"En toutes les parties de la Nature il y a des merveilles ; on dit qu'Héraclite, à des visiteurs étrangers qui, l'ayant trouvé se chauffant au feu de sa cuisine, hésitaient à entrer, fit cette remarque : « Entrez, il y a des dieux aussi dans la cuisine. » Eh bien, de même, entrons sans dégoût dans l'étude de chaque espèce animale : en chacune, il y a de la nature et de la beauté. Ce n'est pas le hasard, mais la finalité qui règne dans les œuvres de la nature, et à un haut degré ; or, la finalité qui régit la constitution ou la production d'un être est précisément ce qui donne lieu à la beauté.
Et si quelqu'un trouvait méprisable l'étude des autres animaux, il lui faudrait aussi se mépriser lui-même, car ce n'est pas sans avoir à vaincre une grande répugnance qu'on peut saisir de quoi se compose le genre Homme, sang, chair, os, veines, et autres parties comme celles-là.
De même, quand on traite d'une partie ou d'un organe quelconques, il faut garder dans l'esprit qu'on ne doit pas seulement faire mention de la matière et voir là le but de la recherche, mais qu'on doit s'attacher à la forme totale ; ainsi considère-t-on une maison tout entière et non pas seulement les briques, le mortier, les bois. Pareillement, dans l'étude de la Nature, c'est la synthèse, la substance intégrale qui importent, et non des éléments qui ne se rencontrent pas séparés de ce qui fait leur substance."
Aristote, Les Parties des Animaux, I, 5, 645a 16-36, tr. fr. Pierre Louis, Les Belles Lettres.
"Quoique nous resserrions beaucoup les bornes de l'étude de l'histoire des insectes, il est des gens qui trouveront que nous lui en laissons encore de trop étendues : il en est même qui regardent toutes les connaissances de cette partie de l'Histoire Naturelle comme inutiles, qui les traitent, sans hésiter, d'amusements frivoles. Nous voulons bien aussi qu'on les regarde comme des amusements, c'est-à-dire, comme des connaissances qui, loin de peiner, occupent agréablement l'esprit qui les acquiert ; elles font plus, elles élèvent nécessairement à admirer l'auteur de tant de prodiges. Devons-nous rougir de mettre même au nombre de nos occupations, les observations et les recherches qui ont pour objet des ouvrages où l'Être suprême semble s'être plu à renfermer tant de merveilles, et à les varier si fort ! L'Histoire Naturelle est l'histoire de ses ouvrages, il n'est point de démonstrations de son existence, plus à la portée de tout le monde que celles quelle nous fournit. Plusieurs auteurs qui nous ont fait considérer les différents êtres de l'univers, par des endroits par où on ne peut s'empêcher de les reconnaître pour des productions de la puissance et de la sagesse infinie, paraissent souhaiter que les observations sur les insectes se multiplient, parce que les démonstrations de l'existence de Dieu se multiplient en même temps.
Les recherches, qui ont les infectes pour objet, ne devraient pas même être regardées comme inutiles, par ceux qui ne font cas que de ce que le commun des hommes appelle des biens réels, elles peuvent nous conduire à augmenter le nombre de ces biens. Si on n'eût jamais observé les Chenilles, eût-on découvert celle qui fournit tant à notre luxe, et même à nos besoins ? Eût-on pu espérer que le travail d'une feule espèce d'insecte, deviendrait l'objet d'une des principales parties de notre commerce ; qu'il eût pu donner de l'occupation à tant d'arts et à tant de manufactures différentes ! La Cire et le Miel des Abeilles ont certainement des utilités réelles pour nous ; ceux qui ont observé ces mouches industrieuses dans les forêts, qui ont songé à en faire des animaux domestiques, qui les ont transportées dans les jardins ou aux environs des maisons, pour les y faire multiplier davantage, et pour profiter des fruits de leurs travaux, ne se sont-ils pas occupés utilement ? […]
Dans l'histoire des insectes, il reste un grand champ à des découvertes utiles, d'un genre tout opposé au genre de celles dont nous venons de faire mention. Une infinité de ces petits animaux désolent nos plantes, nos arbres, nos fruits. Ce n'est pas feulement dans nos champs, dans nos jardins qu'ils font des ravages, ils attaquent dans nos maisons, nos étoffes, nos meubles, nos habits, nos fourrures ; ils rongent le blé de nos greniers ; ils percent nos meubles de bois, les pièces des charpentes de nos bâtiments ; ils ne nous épargnent pas nous-mêmes. Qui, en étudiant toutes les différentes espèces d'insectes qui nous font nuisibles, chercherait des moyens de les empêcher de nous nuire, qui en chercherait pour les faire périr, pour faire périr leurs œufs, se proposerait pour objet des travaux importants. C'est dans cette vue que j'ai suivi l'histoire des Teignes : le plaisir que j'avais à observer l'admirable industrie qu'elles me découvraient, ne m'a point séduit, il ne m'a pas empêché de chercher les moyens les plus efficaces de les faire périr : j'ai déjà fait imprimer dans les Mémoires de l'Académie de 1728, ce que j'ai trouvé de mieux pour défendre les ouvrages de laine, et les pelleteries, contre leurs attaques. […]
II y a un grand nombre d'autres découvertes à désirer, qu'on ne peut attendre que de ceux qui observent bien les insectes ; ils peuvent même nous en procurer dont nous n'avons point d'idée."
