'entre les autres, bien que cette chose présente en effet de telles marques et les éléments requis, en lesquels sa notion puisse être décomposée. C'est ainsi que nous reconnaissons assez clairement les couleurs, les odeurs, les saveurs et les autres objets particuliers des sens, et que nous les distinguons les uns des autres, mais par le simple témoignage de sens et non par des marques que l'on puisse énoncer. [...] Une notion distincte est pareille à celle que les essayeurs ont de l'or : laquelle leur permet de distinguer l'objet de tous les autres corps, par des signes distinctifs et des moyens de contrôle suffisants.
  [...] De nos jours les hommes n'abusent pas moins de ce principe si souvent vanté : tout ce que je conçois clairement et distinctement d'une chose est vrai et peut être affirmé de cette chose. Car souvent les hommes, jugeant à la légère, trouvent clair et distinct ce qui est obscur et confus. Cet axiome est donc inutile si l'on n'y ajoute pas les critères du clair et du distinct, que nous avons proposés, et si la vérité des idées n'est pas préalablement établie. D'ailleurs, les règles de la logique vulgaire, desquelles se servent aussi les géomètres, constituent des critères nullement méprisables de la vérité des assertions, à savoir qu'il ne faut rien admettre comme certain qui n'ait été prouvé par une expérience exacte ou une démonstration solide."

 

Leibniz, Opuscules philosophiques choisis, 1684, tr. fr. Schrecker, Vrin, 1966, p. 9-14.


 

  "J'ai signalé ailleurs la médiocre utilité de cette fameuse règle qu'on lance à tout propos, - de ne donner son assentiment qu'aux idées claires et distinctes - si l'on n'apporte pas de meilleures marques du clair et du distinct que celles données par Descartes. Mieux valent les règles d'Aristote et des Géomètres, comme, par exemple, de ne rien admettre (mis à part les principes, c'est-à-dire les vérités premières ou bien les hypothèses), qui n'ait été prouvé par une démonstration valable, dis-je, à savoir, ne souffrant ni d'un vice de forme ni d'un vice matériel. Il y a vice matériel si l'on admet quoi que ce soit en dehors des principes ou de ce qui est démontré en retournant aux principes et à partir d'eux, par une argumentation valable. Par forme correcte, j'entends non seulement la syllogistique classique, mais aussi toute forme démontrée au préalable qui conclut par la force de son dispositif ; c'est ce que font aussi les formes opératoires d'arithmétique et d'algèbre ; les formes des livres de comptes, et même, d'une certaine façon, les formes du procès en justice. Mais en attendant, pour agir, nous nous contentons parfois d'un certain degré de vraisemblance ; d'ailleurs cette partie de la logique - la plus utile dans la vie - l'estimation du degré de probabilité, reste encore à faire".

 

Leibniz, Réflexions sur la partie générale des Principes de Descartes (sur les articles 43, 45, 46), in Oeuvres par Lucy Prenant, Aubier-Montaigne, 1972, p. 297.


 

 "La définition normale de la vérité qui est en fait l'accord de la Connaissance avec son objet est ici admise, et présupposée [...]. Si la vérité consiste dans l'accord d'une connaissance avec son objet, il faut par là même que cet objet soit distingué des autres ; car une connaissance est fausse, quand elle ne concorde pas avec l'objet auquel on la rapporte […] Mais pour ce qui regarde la connaissance, quant à sa forme simplement (abstraction faite de tout contenu), il est également clair qu'une logique, en tant qu'elle traite des règles générales et nécessaires, doit exposer, dans ces règles mêmes, les critères de la vérité. Car ce qui les contredit est faux [...]. Mais ces critères ne concernant que la forme de la vérité, c'est-à-dire de la pensée en général et s'ils sont, à ce titre, très justes, ils sont pourtant insuffisants. Car une connaissance peut fort bien être complètement conforme à la forme logique, c'est-à-dire ne pas se contredire elle-même, et cependant être en contradiction avec l'objet. Donc, le critère simplement logique de la vérité, c'est-à-dire l'accord d'une connaissance avec les lois générales et formelles de l'entendement et de la raison est, il est vrai, la condition sine qua non et par suite la condition négative de toute vérité ; mais la logique ne peut aller plus loin ; aucune pierre de touche ne lui permet de découvrir l'erreur qui atteint non la forme, mais le contenu."
 
Kant, Critique de la raison pure, 1781, Introduction à la Logique transcendantale, trad. Tremesaygues et Pacaud, P.U.F., p. 80-81.


