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L'éthologie comme science du comportement animal

  "Au cours de trente années consacrées aux études éthologiques, je suis devenu de plus en plus convaincu que la caractérisation la plus correcte de l'éthologie était "l'étude biologique du comportement". Par ceci j'entends que cette science est caractérisée par un phénomène observable (comportement ou mouvement) et par un type d'approche, une méthode d'étude (la méthode biologique). Le premier point signifie que le point de départ de notre travail reste inductif, ce qui nécessite la description des phénomènes observables. La méthode biologique est caractérisée par la méthode scientifique générale, et, en plus, par le type de questions que nous posons, qui sont les mêmes que celles de la biologie, et de certaines qui sont particulières à l'éthologie. Huxley aime parler des trois problèmes majeurs de la biologie : celui de la causalité, celui de la valeur de survie et celui de l'évolution, auxquels je voudrais celui de l'ontogenèse. Il y a bien sûr recouvrement entre les champs couverts par ces questions et je crois, avec Huxley, qu'il est utile à la fois de les distinguer et d'insister sur le fait qu'une science éthologique cohérente doit porter une attention égale à chacun d'eux et à leur intégration. Ma thèse sera que la grande contribution de KONRAD LORENZ à l'éthologie, et donc à la biologie et à la psychologie, est qu'il nous a fait réaliser cette étroite affinité entre l'éthologie et le reste de la biologie ; qu'il nous a fait appliquer la « pensée biologique » à un phénomène auquel elle n'avait jusqu'à présent pas été appliquée de manière aussi cohérente qu'il était souhaitable. Il ne s'agit bien sûr pas de minimiser les contributions concrètes et factuelles de LORENZ, que nous savons tous être massives, mais je soutiens que l'importance de toutes ses contributions est mieux caractérisée en disant qu'il nous a fait regarder le comportement à travers les yeux des biologistes. Je soutiens également qu'il s'agit d'une réalisation d'une importance capitale et que, si quelque chose mérite le nom largement abusé de « percée majeure », c'est la réussite de LORENZ."

 

Nikolaas Tinbergen, "On aims and methods of Ethology", 1963, Zeitschrift für Tierpsychologie, 20 (1963), p. 411.

 

  "In the course of thirty years devoted to ethological studies I have become increasingly convinced that the fairest characterisation of Ethology is “the biological study of behaviour”. By this I mean that the science is characterised by an observable phenomenon (behaviour, or movement), and by a type of approach, a method of study (the biological method). The first means that the starting point of our work has been and remains inductive, for which description of observable phenomena is required. The biological method is characterised by the general scientific method, and in addition by the kind of questions we ask, which are the same throughout Biology and some of which are peculiar to it. HUXLEY likes to speak of “the three major problems of Biology”: that of causation, that of survival value, and that of evolution – to which I should like to add a fourth, that of ontogeny. There is, of course, overlap between the fields covered by these questions, yet I believe with HUXLEY that it is useful both to distinguish between them and to insist that a comprehensive, coherent science of Ethology has to give equal attention to each of them and to their integration. My thesis will be that the great contribution KONRAD LORENZ has made to Ethology, and thus to Biology and Psychology, is that he made us realise this close affinity between Ethology and the rest of Biology ; that he has made us apply “biological thinking” to a phenomenon to which it hadhitherto not been as consistently applied as was desirable. This is, of course, not to belittle LORENZ'S concrete, factual contributions, which we all know are massive, but I submit that the significance of all his contributions is best characterised by saying that he made us look at behaviour through the eyes of biologists. I also submit that this is an achievement of tremendous importance and that, if anything deserves the much-abused name of “a major breakthrough”, LORENZ'S achievement does."

 

Nikolaas Tinbergen, "On aims and methods of Ethology", 1963, Zeitschrift für Tierpsychologie, 20 (1963), p. 411.


 

