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Texte à méditer :  

Il est vrai qu'un peu de philosophie incline l'esprit de l'homme à l'athéisme ; mais que davantage de philosophie le ramène à la religion.   Francis Bacon


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Hors des sentiers battus
Production et consommation dans les sociétés humaines

  "Le développement des forces productives a été l'histoire réelle inconsciente qui a construit et modifié les conditions d'existence des groupes humains en tant que conditions de survie, et élargissement de ces conditions : la base économique de toutes leurs entreprises. Le secteur de la marchandise a été, à l'intérieur d'une économie naturelle, la constitution d'un surplus de la survie. La production des marchandises, qui implique l'échange de produits variés entre des producteurs indépendants, a pu rester longtemps artisanale, contenue dans une fonction économique marginale où sa vérité quantitative est encore masquée. Cependant, là où elle a rencontré les conditions sociales du grand commerce et de l'accumulation des capitaux, elle a saisi la domination totale de l'économie. L'économie tout entière est alors devenue ce que la marchandise s'était montrée être au cours de cette conquête : un processus de développement quantitatif. Ce déploiement incessant de la puissance économique sous la forme de la marchandise, qui a transfiguré le travail humain en travail-marchandise, en salariat, aboutit cumulativement à une abondance dans laquelle la question première de la survie est sans doute résolue, mais d'une manière telle qu'elle doit se retrouver toujours ; elle est chaque fois posée de nouveau à un degré supérieur. La croissance économique libère les sociétés de la pression naturelle qui exigeait leur lutte immédiate pour la survie, mais alors c'est de leur libérateur qu'elles ne sont pas libérées. L'indépendance de la marchandise s'est étendue à l'ensemble de l'économie sur laquelle elle règne. L'économie transforme le monde, mais le transforme seulement en monde de l'économie. La pseudo-nature dans laquelle le travail humain s'est aliéné exige de poursuivre à l'infini son service, et ce service, n'étant jugé et absous que par lui-même, en fait obtient la totalité des efforts et des projets socialement licites, comme ses serviteurs. L'abondance des marchandises, c'est-à-dire du rapport marchand, ne peut être plus que la survie augmentée."

 

Guy Debord, La Société du spectacle, 1967, § 40, Folio essais, 2001, p. 37-38.


 

  "Toutes les sociétés ont toujours gaspillé, dilapidé, dépensé et consommé au-delà du strict nécessaire, pour la simple raison que c’est dans la consommation d’un excédent, d’un superflu que l’individu comme la société se sentent non seulement exister mais vivre. Cette consommation peut aller jusqu’à la « consumation », la destruction pure et simple, qui prend alors une fonction sociale spécifique. Ainsi, dans le potlatch, c’est la destruction compétitive de biens précieux qui scelle l’organisation sociale. Les Kwakiutl sacrifient des couvertures, des canoës, des cuivres blasonnés, qu’ils brûlent ou jettent à la mer pour ‘‘soutenir leur rang’’, pour affirmer leur valeur. C’est encore par wasteful expenditive (prodigalité inutile) qu’à travers toutes les époques, les classes aristocratiques ont affirmé leur prééminence. La notion d’utilité, d’origine rationaliste et économiste, est donc à revoir selon une logique sociale beaucoup plus générale où le gaspillage, loin d’être un résidu irrationnel, prend une fonction positive, relayant l’utilité rationnelle dans une fonctionnalité sociale supérieure, et même à la limite apparaît comme la fonction essentielle – le surcroît de dépense, le superflu, l’inutilité rituelle de la « dépense pour rien » devenant le lieu de production des valeurs, des différences et du sens -, tant sur le plan individuel que sur le plan social. Dans, cette perspective se profile une définition de la « consom­mation » comme consumation, c'est-à-dire comme gas­pillage productif – perspective inverse de celle de 1' « économique », fondé sur la nécessité, l'accumulation et le calcul, où au contraire le superflu précède le néces­saire, où la dépense précède en valeur (sinon dans le temps) l'accumulation et l'appropriation.
  « Ah, ne discutez pas "besoin" ! Le dernier des men­diants a encore un rien de superflu dans la plus misé­rable chose. Réduisez la nature aux besoins de nature, et l'homme est une bête : sa vie ne vaut pas plus. Com­prends-tu qu'il nous faut un rien de trop pour être ? », dit Shakespeare dans Le Roi Lear.

  Autrement dit, un des problèmes fondamentaux posés par la consommation est celui-ci : les êtres s'organisent-­ils en fonction de leur survie, ou en fonction du sens, individuel ou collectif, qu'ils donnent à leur vie ? Or, cette valeur d' « être », cette valeur structurelle peut impliquer le sacrifice des valeurs économiques. Et ce problème n'est pas métaphysique. Il est au centre de la consommation, et peut se traduire ainsi : l'abondance n'a-t-elle au fond de sens que dans le gaspillage ?"

 

Jean Baudrillard, La Société de consommation, 1970, Folio essais, 2003, p. 49-50.

 

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Date de création : 28/05/2020 @ 12:45
Dernière modification : 02/05/2025 @ 06:40
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