René Antoine Ferchault de Réaumur, Mémoires pour servir à l'histoire des insectes, volume I, 1734, Pierre Mortier, 1737, p. 4-5, p. 9-10 et p.11.
"Celui qui connaît bien la langue des pays et des peuples qu'il visite s'en trouvera mieux et obtiendra plus que celui qui ne la connaîtrait pas. Il en est de même de rapport existant entre l'apiculteur et ses colonies : la connaissance de la « langue » des abeilles lui permet de les faire mieux servir ses desseins.
Une fois qu'arrive l'été, le temps des grosses récoltes est passé. Il y a bien encore de nombreuses plantes qui fleurissent, mais les sources de nectar ne coulent plus aussi abondamment que quelques semaines auparavant. L'apiculteur averti sait qu'à ce moment, dans beaucoup de prairies, les cirses, ces grands chardons, dressent vers le ciel par centaines de milliers leurs têtes enveloppées dans un involucre vert, et qu'ils peuvent lui rapporter encore maintes livres de miel. Mais les abeilles ne font plus preuve d'autant de suite dans leur activité. Ce sont surtout des bourdons que l'on voit s'affairer autour des cirses. Ils ont l'avantage d'avoir une plus longue trompe que les abeilles, et d'ailleurs celles-ci ne trouvent pas assez de nectar dans ces fleurs pour danser et demander du renfort lors de leur retour à la ruche. L'éleveur s'en rend compte, non sans déplaisir. Comment faire comprendre aux ouvrières qu'elles ne devraient pas rester à la ruche sans rien faire et que cela vaudrait quand même la peine d'aller chercher ce qu'il y a dans les fleurs de cirse ?
Il peut pourtant le leur dire, s'il s'entend à leur parler. Pour cela, il lui suffit d'attirer avec du miel et de l'eau sucrée quelques abeilles de ses ruches vers un bouquet de cirses et de les y nourrir en l'arrosant de liqueur sucrée ; elles danseront, alors, et le parfum qu'elles emportent révélera la provenant de leur butin et le but que visent leurs appels pressant. Leurs congénères s'envolent bientôt et se mettent à la recherche du parfum de cirse, si prometteur. Le nombre de visites que les abeilles font à ces fleurs s'en trouve multiplié un grand nombre de fois.
Dans la pratique, le procédé a subi diverses modifications et simplification. Au lieu de faire manger les abeilles sur des fleurs de cirse, on peut très bien leur présenter, dans la ruche, une solution sucrée qui en ait l'odeur. Pour cela, il suffit de plonger les fleurs dans de l'eau sucrée, et de les y laisser quelques heures. Quant aux fleurs dont le parfum se modifient par le séjour dans l'eau sucrée et ne répondrait donc plus à ce qu'on attend de lui, on les fait sécher, puis on les met, avec de l'eau sucrée, dans une petite boîte que l'on place alors devant le trou de vol de la ruche. De cette façon, des apiculteurs au courant du progrès purent obtenir sans grand effort d'importantes récoltes de miel provenant de cirses ou d'autres plante, alors que leurs voisins restaient les mains vides.
Il n'est pas rare non plus que l'agriculteur soit désireux d'attirer les abeilles ver une plante donnée, pour en améliorer la pollinisation et en augmenter le nombre de graines. Ainsi, pour le trèfle incarnat, l'une de nos plantes fourragères les plus importantes, l'obtention des graines nécessaires à la culture est difficile et incertaine. Le nectar de ces fleurs à bourdons n'est pas facilement accessible aux abeilles, dont la trompe est trop courte pour pénétrer jusqu'au fond des fleurons. Là où l'on cultive des champs entiers de trèfle, il y a trop peu de bourdons pour en polliniser toutes les fleurs. Les abeilles, elles, ne volent pas volontiers vers ces champs qui ne leur rapportent pas grand-chose, et elles se tournent de préférence vers de meilleures sources. Le résultat, c'est que la récolte de graines est mauvaise, à moins que – ce qui arrive rarement – le trèfle incarnat ne sécrète un nectar extrêmement abondant, qui lui attire la visite d'un plus grand nombre d'abeilles. Il y a cependant moyen de remédier à cette situation malencontreuse. On installe des ruches près des champs de trèfle et on sensibilise les abeilles à l'odeur du trèfle, de la façon que nous avons indiquée. Le nombre des abeilles qui butinent le trèfle s'en trouve augmenté au point que la récolte de graines s'accroît de 40 % en moyenne. Dans les régions où pousse le trèfle incarnat, le fait qu'on puisse désormais compter sur son rendement en semences a suscité chez les grainetiers expérimentés un vif intérêt pour ce procédé de « direction par le parfum ». Si celui-ci n'est encore appliqué qu'en peu d'endroits, il est pourtant certain qu'il prendra bientôt une plus grande extension là où on est contraint d'exploiter à fond le sol. En effet, la peine modique qu'il faut se donner pour exhorter les abeilles au travail dans leur propre « langue », aide en fin de compte l'apiculteur à remplir ses pots à miel et fait réaliser un gain important à l'agriculteur."
Karl Von Frisch, Vie et moeurs des abeilles, 1927, tr. fr. André Dalcq, Albin Michel, 1984, p. 196-198.
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