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Texte à méditer :  Une vie sans examen ne mérite pas d'être vécue.  Socrate
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Hors des sentiers battus
Les critères du vrai : l'accord avec autrui
  "Socrate. – Bienheureux Polos, tu essayes de me réfuter avec des preuves d'avocat, comme on prétend le faire dans les tribunaux. Là en effet, les avocats croient réfuter leur adversaire quand ils produisent à l'appui de leur thèse des témoins nombreux et considérables et que leur adversaire n'en produit qu'un seul ou pas du tout. Mais cette manière de réfuter est sans valeur pour découvrir la vérité, car on peut avoir contre soi les fausses dépositions de témoins nombreux et réputés pour sérieux. Et dans le cas présent, sur ce que tu dis, presque tous les Athéniens et les étrangers seront du même avis que toi, si tu veux produire des témoins pour attester que je ne dis pas la vérité. Tu feras déposer en ta faveur, si tu le désires, Nicias, fils de Nicératos, et avec lui ses frères, dont on voit les trépieds placés à la file dans le sanctuaire de Dionysos ; tu feras déposer, si tu veux, Aristocratès, fils de Skellios, de qui vient cette belle offrande qu'on voit à Phytô, et, si tu veux encore, la maison entière de Périclès, ou telle autre famille d'Athènes qu'il te plaira de choisir.
  Mais moi, quoique seul, je ne me rends pas, car tu ne me convaincs pas ; tu ne fais que produire contre moi une foule de faux témoins pour me déposséder de mon bien et de la vérité. Moi, au contraire, si je te produis pas toi-même, et toi seul, comme témoin, et si je ne te fais pas tomber d'accord de ce que j'avance, j'estime que je n'ai rien fait qui vaille pour résoudre la question qui nous occupe, et que tu n'as rien fait non plus, si je ne témoigne pas moi-même, et  moi seul, en ta faveur et si tu ne renvoies pas tous ces autres témoins. Il y a  donc une manière de réfuter, telle que tu la conçois, toi et bien d'autres ;  mais il y en a une autre, telle que je la conçois de mon côté."

 

Platon, Gorgias, tr. fr. Émile Chambry, GF, 1967, p. 205.


 

  "Il ne servirait à rien de compter les voix pour suivre l'opinion qui a le plus de partisans : car, s'il s'agit d'une question difficile, il est plus sage de croire que sur ce point la vérité n'a pu être découverte que par peu de gens et non par beaucoup. Quand bien même d'ailleurs tous seraient d'accord entre eux, leur doctrine ne suffirait pas cependant : car jamais, par exemple, nous ne deviendrons Mathématiciens, même en retenant par coeur toutes les démonstrations des autres, si notre esprit n'est pas capable à son tour de résoudre toute espèce de problème ; et nous ne serons jamais Philosophes, si nous avons lu tous les raisonnements de Platon et d'Aristote, et qu'il nous est impossible de porter un jugement ferme sur une question donnée : en effet, nous paraîtrons avoir appris non des sciences, mais de l'histoire."
 
Descartes, Règles pour la direction de l'esprit,1629, Règle III.
 
  "Il n'y a presque rien qui n'ait été dit par l'un, et dont le contraire n'ait été affirmé par quelque autre. Et il ne serait d'aucun profit de compter les voix, pour suivre l'opinion qui a le plus de répondant : car, lorsqu'il s'agit d'une question difficile, il est plus vraisemblable qu'il s'en soit trouvé peu, et non beaucoup, pour découvrir la vérité à son sujet. Mais quand bien même ils seraient tous d'accord, leur enseignement ne serait pas encore suffisant : car jamais, par exemple, nous ne deviendrons mathématiciens, même en connaissant par cœur toutes les démonstrations des autres, si notre esprit n'est pas en même temps capable de résoudre n'importe quel problème ; et nous ne deviendrons jamais philosophes, si nous avons lu tous les raisonnements de Platon et d'Aristote, et que nous sommes incapables de porter un jugement assuré sur les sujets qu'on nous propose ; dans ce cas, en effet, ce ne sont point des sciences que nous aurions apprises, semble-t-il, mais de l'histoire."

Descartes, Règles pour la direction de l'esprit, 1629, Règle III,  tr. fr. Jacques Brunschwig.

 

  "[…] l'universalité d'une opinion ne prouve rien en faveur de sa vérité. Ne voyons-nous pas un grand nombre de préjugés et d'erreurs grossières jouir même aujourd'hui de la sanction presque universelle du genre humain ? Ne voyons-nous pas tous les peuples de la terre imbus des idées de magie, de divinations, d'enchantements, de présages, de sortilèges, de revenants ? Si les personnes les plus instruites se sont guéries de ces préjugés, ils trouvent encore des partisans très zélés dans le plus grand nombre des hommes, qui les croient pour le moins aussi fermement que l'existence d'un dieu. En conclura-t-on que ces chimères appuyées du consentement presque unanime de l’espèce humaine, ont quelque réalité ? Avant Copernic il n'y avait personne qui ne crut que la terre était immobile, et que le soleil tournait autour d'elle ; cette opinion universelle en était-elle moins une erreur pour cela ?"
 