  "L'ancienne et célèbre question par laquelle on prétendait pousser à bout les logiciens, en cherchant à obliger ou à se laisser forcément surprendre dans un pitoyable diallèle ou à reconnaître leur ignorance et, par suite, la vanité de tout leur art, est celle-ci : Qu'est-ce que la vérité ? La définition nominale de la vérité qui en fait l'accord de la connaissance avec son objet est ici admise et présupposée ; mais on veut savoir quel est l'universel et sûr critère de la vérité de toute connaissance. […]
  Si la vérité consiste dans l'accord d'une connaissance avec son objet, il faut, par là même, que cet objet soit distingué des autres ; car une connaissance est fausse, quand elle ne concorde pas avec l'objet auquel on la rapporte, alors même qu'elle renfermerait des choses valables pour d'autres objets. Or, un critère universel de la vérité serait celui qu'on pourrait appliquer à toutes les connaissances, sans distinction de leurs objets. Mais il est clair puisqu'on fait abstraction en lui de tout le contenu de la connaissance (du rapport à son objet) et que la vérité vise précisément ce contenu qu'il est tout à fait impossible et absurde de demander un caractère de la vérité de ce contenu des connaissances, et que, par conséquent, une marque suffisante et en même temps universelle de la vérité ne peut être donnée. Comme nous avons appelé le contenu d'une connaissance sa matière, on devra dire qu'on ne peut désirer aucun critère universel de la vérité de la connaissance quant à sa matière, parce que c'est contradictoire en soi.

  Mais pour ce qui regarde la connaissance, quant à sa forme simplement (abstraction faite de tout contenu), il est également clair qu'une logique, en tant qu'elle traite des règles générales et nécessaires de l'entendement, doit exposer, dans ces règles mêmes, les critères de la vérité. Car ce qui les contredit est faux puisque l'entendement s'y met en contradiction avec les règles générales de sa pensée et, par suite, avec lui-même. Mais ces critères ne concernent que la forme de la vérité, c'est-à-dire de la pensée en général et, s'ils sont, à ce titre, très justes, ils sont pourtant insuffisants. […]
  Mais, comme la simple forme de la connaissance, aussi d'accord qu'elle puisse être avec les lois logiques, est bien loin par là de suffire à établir la vérité matérielle (objective) de la connaissance, personne ne peut se risquer à l'aide de la logique seule, à juger des objets et à en affirmer la moindre des choses, sans en avoir entrepris auparavant une étude approfondie, en dehors de la logique, pour rechercher ensuite simplement leur utilisation et leur liaison et un tout systématique d'après des lois logiques, ou, mieux encore, pour les éprouver simplement suivant ces lois. Il y a, toutefois, quelque chose de si séduisant dans la possession d'un art si spécieux de donner à toutes nos connaissances la forme de l'entendement, quoique par rapport à leur contenu on puisse être encore très vide et très pauvre, que cette logique générale, qui est simplement un canon pour le jugement (Beurtheilung), est employée également comme un organon qui sert à produire réellement — du moins on s'en fait illusion — des assertions objectives ; et, par conséquent, en réalité, l'usage qu'on en fait est abusif. Or, la logique générale, comme prétendu organon, s'appelle Dialectique."

 

Kant, Critique de la raison pure, 1781, Introduction à la Logique transcendantale, trad. Tremesaygues et Pacaud, P.U.F., p. 80-82.


 

    "Des formules numériques telles que 7 + 5 = 12 et des lois telles que celles de l'associativité ont été si souvent confirmées par d'innombrables applications quotidiennes qu'il peut sembler ridicule de les soumettre au doute et d'en réclamer une preuve. Mais il est inscrit dans l'essence des mathématiques que partout où l'on peut donner une preuve, elle est préférable à une confirmation inductive. Euclide prouve ce qu'on lui aurait bien volontiers accordé. Et quand la rigueur euclidienne a paru ne plus suffire, ont commencé les recherches qui se sont greffées sur l'axiome des parallèles.

    Ainsi, le mouvement qui s'est donné pour but d'atteindre une rigueur extrême a largement dépassé ses premières motivations et celles-ci ne cessent de s'amplifier et d'accroître leur exigence.

    C'est que la preuve n'a pas pour seule fin de libérer une proposition du doute ; elle permet en outre de pénétrer la dépendance relative des vérités. Une fois persuadé qu'un bloc de rocher est inébranlable parce qu'on a essayé sans succès de le faire bouger, on peut se demander ce qui le soutient si solidement. Plus on poursuivra la recherche, moins nombreuses seront les vérités fondamentales auxquelles on pourra tout ramener, et cette simplification est déjà en elle-même un but digne d'efforts. Peut-être même pourra-t-on espérer atteindre les procédés généraux de la construction des concepts et l'art des principes fondamentaux pour tous les cas, même les plus complexes, en prenant conscience de ce que les hommes ont fait instinctivement dans les cas les plus simples, pour peu que l'on dégage ce qui est universellement valide en ceux-ci."


Gottlob Frege, Les Fondements de l'arithmétique, trad. Claude Imbert, Éditions du Seuil, 1970, Paris, p. 126.

 

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Date de création : 09/02/2006 @ 13:51
Dernière modification : 02/02/2015 @ 12:55
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