  "L'amour des animaux qui est la condition première de leur patiente observation peut s'expliquer par deux catégories de motivations instinctives relevant de deux types de comportements : celui du chasseur et celui du paysan. Chez beaucoup d'éthologistes, parmi les plus grands, le choix de l'objet et de la méthode est commandé par le plaisir de guetter l'animal, de l'épier autrement dit de le « piéger ». Ils ne trouvent aucun plaisir à observer un animal en captivité, considèrent même que ce n'est « pas sportif » et parviennent aisément à justifier rationnellement ce refus purement affectif avec l'argument selon lequel on ne peut jamais savoir dans quelle mesure le comportement d'un animal est altéré par ses conditions de vie en captivité. Effectivement, l'observation des animaux à l'état sauvage est absolument indispensable si l'on veut éliminer cette source d'erreur. Mais le principal avantage de l'observation de l'animal en liberté réside dans le fait qu'elle permet une appréhension directe de l'adaptation écologique de l'espèce en question.
  Aux éthologistes du « type chasseur », dont mon ami Nikolaas Tinbergen est un parfait représentant, s'opposent les éthologistes du « type paysan » dont l'objectif est essen­tiellement de posséder des animaux, de les élever, de les faire se reproduire. Les représentants de cette dernière catégorie ne guettent jamais les animaux que pour les attraper et les détenir en captivité. C.D. Whitman et Oskar Heinroth se rattachaient à cette catégorie d'éleveurs, c'est également mon cas. Nous venons d'évoquer l'un des principaux inconvénients de l'observation des animaux en captivité mais elle présente également un certain nombre d'avantages.
  Le premier de ces aspects positifs est de permettre à l'éthologiste d'observer simultanément le comportement de plusieurs espèces animales. Cet avantage est encore accentué par le fait que l'amour des animaux se cristallise souvent sur une certaine classe, voire sur un petit groupe, un genre ou une famille et qu'il ne s'étend que très progressivement à des unités taxonomiques plus importantes. En ce qui me concerne, je me suis d'abord intéressé aux canards colverts ; c'est seulement par la suite que ma recherche s'est étendue peu à peu à tout le groupe des anatidés. Heinroth et Whitman étaient également passionnés d'un groupe : dès sa jeunesse, Whitman élevait et étudiait des pigeons, Hein­roth diverses espèces de canards. Sans cela, on ne voit guère comment aurait pu être découverte la possibilité d'homologie entre des schémas comportementaux et, avec elle, la possibilité d'homologie entre des coordinations motrices héréditaires qui est à la base de toute science du comportement.

  Un second avantage de l'observation des animaux en captivité réside paradoxalement dans les troubles comportementaux provoqués par les conditions anormales de vie. Lorsque par exemple l'observateur des animaux à l'état sauvage voit un loup porter un reste de proie dans un endroit caché, creuser un trou dans la terre, y pousser la viande du bout de son museau, repousser la terre toujours avec son museau pour refermer le trou et aplanir toujours du bout de son museau, il n'a certes aucune difficulté répondre à la question de la valeur téléonomique de ce comportement mais reste incapable d'en fournir l'explication causale. L'observateur de l'animal en captivité qui voit le jeune chien ou le jeune loup porter son os derrière le rideau de la salle à manger, gratter énergiquement le parquet à côté de l'os, pousser l'os à l'emplacement où il vient de gratter et frotter son museau contre le plancher pour repousser la terre imaginaire sur le trou qu'il n'a pas creusé pour s'en aller ensuite tout content, en sait beaucoup plus long sur le programme phylogénétique qui est à l'origine de ce comportement. Lorsqu'il aura constaté en outre comme tous ceux qui possèdent un chien, que le jeune animal ne fait plus la moindre tentative d'enterrer une proie sur un sol où il n'a aucune chance d'y réussir une fois qu'il l'a fait à l'extérieur, il comprendra que certaines configurations de stimuli correspondant aux conditions d'utilisation normales du comportement en question exercer une action de dressage alors que leur absence produit l'effet inverse. C'est ainsi que l'observation des troubles comportementaux résultant de la détention en captivité fournit oie souvent une foule d'informations inattendues sur la nature et la formation de l'enchaînement comportemental en question.
  Les troubles pathologiques constituent une deuxième source d'information. De la même manière que la pathologie est l'une des principales sources d'informations sur la physiologie et que le dérèglement pathologique d'une certaine fonction dévoile au chercheur la nature du mécanisme correspondant, l'éthologiste tire des informations capitales de l'observation des troubles pathologiques du comportement.
  L'un des troubles qui apparaît le plus fréquemment chez les animaux vivant en captivité est la baisse de l'intensité avec laquelle sont mis en œuvre certains mouvements instinctifs et les enchaînements complexes qu'ils composent. L'une des meilleures illustrations de ce phénomène est la nidification chez les oiseaux en captivité. Combien de fois, aussi bien chez les ornithologues que dans les jardins zoo­logiques, n'observe-t-on pas chez les oiseaux les plus divers des velléités de construire un nid et combien de fois l'entre­prise conduit-elle effectivement à la construction d'un nid conforme aux normes de l'espèce ?"

 

Konrad Lorenz, Les Fondements de l'éthologie, 1978, tr. fr. Jeanne Étoré, Champs Flammarion, 1997, p. 67-70.

 

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Date de création : 09/11/2020 @ 09:51
Dernière modification : 05/02/2021 @ 10:00
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