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Texte à méditer :  

Car quoi de plus excusable que la violence pour faire triompher la cause opprimée du droit ?   Alexis de Tocqueville


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Hors des sentiers battus
Les animaux ont-ils une âme ?

  "Ce qui a été dit montre à l'évidence que les âmes des brutes ne sont pas immortelles. 1. On a déjà montré qu'aucune opération de la partie sensitive ne peut avoir lieu sans le corps. Or dans les âmes des bêtes on ne saurait trouver aucune opération supérieure aux opérations de la partie sensitive : elles ne comprennent ni ne raisonnent. On le voit bien du fait que tous les animaux de la même espèce agissent de la même manière, comme mus par la nature et non pas comme exerçant un art : toutes les hirondelles construisent leur nid pareillement, toutes les araignées tissent pareillement leur toile. Aucune activité de l'âme des bêtes ne peut donc avoir lieu sans le corps. Mais comme toute substance exerce quelque opération, l'âme de la bête ne pourra pas être sans le corps. Donc lorsque le corps meurt, elle périt aussi. 2. Toute forme séparée de la matière est intellectuellement en acte : ainsi l'intellect agent met en acte les espèces intelligibles, en tant qu'il les abstrait, comme on l'a vu. Mais si l'âme de la bête demeure après la mort du corps, elle sera une forme séparée de la matière. Donc elle sera une forme intellectuellement connue en acte. Mais dans les formes séparées de la matière le sujet qui comprend et l'objet compris ne font qu'un, dit Aristote, au IIIe livre du De Anima. Donc si l'âme de la brute survit au corps, elle sera intellectuelle. Conséquence impossible. 3. En toute réalité susceptible de parvenir à une certaine perfection, existe un appétit naturel de cette perfection : le bien en effet est ce que tous les êtres désirent, et chaque être désire son bien propre. Or chez les bêtes, il n'existe aucun appétit d'être perpétuel, sinon le désir de la permanence de l'espèce, désir qui se manifeste par l'instinct génésique, grâce auquel l'espèce se perpétue. Ce désir de perpétuité spécifique se retrouve dans les plantes et les êtres inanimés : mais ne relève pas de l'appétit animal en tant que tel. Appétit qui suit la connaissance. Car l'âme sensitive ne perçoit que le lieu et l'instant immédiats, il est impossible qu'elle saisisse l'être perpétuel. Elle ne le désire donc pas d'un appétit animal. L'âme de la bête n'est donc pas capable d'un être perpétuel. 4.Le plaisir parfait l'opération, comme le prouva Aristote au Xe livre de l'Ethique. Par conséquent, l'opération de chaque être est finalisée par ce en quoi il trouve son plaisir. Or les plaisirs des bêtes se rapportent à la conservation du corps : elles ne trouvent de plaisir dans les sons, les odeurs et les objets de la vue, que dans la mesure où peut s'y trouver quelque indication d'ordre alimentaire ou sexuel, unique objet de la délectation animale. Donc toute l'activité des bêtes est finalisée par la conservation de leur être corporel. Elles n'ont donc aucun être en dehors du corps. Cette doctrine est conforme à la foi catholique. Dans la Genèse, il est dit de l'âme de la brute : Cette âme est dans le sang, comme si l'on disait : De la permanence du sang dépend son existence. Et au livre des Dogmes ecclésiastiques : Nous disons que seul l'homme possède une âme substantielle, c'est-à-dire ayant la vie par soi : les âmes des bêtes périssent avec leur corps. Aristote dit aussi au IIe livre du De Anima : La partie intellectuelle de l'âme est séparée des autres comme l'incorruptible du corruptible. Ainsi est rejetée la thèse de Platon qui admettait l'immortalité de l'âme des brutes. Arguments en faveur de cette immortalité : Quand un être possède par soi une opération séparée, cet être subsiste aussi par soi. Mais l'âme sensitive des bêtes possède par soi une certaine opération à laquelle ne participe pas le corps, à savoir le mouvement : en effet l'être qui se meut est composé de deux éléments, dont l'un est moteur et l'autre mû. Puisque le corps est mû, il s'ensuit que l'âme seule est motrice. Donc elle subsiste par soi. Elle ne saurait donc être corrompue accidentellement par la corruption du corps : seuls, en effet, se corrompent accidentellement les réalités qui n'ont pas l'être par soi. Par elle-même l'âme sensitive ne peut pas non plus se corrompre : elle n'a pas de contraire, et n'est pas formée de contraires. Reste donc qu'elle soit tout à fait incorruptible. A ce point de vue semble se rattacher l'argument de Platon tendant à prouver que toute âme est immortelle : toute âme se meut elle-même ; or tout être qui se meut soi-même doit être immortel. Le corps, en effet, ne périt qu'à cause du départ du principe qui le mouvait ; et le même être ne peut pas se quitter soi-même ; d'où il suit d'après lui qu'un être qui se meut lui-même ne saurait périr. Conséquence logique : toute âme motrice est immortelle, même celle des brutes. Nous avons rattaché cet argument au précédent parce que d'après Platon aucun être ne meut s'il n'est mû ; ainsi l'être qui se meut lui-même est par lui-même moteur ; de la sorte il possède une certaine opération par soi. Ce n'est pas seulement dans le mouvement mais aussi dans la sensation que Platon attribuait à l'âme sensitive une opération propre. D'après