"L' « ambiguïté de l'existence » fait accomplir à l'homme, au delà du monde animal, un pas très décisif grâce auquel la parole devient possible. Car, en dernière instance, le germe de toute langue, son noyau, c'est la question qu'un être pose à un autre. Mais toute question est aussi une obligation, ou du m ms la comporte et ne se conçoit pas sans elle. Elle est un appel, une obligation, et non pas seulement une curiosité intellectuelle, car la bête peut être curieuse, elle aussi. Une question s'adresse positivement à quelqu'un, le met en cause, « au pied du mur », l'interpelle et fait appel à lui. Elle est exigence de réponse, d'engagement dans un sens ou l'autre. Et qui comprend une chose comme question, en tant que question, se trouve constitué dans son être propre, en tant qu'être imposant l'obligation d'une réponse. Concevoir l'être d'autrui comme une question, c'est exister soi-même comme un être destiné, comme tel, à servir de réponse.
Toute question – y compris même un simple regard ou geste réellement interrogatif – est l'indéniable signe du rapport proprement humain au monde extérieur. Quant à la réponse, on peut la donner ou la refuser (mais refuser, c'est encore un certain don, une manière de répondre). De toute façon, cette relation inaugure une nouvelle façon d'être, c'est-à-dire une existence, une présence authentique au monde, non seulement dans le monde et avec lui, mais par égard au monde, « vis-à-vis » du monde ; rapport éthico-spirituel. « Le langage de l'homme est la seconde roue qui tourne, avec l'esprit, sur le même essieu » (von KLEIST). Le mouvement commun de l'esprit et de la parole est celui grâce auquel l'existence humaine se transfère au delà du domaine vital, où la bête se trouve incarcérée ; c'est en vertu de cette motion que l'homme découvre un univers et crée une culture."
F. J. J. Buytendijk, Traité de psychologie animale, 1952, tr. fr. A. Frank-Duquesne, PUF logos, p. 262-263.
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