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Texte à méditer :   Un peuple civilisé ne mange pas les cadavres. Il mange les hommes vivants.   Curzio Malaparte
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Hors des sentiers battus
Les sociétés animales

  "Une communauté est issue d'un individu par un prolongement de la différenciation de ses organes. Cette différenciation peut aboutir à des sociétés extrêmement complexes, comme les « états» d'insectes sociaux. […]
  La plupart des états d'insectes ont pour origine une femelle fécondée. Beaucoup d'insectes abandonnent leurs œufs dès qu'ils sont pondus, et la « communauté » ne va jamais plus loin que les relations entre l'individu et l'organe. Mais beaucoup d'Abeilles et de Guêpes continuent à s'occuper de leurs œufs après la ponte, et même des larves, quand elles sont écloses. Certaines guêpes solitaires, par exemple, comme l'Ammophila adriaansei, non seulement fournissent comme nourriture à la larve une proie paralysée (ce que font la plupart des Ammophiles), mais apportent d'autres nourritures quand la larve a mangé sa provision. Quand elle se met à tisser un cocon, sa mère la quitte ; celle­-ci meurt bien avant qu'aucun de ses rejetons n'éclose.
  Parmi les apiaires « solitaires », certaines espèces ont atteint un niveau d'organisation sociale supérieur à celui de ces Ammophiles. Le Halictus quadricinctus, une abeille à terriers, par exemple, ne se contente pas de fournir aux œufs une provision de miel et de pollen : il reste dans le terrier jusqu'à ce que les larves aient éclos ; il s'associe alors à sa progéniture. Celle-ci ne quitte pas le terrier, mais l'agrandit, y pond, et s'occupe des œufs. Chaque insecte apporte à manger à ses propres larves, ainsi qu'aux autres. Mais la dernière génération de l'automne n'a pas les mêmes dispositions : elle quitte le nid et les individus s'éparpillent. Ils hibernent chacun de leur côté, et ceux qui survivent fondent, au printemps suivant, une nouvelle « famille ».
  Les Bourdons ont franchi un autre pas, très important, dans le domaine de l'organisation sociale. La communauté de Bourdons est, elle aussi, fondée par une femelle, la « reine ». La reine entretient d'étroits contacts avec ses descendants ; il arrive qu'elle ouvre les cellules dans lesquelles les larves grandissent, et renouvelle leurs provisions, Toutes les premières larves donnent des femelles. Ces premières femelles ont les ovaires atrophiés et sont stériles. Ce sont des « ouvrières ». Dès lors, la reine devient plus ou moins une machine à pondre. Les ouvrières font tout le reste : construisent de nouvelles cellules, s'envolent chercher à manger, et nourrissent la reine et ses enfants. Dans une communauté de bourdons, il y a donc une division du travail entre individus. À la fin de l'été, les œufs produisent des femelles plus parfaites, ainsi que des mâles. Ces individus s'accouplent et, en automne, la grande famille se disperse. Tout le monde meurt, sauf les femelles qui viennent d'être fécondées. Ces reines en puissance hibernent, tantôt isolément, tantôt en groupe dans les anciens nids, mais, au printemps suivant, chacune d'elles commence la longue quête d'un nouvel abri où fonder une communauté.
  Les apiaires sociaux, parmi lesquels l'Abeille est le plus connu, vont plus loin encore. Tout d'abord, la division du travail est poussée à un degré extrême. Comme chez les Bourdons, il y a une reine, des femelles stériles ou ouvrières, et des mâles. Les ouvrières ont des tâches très variées. Certaines récoltent du miel, d'autres du pollen. D'autres encore ne font que construire de nouveaux rayons, d'autres enfin se spécialisent dans les devoirs parentaux. La division du travail est une question d'âge : chaque ouvrière occupe ces emplois successivement. Peu après avoir quitté sa cellule, l'ouvrière se met à nettoyer les cellules dont des ouvrières sont sorties, récemment. La reine n'accepte de mettre un nouvel œuf dans la cellule qu'une fois que celle-ci a été ainsi nettoyée. Après avoir accompli ce travail sans répit pendant trois jours environ, l'ouvrière se met à nourrir les larves, en particulier les plus anciennes. Pour cela elle va chercher du miel et du pollen dans les réserves. Au bout de trois autres jours, elle se met à nourrir également les jeunes larves. Celles-ci reçoivent une nourriture différente ; outre le miel et le pollen, elles reçoivent une sorte de « lait », nourriture très digeste sécrétée par des glandes spéciales qui se trouvent dans la tête de l'ouvrière. En outre, les ouvrières de cet âge se risquent pour la première fois dehors ; elles font de courts vols de reconnaissance, mais sans recueillir encore ni miel ni pollen. À l'âge de dix jours, l'ouvrière abandonne son travail antérieur ; les petits ne l'intéressent plus, elle se lance dans diverses tâches ménagères, comme prendre le miel des pattes des butineuses qui arrivent, le déposer dans les cellules ou l'offrir à d'autres abeilles ; elle tasse le pollen apporté par les butineuses dans les cellules à pollen, construit de nouvelles cellules à partir de la cire sécrétée par sa glande séricifère, et fait disparaître les abeilles mortes et les déchets. Le 20e jour de sa vie, elle devient garde : elle se poste à l'entrée de la ruche et inspecte toute abeille qui arrive. Il y a 20 ou 30 de ces gardes en service simultanément, qui attaquent et repoussent tout intrus. Mais ces abeilles ne restent pas longtemps gardes ; elles ne tardent pas, en effet, à devenir des butineuses, qui parcourent la campagne et recueillent du miel et du pollen ; telle est leur activité jusqu'à leur mort. La division du travail se prolonge parmi les ouvrières : certaines d'entre elles sont des « éclaireuses » et partent chercher de nouvelles plantes quand les espèces sur lesquelles la ruche se nourrissait depuis quelque temps commencent à tarir ; par leurs « danses », elles indiquent la nature, la direction et la distance de toute source de nourriture qu'elles découvrent.
  La communauté d'Abeilles diffère aussi de la communauté de Bourdons par le fait qu'elle ne se désintègre pas en automne. Si personne n'intervient, elle subsiste d'année en année. Ainsi, la communauté existe plus longtemps que tous les individus qui la composent, et c'est pour cela que ces communautés sont appelées « états ». Un nouvel état n'est pas fondé par une reine solitaire, mais par un « essaim », composé d'une reine et d'ouvrières de toutes les classes. L'état d'origine, qui a une seule reine, se divise juste avant la naissance d'une autre reine ; la précédente part avec l'essaim pour un nouvel emplacement. Plus avant dans la saison, il arrive que d'autres essaims quittent la ruche, chacun conduit par une jeune reine. Les nouveaux états naissent donc par un processus qui rappelle la mitose. Dans les deux cas, les organismes produits doivent, après avoir acquis l'indépendance, croître par leurs propres efforts."

