"Il arrive [...] un moment dans les sociétés politiques, où les qualités personnelles d'un chef, si considérables soient-elles, sont impuissantes à justifier l'autorité qu'il exerce. La conscience politique des gouvernés, devenue plus exigeante, refuse d'admettre que toute l'organisation de la Cité repose sur une volonté individuelle. La coïncidence entre les actes du chef et les besoins de la masse, et même l'assentiment généralisé que rencontre son action, ne suffisent plus à fonder sa puissance au regard du groupe. D'autre part les inconvénients du Pouvoir individualisé deviennent intolérables, notamment l'instabilité qu'il provoque dans l'exercice de la fonction gouvernementale. Les gouvernés et les gouvernants eux-mêmes se prennent à songer à une continuité durable dans la gestion des intérêts collectifs, à un mode de dévolution de l'autorité qui couperait court aux rivalités et aux luttes qui accompagnent le changement de personnalités dirigeantes. [...]
Ainsi se fait jour l'idée d'une dissociation possible de l'autorité et de l'individu qui l'exerce. Mais, comme le Pouvoir, cessant d'être incorporé dans la personne du chef, ne peut subsister à l'état d'ectoplasme, il lui faut un titulaire. Ce support sera l'institution étatique envisagée comme siège exclusif de la puissance publique. Dans l'État, le Pouvoir est institutionnalisé en ce sens qu'il est transféré de la personne des gouvernants qui n'en ont plus que l'exercice, à l'État qui en devient désormais le seul propriétaire."
Georges Burdeau, L'État, 1966, Points Seuil, p. 31.
Retour au menu sur l'Etat