"Voici ce que je pense, dès que je vois la matière ou la substance d'un corps, il me faut nécessairement concevoir, en même temps qu'elle est limitée et qu'elle a telle ou telle figure ; que, par rapport à d'autres, elle est grande ou petite ; qu'elle est en tel ou tel autre lieu ; qu'elle se situe à un moment ou à un autre ; qu'elle se meut ou qu'elle est immobile, qu'elle touche ou qu'elle ne touche pas un autre corps, qu'elle est une, qu'elle est quelques-unes, ou qu'elle est un grand nombre. Aucun effort d'imagination ne peut permettre de la concevoir séparée des contingences que je viens d'énoncer. Mais qu'elle soit blanche ou rouge, amère ou douce, sonore ou muette, d'odeur agréable ou désagréable, je ne sens rien dans mon esprit qui m'oblige à la concevoir comme nécessairement liée aux contingences susdites. Bien au contraire, si les sens ne venaient pas à notre aide, ni le raisonnement ni la représentation en elle-même n'arriveraient jamais à saisir de tels rapports. Cela m'induit à penser que ces saveurs, odeurs, couleurs, etc., dont l'existence ne nous paraît avoir qu'un caractère subjectif, ne sont pas autre chose que de simples mots et n'ont de réalité que dans notre corps sensible, si bien que, celui-ci disparaissant, toutes les qualités de cet ordre sont supprimées et annihilées... Mais que dans les corps extérieurs, pour susciter en nous des saveurs, des odeurs, et des sons, il faille autre chose que de la grandeur, de la forme, du nombre, et des mouvements lents ou rapides, je n'arrive pas à le croire. J'estime que, si l'on supprime les oreilles, la langue et le nez, les figures, les nombres et les mouvements continueront d'exister, mais non plus les odeurs, ni les saveurs, ni les sons, qui en dehors de la sensibilité d'un être vivant ne sont, me semble-t-il, que des mots, tout comme le chatouillement et le picotement ne sont que des mots si l'on supprime les aisselles et la muqueuse du nez."
Galilée, L'Essayeur, 1623, tr. fr. F.-M. Rosset et S. Martin, in Galilée, Points Sciences, 1992, p. 146-147.
"Les qualités primaires et les qualités secondaires.
Les qualités ainsi considérées dans les corps sont premièrement celles qui sont strictement inséparables du corps, quel que soit son état. [...]
Chaque partie a toujours solidité, étendue, figure et mobilité. C'est ce que j'appelle qualités originales ou primaires des corps ; je pense que nous pouvons observer qu'elles produisent en nous des idées simples (solidité, étendue, figure, mouvement ou repos, et nombre).
[Les qualités considérées dans le corps sont...] deuxièmement ces qualités qui en réalité ne sont rien d'autre dans les objets eux-mêmes que les pouvoirs de produire diverses sensations en nous par leurs qualités primaires, c'est-à-dire par le volume, la figure, la texture et le mouvement de leurs éléments insensibles ; ce sont les couleurs, les sons, les goûts, etc. ; je les nomme qualités secondaires. [...]
Il faut ensuite considérer comment les corps produisent en nous des idées : c'est manifestement par poussée, la seule façon dont nous puissions concevoir l'action des corps. [...]
Il est concevable que les idées de qualités secondaires soient produites en nous de la même manière que les idées de qualités originales, à savoir par l'action des particules insensibles sur les sens. [...]
Supposons maintenant que les mouvements et figures, la masse et le nombre différents de ces particules affectent les divers organes des sens et produisent en nous les diverses sensations des couleurs et des odeurs des corps (par exemple, qu'une violette, par la poussée de ces particules insensibles de matière, de figure et de masse spécifiques, avec des mouvements de degrés et de types différents, produise dans l'esprit les idées de couleur bleue et l'odeur sucrée).
Les idées de qualités primaires sont des ressemblances ; pas les secondaires.
Il est aisé d'en tirer, je pense, cette observation : les idées de qualités primaires des corps en sont des ressemblances, et leur modèle existe effectivement dans les corps mêmes. Mais les idées produites en nous par les qualités secondaires n'ont absolument aucune ressemblance avec elles. Il n'y a rien comme nos idées qui existerait dans les corps mêmes ; et même si nous décrivons un corps à partir d'une idée, cette idée n'est là qu'un pouvoir de produire en nous cette sensation : ce qui est doux, bleu ou chaud en idée n'est que cette masse, cette figure et ce mouvement particuliers des éléments insensibles du corps même, que nous appelons ainsi."
John Locke, Essai sur l'entendement humain, 1690, § 9-11, 13, 15, trad. Vienne, Vrin, 2001.
Retour au menu sur la perception