"SOCRATE : - Veux-tu, demandai-je, que, pour écarter toute obscurité de notre discussion, nous définissions d'abord les désirs nécessaires et les désirs superflus ?
GLAUCON - Je le veux bien, répondit-il.
- Or n'a-t-on pas raison d'appeler nécessaires ceux que nous ne pouvons pas rejeter, et tous ceux qu'il nous est utile de satisfaire? car ces deux sortes de désirs sont des nécessités de nature, n'est-ce pas ?
- Sans doute.
- C'est donc à bon droit que nous appellerons ces désirs nécessaires.
- À bon droit.
- Mais ceux dont on peut se défaire en s'y appliquant de bonne heure, dont la présence, au surplus, ne produit aucun bien, et ceux qui font du mal - si nous appelons tous ces désirs superflus ne leur donnerons-nous pas la qualification qui convient ?
- Si.
- Prendrons-nous un exemple des uns et des autres afin de les saisir sous une forme générale ?
- Oui, c'est ce qu'il faut faire.
- Le désir de manger, autant que l'exigent la santé et l'entretien des forces, ce désir de la simple nourriture et des assaisonnements n'est-il pas nécessaire ?
- Je le pense.
- Le désir de la nourriture est nécessaire pour deux raisons : parce qu'il est utile et parce qu'on ne peut vivre sans le satisfaire.
- Oui.
- Et celui des assaisonnements aussi dans la mesure où il contribue à l'entretien des forces.
- Parfaitement.
- Mais le désir qui va au-delà et se porte sur des mets plus recherchés, désir qui, réprimé dès l'enfance par l'éducation, peut disparaître chez la plupart des hommes, désir nuisible au corps, non moins nuisible à l'âme sous le rapport de la sagesse et de la tempérance, ne l'appellerons-nous pas avec raison superflu ?
- Avec beaucoup de raison, certes !
- Nous dirons donc que ceux-ci sont des désirs prodigues, et ceux-là des désirs profitables, parce qu'ils nous rendent capables d'agir.
- Sans doute.
- Et n'en dirons-nous pas autant des désirs amoureux et des autres ?
- Si fait. […]
- En ce qui concerne les désirs, leur nature et leurs espèces, il me semble que nous avons donné des définitions insuffisantes Parmi les plaisirs et les désirs non nécessaires, certains ne semblent illégitimes ; ils sont probablement innés en chacun de nous: mais s'ils sont réprimés par les lois et les désirs meilleurs, avec l'aide de la raison, ils peuvent, chez quelques-uns, être totalement extirpés, ou ne rester qu'en petit nombre ou affaiblis, tandis que, chez les autres, ils subsistent plus fort et plus nombreux.
- Mais de quels désirs parles-tu ?
- De ceux qui s'éveillent pendant le sommeil, lorsque repose cette partie de l'âme qui est raisonnable, douce et faite pour commander à l'autre, et lorsque sa partie bestiale et sauvage, gorgée de nourriture et de vin, tressaille, et part en quête de satisfaction à donner à ses appétits. Tu sais qu'en pareil cas elle ose tout, comme si elle était délivrée et affranchie de toute honte et de toute prudence. Elle ne craint pas d'essayer, en imagination, de s'unir à sa mère, ou à qui que ce soit, hommes, dieu ou bête, de souiller de n'importe quel meurtre et de ne s'abstenir d'aucune sorte de nourriture; en un mot, il n'est point de folie, point d'impudence dont elle n'est capable.
- Tu dis vrai."
Platon, La République, Livre VIII et Livre IX, 558d-559c et 571, tr. fr. Robert Baccou, GF, 1995, p. 318-319 et p. 333.
"Il faut se rendre compte que parmi nos désirs les uns sont naturels, les autres vains, et que, parmi les désirs naturels, les uns sont nécessaires et les autres naturels seulement. Parmi les désirs nécessaires, les uns sont nécessaires pour le bonheur, les autres pour la tranquillité du corps, les autres pour la vie même. Et en effet une théorie non erronée des désirs doit rapporter tout choix et toute aversion à la santé du corps et à l'ataraxie [1] de l'âme, puisque c'est là la perfection même de la vie heureuse. Car nous faisons tout afin d'éviter la douleur physique et le trouble de l'âme. Lorsqu'une fois nous y avons réussi, toute l'agitation de l'âme tombe, l'être vivant n'ayant plus à s'acheminer vers quelque chose qui lui manque, ni à chercher autre chose pour parfaire le bien-être de l'âme et celui du corps. Nous n'avons en effet besoin du plaisir que quand, par suite de son absence, nous éprouvons de la douleur; et quand nous n'éprouvons pas de douleur nous n'avons plus besoin du plaisir. […]
C'est un grand bien à notre avis que de se suffire à soi-même, non qu'il faille toujours vivre de peu, mais afin que si l'abondance nous manque, nous sachions nous contenter du peu que nous aurons, bien persuadés que ceux-là jouissent le plus vivement de l'opulence qui ont le moins besoin d'elle, et que tout ce qui est naturel est aisé à se procurer, et ce qui ne répond pas à un désir naturel, malaisé à se procurer. […]
Quand donc nous disons que le plaisir est le but de la vie, nous ne parlons pas des plaisirs de l'homme déréglé, ni de ceux qui consistent dans les jouissances matérielles, ainsi que l'écrivent des gens qui ignorent notre doctrine, ou qui la combattent et la prennent dans un mauvais sens. Le plaisir dont nous parlons est celui qui consiste, pour le corps à ne pas souffrir et, pour l'âme, à être sans trouble".
Épicure (341-270 av. J.-C.), Lettre à Ménécée, trad. O. Hamelin, Nathan, 1982, p. 77-79.
Date de création : 03/09/2019 @ 16:46
Dernière modification : 11/02/2020 @ 13:05
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