"Si les abeilles viennent prendre aux fleurs du nectar et leur pollen, on ne peut pas leur en vouloir ; et si les plantes leur offrent ces deux éléments nutritifs, il se fait qu'elles y trouvent leur intérêt.
Les grains de pollen sont les germes mâles des plantes à fleur et correspondent aux spermatozoïdes des animaux. Les germes femelles, correspondant aux œufs des animaux, sont souvent – mais non toujours – produits par les mêmes fleurs que le pollen et reposent dans une protubérance du fond de la fleur, l'ovaire. Tout comme un œuf de poule ne peut se développer en un poussin que s'il a été fécondé par un coq, les germes femelles contenus dans l'ovaire ne peuvent donner naissance à des graines mûres, capables de se développer et de produire de jeunes plantes, qu'après leur union avec les germes mâles, les grains de pollen.
Pour que les graines soient fécondées, il faut qu'un peu de pollen parvienne sur le stigmate de la fleur, et donc que la plante soit « pollinisée ». De ce stigmate, le contenu des grains de pollen, accompagné des enveloppes de ceux-ci, descend par le style vers l'ovaire, pour s'y unir aux germes femelles. S'il n'y a pas de pollen qui tombe sur le stigmate, il n'y aura pas de fruits. Mais ordinairement, la fleur ne peut pas répandre elle-même le pollen sur son stigmate, car elle n'est pas capable de bouger. D'ailleurs, il ne paraît pas avantageux du tout que le pollen parvienne sur le stigmate de la fleur dont il est issu, tout comme chez les animaux un élevage trop consanguin peut devenir nuisible. La descendance sera plus robuste si le pollen tombe sur d'autres fleurs de l'espèce considérée, condition qui se trouve favorisée par de nombreux moyens. Il arrive même fréquemment que les fleurs ne soient pas fécondables par le pollen qu'elles ont elles-mêmes produit, en sorte que l'autopollinisation demeure stérile.
Supposons maintenant qu'une abeille, en train de faire sa récolte de pollen, volette de pavot en pavot, de rose en rose ; elle transporte donc du pollen d'une fleur à une autre et, aussi enfarinée que le serait un garçon meunier, elle ne peut manquer de laisser tomber quelques grains de pollen sur le stigmate et de le féconder. De même, les ouvrières en quête de miel effleurent, elles aussi, étamines et stigmates, tandis qu'elles s'affairent au fond des fleurs pour en extraire le doux suc, et, inconsciemment, elles jouent donc le rôle d'agents de pollinisation. [...]
Il y a encore d'autres insectes capables de polliniser ; en effet, il suffit d'un beau jour de printemps pour voir se trémousser près des fleurs tout un monde multicolore de bourdons, de papillons, de coléoptère et de mouches. Ce sont cependant les abeilles qui viennent au premier rang des transporteurs de pollen, du fait de leur grand nombre et de leur ardeur au travail ; elles ne visent pas seulement à apaiser leur faim, mais aussi à constituer des provisions pour l'hiver. Leurs merveilleux outil les placent aussi au premier plan parce qu'ils leur permettent de visiter de nombreuses fleurs dont des insectes moins bien équipés ne peuvent tirer profit. S'il n'y avait pas d'abeilles, ce ne serait donc pas seulement nos arbres fruitiers qui ne porteraient pas ou peu de fruits, mais encore le trèfle et le sarrasin, les haricots et les concombres, les myrtille et les airelles, d'innombrables fleurs des prés et autres végétaux.
Mais les fruits d'aujourd'hui sont les plantes de demain. La génération suivante se développe à partir de graines, et les plantes qui n'en produisent pas, ou trop peu, périssent. Du fait qu'elles sécrètent du nectar, les fleurs attirent les insectes ; ceux-ci y trouvent donc un appât et leur prennent aussi le pollen superflu. Ce ne sont cependant pas des pillard, car s'il prennent, ils donnent aussi : ils réalisent la pollinisation, assurent le développement des graines et la conservation de l'espèce. Bel exemple d'action réciproque, d'autant plus admirable qu'aucune de deux parties ne sait ce qu'elle fait."
Karl Von Frisch, Vie et moeurs des abeilles, 1927, tr. fr. André Dalcq, Albin Michel, 1984, p. 40-43.
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