lui, le sentir est un certain mouvement de l'âme sentante. Et de la sorte ainsi mue, elle mouvait le corps à sentir. En conséquence voici sa définition du sens : un mouvement de l'âme par le corps. Mais tout cela est manifestement faux. En effet, sentir n'est pas mouvoir mais plutôt être mû : l'animal passe de la puissance à l'acte de la sensation, grâce aux qualités sensibles qui impressionnent les sens. Et l'on n'a pas le droit d'assimiler la passivité du sens à l'égard de l'objet sensible à la passivité de l'intellect à l'égard de l'intelligible, comme si le sentir pouvait être une opération de l'âme sans instrument corporel, à la manière de l'intellection : l'intellect saisit les choses en faisant abstraction de la matière et des conditions matérielles, qui sont principes d'individuation ; ce n'est pas le cas du sens. Ceci ressort du fait que le sens atteint le particulier, l'intellect l'universel. Ainsi donc les sens subissent l'influence des choses selon qu'elles sont dans la matière ; mais non pas l'intellect, qui reçoit cette influence dans la mesure où les objets sont abstraits de la matière. La passivité de l'intellect exclut donc la matière corporelle ; la passivité du sens, non. D'ailleurs les divers sens sont réceptifs à l'égard de différentes qualités sensibles : ainsi la vue à l'égard des couleurs, l'ouïe à l'égard des sons. Or cette diversité provient manifestement de la variété des dispositions organiques : car l'organe de la vue doit être en puissance à l'égard de toutes les couleurs, l'organe de l'ouïe à l'égard de tous les sons. Mais si cette réception s'effectuait sans organe corporel, la même puissance pourrait accueillir tous les objets sensibles : car une vertu immatérielle se présente de la même manière, autant qu'il est en elle, à toutes ces sortes de qualités : c'est pourquoi l'intellect, qui n'utilise pas d'organe corporel, connaît tous les sensibles. Par conséquent, l'on ne sent pas sans organe corporel. De plus le sens est corrompu par l'excellence de son objet. Ce n'est pas le cas de l'intellect : Celui qui comprend les vérités les plus élevées, n'en comprendra pas moins les autres : il les comprendra davantage. Ainsi la passivité du sens à l'égard du sensible est d'un autre genre que celle de l'intellect par rapport à l'intelligible. La passivité de l'intellect exclut l'organe corporel : la passivité du sens implique l'organe corporel, dont l'harmonie est dissoute par l'excellence des objets sensibles. Quant à l'affirmation de Platon sur l'âme qui se meut elle-même, elle semble certaine d'après les apparences corporelles. Car aucun corps ne semble mouvoir, s'il n'est mû. D'où Platon concluait que tout être qui meut est lui-même mû. Et parce qu'on ne peut aller à l'infini dans la voie des moteurs mus, il admettait que dans chaque ordre le premier moteur se meut lui-même. Il s'ensuivrait que l'âme, premier moteur dans les mouvements des animaux, est un être qui se meut lui-même. Mais la fausseté de cette position est mise en lumière par deux arguments : 1. On a déjà démontré que tout ce qui est mû par soi est un corps. Puisque l'âme n'est pas un corps, elle ne saurait être mue qu'accidentellement. 2. L'être qui meut, en tant que tel, est en acte ; l'être mû, comme tel, est en puissance. Rien ne peut sous le même point de vue être en acte et en puissance, mais il faut, si un être se meut lui-même, qu'une de ses parties soit motrice et une autre mue. Ainsi dit-on que l'animal se meut lui-même : l'âme meut, le corps est mû. Cependant Platon n'admettait pas que l'âme fût un corps. Sans doute, il employait ce terme mouvement, qui appartient en propre aux corps, mais il ne l'entendait pas du mouvement proprement dit ; il prenait le mouvement d'une manière plus générale pour toute opération : en ce sens Aristote dit au IIIe livre du De Anima : Sentir et comprendre sont de certains mouvements, mais ainsi le mouvement n'est pas l'acte d'un être en puissance, c'est l'acte d'un être parfait. Donc, lorsque Platon disait que l'âme se meut elle-même, il voulait dire par là qu'elle agit sans l'aide du corps, contrairement à ce qui se passe dans les autres formes qui n'agissent pas sans la matière : ce n'est pas, en effet, la chaleur qui chauffe séparément, c'est le corps chaud. D'où il prétendait conclure à l'immortalité de toute âme motrice : puisque tout ce qui a par soi l'opération, peut aussi avoir par soi l'existence. Mais on a déjà montré que l'opération de l'âme animale qui est sentir, ne peut avoir lieu sans le corps. Et la chose est encore plus évidente en ce qui concerne cette activité qui consiste à désirer. Or toutes les activités qui relèvent de l'appétit sensitif s'accompagnent manifestement d'une certaine modification corporelle : c'est pourquoi on les nomme passions de l'âme. D'où il suit que le mouvoir lui-même n'est pas une opération de l'âme sensitive sans organe. Car l'âme animale ne meut que par le sens et l'appétit. La vertu qui est appelée exécutrice du mouvement, rend les membres obéissants au commandement de l'appétit : il s'agit donc de vertus qui parfont le corps en vue de la motion, plutôt que de vertus réellement motrices. Il est donc évident qu'aucune opération de l'âme animale ne peut avoir lieu sans le corps. D'où l'on peut conclure d'une manière certaine que l'âme des bêtes périt avec le corps."

