"L'homme est homme par son pouvoir d'affronter ses besoins et de se sacrifier. Or cela doit être constitutionnellement possible, c'est-à-dire inscrit dans la nature même du besoin. Si je ne suis pas maître du besoin comme manque, je peux le repousser comme raison d'agir. C'est dans cette épreuve extrême que l'homme montre son humanité. Déjà la vie la plus banale esquisse ce sacrifice : ce que l'on a appelé la « socialisation des besoins » suppose que le besoin se prête à une action corrective exercée sur lui par les exigences d'une vie proprement humaine (coutumes, règles de politesse, programme de vie…) Mais c'est l'expérience du sacrifice qui est la plus révélatrice ; les récits d'expéditions au pays de la soif ou du froid, les témoignages de combattants sont la longue épopée de la victoire sur le besoin. L'homme peut choisir entre sa faim et autre chose. La non-satisfaction des besoins peut non seulement être acceptée mais systématiquement choisie : tel qui eut sans cesse le choix entre une dénonciation et un morceau de pain préféra l'honneur à la vie. ; Et Gandhi choisit de ne pas manger pour fléchir son adversaire. La grève de la faim est sans doute l'expérience qui révèle la nature vraiment humaine de nos besoins comme, en un certain sens, la chasteté (monacale ou autre) constitue la sexualité en sexualité humaine. Ces situations extrêmes sont fondamentales pour une psychologie de l'involontaire. Le besoin peut donc être un motif parmi d'autres."
Paul Ricœur, Le Volontaire et l'involontaire, 1963, Aubier Montaigne, p. 89-90.
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