Paul-Henri Thiry D'Holbach, Système de la nature, 1770, 2e partie, Chapitre IV, in Œuvres philosophiques complètes, tome II, Éditions Alive, 1999, p. 446.



  "La croyance [das Fürwahrhalten] est un fait de notre entendement susceptible de reposer sur des principes objectifs, mais qui exige aussi des causes subjectives dans l'esprit de celui qui juge. Quand elle est valable pour chacun, en tant du moins qu'il a de la raison, son principe est objectivement suffisant et la croyance se nomme conviction. Si elle n'a son fondement que dans la nature particulière du sujet, elle se nomme persuasion.
  La persuasion est une simple apparence, parce que le principe du jugement qui est uniquement dans le sujet est tenu pour objectif. Aussi un jugement de ce genre n'a-t-il qu'une valeur individuelle et la croyance ne peut-elle pas se communiquer. Mais la vérité repose sur l'accord avec l'objet et, par conséquent, par rapport à cet objet, les jugements de tout entendement doivent être d'accord [...] La pierre de touche grâce à laquelle nous distinguons si la croyance est une conviction ou simplement une persuasion est donc extérieure et consiste dans la possibilité de communiquer sa croyance et de la trouver valable pour la raison de tout homme, car alors il est au moins à présumer que la cause de la concordance de tous les jugements, malgré la diversité des sujets entre eux, reposera sur un principe commun, je veux dire l'objet avec lequel, par conséquent, tous les sujets s'accorderont de manière à prouver par là la vérité du jugement. […]

  La croyance, ou la valeur subjective du jugement, par rapport à la conviction (qui a en même temps une valeur objective) présente les trois degrés suivants : l'opinion, la foi et la science. L'opinion est une croyance qui a conscience d’être insuffisante aussi bien subjectivement qu'objectivement. Si la croyance n'est que subjectivement suffisante et si elle est tenue en même temps pour objectivement insuffisante, elle s'appelle foi. Enfin la croyance suffisante aussi bien subjectivement qu'objectivement s'appelle science. La suffisance subjective s'appelle conviction (pour moi-même) et la suffisance objective, certitude (pour tout le monde)."

 

Kant, Critique de la raison pure, 1781, Canon de la raison pure, tr. A. Tremesaygues et B. Pacaud, Paris, PUF, 1997, p. 551-552.



  "C'est un critère subjectivement nécessaire de la justesse de nos jugements en général et donc de la santé de notre entendement que nous confrontions aussi ce dernier à l'entendement des autres, au lieu de nous isoler avec le nôtre, et qu'avec nos représentations particulières nous n'en formulions pas moins, en quelque sorte, des jugements publics. [...] Sinon, une sollicitation purement subjective (habitude ou inclination par exemple) serait facilement tenue pour objective : c'est la nature même de l'apparence que l'on dit trompeuse, ou plutôt par laquelle on est entraîné à se tromper soi-même dans l'application d'une règle. Celui qui, négligeant ce critère, se met en tête de consacrer tout bonnement la valeur de son sens particulier sans l'accord ou même à l'encontre du sens commun, est livré à un jeu de pensées qui l'amène à se voir, à agir et à juger en un monde qui, loin d'être partagé avec les autres, ne serait (comme dans le rêve) que le sien."

 

Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique, 1798, § 53.



  "La vérité de  fait […] est toujours relative à plusieurs ; elle concerne des événements et des circonstances dans lesquels beaucoup sont engagés ; elle est établie par des témoins et repose sur des témoignages ; elle existe seulement dans le mesure où on en parle, même si cela se passe en privé. Elle est politique par nature. Les faits et les opinions, bien que l'on doive les distinguer, ne s'opposent pas les uns aux autres, ils appartiennent au même domaine. Les faits sont la matière des opinions, et les opinions, inspirées par différents intérêts et différentes passions, peuvent différer largement et demeurer légitimes aussi longtemps qu'elles respectent la vérité de fait. La liberté d'opinion est une farce si l'information sur les faits n'est pas garantie et si ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui font l'objet du débat. En d'autres termes la vérité de fait fournit des informations à la pensée politique tout comme la vérité rationnelle fournit les siennes à la spéculation philosophique.
 Mais est-ce qu'il existe aucun fait qui soit indépendant de l'opinion et de l'interprétation ? Des générations d'historiens et de philosophes de l'histoire n'ont-elles pas démontré l'impossibilité de constater des faits sans les interpréter, puisque ceux-ci doivent d'abord être extraits d'un chaos de purs événements (et les principes du choix ne sont assurément pas des données de fait), puis être arrangés en une histoire qui ne peut pas être racontée que dans une certaine perspective, qui n'a rien à voir avec ce qui a eu lieu à l'origine ?".
 
Hannah Arendt, "Vérité et politique", 1967, in La Crise de la culture, tr. fr. Claude Dupont et Alain Huraut, Folio, p. 303-304.

Date de création : 09/02/2006 @ 13:53
Dernière modification : 20/01/2015 @ 08:38
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