"Toute culture développe une structure qu'on pourrait qualifier de connective, et qui a pour effet de créer du lien dans deux dimensions, sociale et temporelle. D'une part, elle lie l'homme à ses contemporains en constituant un « monde de sens symbolique » (Berger-Luckmann), espace commun d'expérience, d'attente et d'action qui, du fait qu'il lie et oblige, fonde la confiance et offre des orientations. Dans les textes de la haute Antiquité, cet aspect de la culture est débattu sous le terme de « justice ». Mais elle lie aussi l'hier à l'aujourd'hui en structurant expériences et souvenirs marquants, en les gardant présents dans les esprits, en incluant images et histoires d'un autre temps dans l'horizon d'un présent toujours en marche, fondant ainsi espoir et souvenir. Cet aspect de la culture est à la base des récits mythiques et historiques. À eux deux, l'aspect normatif et l'aspect narratif, celui de la directive et celui du récit instaurent l'appartenance ou l'identité, permettant à l'individu de dire « nous ». Ce qui lie divers individus à ce « nous », c'est la structure connective d'un savoir et d'une image de soi communs qui reposent d'une part sur des règles et des valeurs communes, d'autre part sur le souvenir d'un passé habité en commun."
Jan Assmann, La Mémoire culturelle, Écriture, souvenir et imaginaire politique dans les civilisations antiques, 2002, Avant-propos, tr. fr. Diane Meur, Aubier, 2010, p. 14-15.
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