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Texte à méditer :  Je vois le bien, je l'approuve, et je fais le mal.  Ovide
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Hors des sentiers battus
Production et consommation dans les sociétés humaines

  "Toutes les sociétés ont toujours gaspillé, dilapidé, dépensé et consommé au-delà du strict nécessaire, pour la simple raison que c’est dans la consommation d’un excédent, d’un superflu que l’individu comme la société se sentent non seulement exister mais vivre. Cette consommation peut aller jusqu’à la « consumation », la destruction pure et simple, qui prend alors une fonction sociale spécifique. Ainsi, dans le potlatch, c’est la destruction compétitive de biens précieux qui scelle l’organisation sociale. Les Kwakiutl sacrifient des couvertures, des canoës, des cuivres blasonnés, qu’ils brûlent ou jettent à la mer pour ‘‘soutenir leur rang’’, pour affirmer leur valeur. C’est encore par wasteful expenditive (prodigalité inutile) qu’à travers toutes les époques, les classes aristocratiques ont affirmé leur prééminence. La notion d’utilité, d’origine rationaliste et économiste, est donc à revoir selon une logique sociale beaucoup plus générale où le gaspillage, loin d’être un résidu irrationnel, prend une fonction positive, relayant l’utilité rationnelle dans une fonctionnalité sociale supérieure, et même à la limite apparaît comme la fonction essentielle – le surcroît de dépense, le superflu, l’inutilité rituelle de la « dépense pour rien » devenant le lieu de production des valeurs, des différences et du sens -, tant sur le plan individuel que sur le plan social. Dans, cette perspective se profile une définition de la « consom­mation » comme consumation, c'est-à-dire comme gas­pillage productif – perspective inverse de celle de 1' « économique », fondé sur la nécessité, l'accumulation et le calcul, où au contraire le superflu précède le néces­saire, où la dépense précède en valeur (sinon dans le temps) l'accumulation et l'appropriation.
  « Ah, ne discutez pas "besoin" ! Le dernier des men­diants a encore un rien de superflu dans la plus misé­rable chose. Réduisez la nature aux besoins de nature, et l'homme est une bête : sa vie ne vaut pas plus. Com­prends-tu qu'il nous faut un rien de trop pour être ? », dit Shakespeare dans Le Roi Lear.

  Autrement dit, un des problèmes fondamentaux posés par la consommation est celui-ci : les êtres s'organisent-­ils en fonction de leur survie, ou en fonction du sens, individuel ou collectif, qu'ils donnent à leur vie ? Or, cette valeur d' « être », cette valeur structurelle peut impliquer le sacrifice des valeurs économiques. Et ce problème n'est pas métaphysique. Il est au centre de la consommation, et peut se traduire ainsi : l'abondance n'a-t-elle au fond de sens que dans le gaspillage ?"

 

Jean Baudrillard, La Société de consommation, 1970, Folio essais, 2003, p. 49-50.

 

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Date de création : 28/05/2020 @ 12:45
Dernière modification : 28/05/2020 @ 12:45
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