 

Thomas d'Aquin, Somme contre les gentils, Livre II, chapitre 82, 1258-1265, tr. fr. Projet Docteur Angélique.



  "Y a-t-il dans les animaux quelque substance incorporelle qu'on puisse appeler âme sensitive[1] ? On doit le rechercher expérimentalement, car c'est une question de fait. Il est certain cependant, si je ne me trompe, que Dieu aurait pu créer quelque machine semblable à un animal, faisant agir sans conscience toutes les fonctions, ou certainement, plusieurs de celles que nous voyons chez les animaux. Ce qu'il aura fait, nul ne peut l'affirmer avec certitude sans révélation. Mais qu'au contraire il y ait une âme sensitive chez les animaux, on ne peut l'assurer non plus que si l'on cite des phénomènes inexplicables mécaniquement. Sans aucun doute, si l'on me présente un singe qui joue de ruses et fait une guerre de voleur ou le jeu des sacs, et même contre un homme et avec succès, je suis forcé d'avouer qu'il y a en lui quelque chose de plus qu'une machine. Mais à partir de ce moment aussi, je commencerai à devenir pythagoricien[2] et je condamnerai avec Porphyre la nourriture carnivore et la tyrannie exercée par les hommes sur les animaux. Mais je ferai aussi des prévisions à l'égard des animaux sur l'endroit où ils seront après la mort, car aucune substance incorporelle ne peut être détruite."

 

Leibniz, Lettre à Conring, 19 mars 1678, Oeuvres choisies éditées par Lucy Prenant, Aubier-Montaigne, 1972, p. 126.


[1] Selon Aristote, l'âme sensitive est le principe de vie des animaux et des hommes.
[2] Les pythagoriciens croyaient à l'incarnation successive des âmes (métempsychose).


 

  "Bête, animal, brute (Grammaire). Bête se prend souvent par opposition à homme; ainsi on dit : l'homme a une âme, mais quelques philosophes n'en accordent point aux bêtes. Brute est un terme de mépris qu'on n'applique aux bêtes et à l'homme qu'en mauvaise part. Il s'abandonne à toute la fureur de son penchant comme la brute. Animal est un terme générique qui convient à tous les êtres organisés vivants : l'animal vit, agit, se meut de lui-même, etc. Si on considère l'animal comme pensant, voulant, agissant, réfléchissant, etc., on restreint sa signification à l'espèce humaine; si on le considère comme borné dans toutes les fonctions qui marquent de l'intelligence et de la volonté, et qui semblent lui être communes avec l'espèce humaine, on le restreint à la bête : si l'on considère la bête dans son dernier degré de stupidité, et comme affranchie des lois de la raison et de l'honnêteté selon lesquelles nous devons régler notre conduite, nous l'appelons brute.
   On ne sait si les bêtes sont gouvernées par les lois générales du mouvement, ou par une motion particulière : l'un et l'autre sentiment a ses difficultés. Si elles agissent par une motion particulière, si elles pensent, si elles ont une âme, etc., qu'est-ce que cette âme ? On ne peut la supposer matérielle : la supposera-t-on spirituelle ? Assurer qu'elles n'ont point d'âme, et qu'elles ne pensent point, c'est les réduire à la qualité de machines; à quoi l'on ne semble guère plus autorisé qu'à prétendre qu'un homme dont on n'entend pas la langue est un automate. L'argument qu'on tire de la perfection qu'elles mettent dans leurs ouvrages est fort; car il semblerait, à juger de leurs premiers pas, qu'elles devraient aller fort loin; cependant toutes s'arrêtent au même point, ce qui est presque le caractère machinal. Mais celui qu'on tire de l'uniformité de leurs productions ne me paraît pas tout à fait aussi bien fondé. Les nids des hirondelles et les habitations des castors ne se ressemblent pas plus que les maisons des hommes. Si une hirondelle place son nid dans un angle, il n'aura de circonférence que l'arc compris entre les côtés de l'angle; si elle l'applique au contraire contre un mur, il aura pour mesure la demi-circonférence. Si vous délogez les castors de l'endroit où ils sont, et qu'ils aillent s'établir ailleurs, comme il n'est pas possible qu'ils rencontrent le même terrain, il y aura nécessairement variété dans les moyens dont ils useront, et variété dans les habitations qu'ils se construiront.

   Quoi qu'il en soit, on ne peut penser que les bêtes aient avec Dieu un rapport plus intime que les autres parties du monde matériel; sans quoi, qui de nous oserait sans scrupule mettre la main sur elles, et répandre leur sang ? Qui pourrait tuer un agneau en sûreté de conscience ? Le sentiment qu'elles ont, de quelque nature qu'il soit, ne leur sert que dans le rapport qu'elles ont entre elles, ou avec d'autres êtres particuliers, ou avec elles-mêmes. Par l'attrait du plaisir elles conservent leur être particulier; et par le même attrait elles conservent leur espèce. J'ai dit attrait du plaisir, au défaut d'une autre expression plus exacte; car si les bêtes étaient capables de cette même sensation que nous nommons plaisir, il y aurait une cruauté inouïe à leur faire du mal; elles ont des lois naturelles, parce qu'elles sont unies par des besoins, des intérêts, etc.; mais elles n'en ont point de positives, parce qu'elles ne sont point unies par la connaissance. Elles ne semblent pas cependant suivre invariablement leurs lois naturelles; et les plantes, en qui nous n'admettons ni connaissance ni sentiment, y sont plus soumises.
  Les bêtes n'ont point les suprêmes avantages que nous avons; elles en ont que nous n'avons pas : elles n'ont pas nos espérances, mais elles n'ont pas nos craintes; elles subissent comme nous la mort, mais c'est sans la connaître; la plupart même se conservent mieux que nous, et ne font pas un aussi mauvais usage de leurs passions."


Denis Diderot, article "Bête" de l'Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, volume I, 1751.



  "Les arguments dont se sont servis, tant ceux qui veulent priver d'âme les bêtes, que ceux qui leur en accordent, me semblent donc également faibles. Les premiers ne se fondent que sur le danger des conséquences, sur l'immortalité de telles âmes, et sur le scandale de les associer à des récompenses ou à des châtiments éternels. Nous avons vu combien il est facile de répondre à ces objections. Les autres, pour prouver que les bêtes ont une âme, étalent et exagèrent toute leur industrie ; leur habileté pour chercher leur nourriture, leurs ruses dans les combats qu'elles ont à soutenir contre leurs ennemis, leurs soins pour l'éducation de leurs petits ; l'adresse des oiseaux pour faire leurs nids, la géométrie des abeilles dans la construction de leurs alvéoles, la police et l'économie qu'elles observent dans leur république ; la fidélité du chien, la sagacité du singe, etc. Mais tout cela ne prouve absolument rien. Nous l'avons dit, et il est assez évident ; des machines peuvent être tellement construites, quelles feraient toutes ces choses sans aucun sentiment intérieur : et qui a vu le Joueur de flûte de Vaucanson s'étonnerait peut-être que des automates formés par la Divinité ne fissent que ce que nous voyons faire aux bêtes.
  Les actions des animaux qui nous paraissent les plus spirituelles, les actions des hommes mêmes, ne prouvent donc point la présence d'une âme : ni l'immobilité qui nous paraît la plus stupide n'en prouve l'absence. Ce qui constitue l'âme, c'est le sentiment du soi, dont nous ne pouvons juger que pour nous. Il nous est donc impossible de prouver directement que les bêtes ont une âme, ou de prouver qu'elles n'en ont point : nous n'en pouvons juger qu'obliquement et par analogie, comme nous jugeons des habitants des planètes."

 

Pierre Louis Moreau de Maupertuis, Lettre V, 1752, in Oeuvres de Maupertuis, Nouvelle édition, tome second, 1768, p. 248-249.

 

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Date de création : 08/12/2020 @ 12:12
Dernière modification : 08/12/2020 @ 12:12
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