 

Nikolaas Tinbergen, La Vie sociale des animaux, 1953, tr. fr. Laurent Jospin, Petite Bibliothèque Payot, 1979, p. 132-133.


 

  "Les animaux vivent rarement en solitaires. Ce fait est attesté par les bandes d'oiseaux, les troupeaux de brebis et de mou­tons et les essaims d'abeilles et de guêpes, même par nos propres tendances grégaires.
  Devant ces observations, la question est de savoir si les regroupements ani­maux sont accidentels, ou s'ils sont orga­nisés et naissent d'une attraction mutuelle entre les individus.

  Les insectes attirés par la lumière d'une lampe mettent en évidence le premier type de regroupement : l'union accidentelle d'in­dividus divers qui, sans la cause externe d'attraction, ne se rassembleraient pas.
  On peut observer chez les araignée­s-échassiers du Mexique le début d'une véritable société. Ces arthropodes s'amoncell­ent en masses de plus de 70000 indi­vidus dans les branches des cactus du désert. Ces accumulations ont une double origine : l'attraction que des conditions physiques déterminées exercent sur les animaux, comme l'humidité dans les branches de cactus, et l'instinct grégaire que stimule la présence de congénères, en réponse à l'odeur d'une phéromone qu'ils sécrètent. Dans le climat sec où vivent ces animaux, l'accumulation de tant d'individus en une masse veloutée facilite la rétention de l'humidité qui se dégage du cactus et leur est très profitable. C'est la cause essentielle de cette ébauche de société.
  L'apparition des vertébrés dans l'arbre généalogique des êtres vivants semble s'être accompagnée d'une augmentation de l'attraction sociale. Ainsi, parmi les vertébrés les plus primitifs, de nombreuses espèces de poissons forment de grand groupements (les bancs) ; bien que les individus ne se reconnaissent pas généralement entre eux, ils gardent quelques relations pratiques de distance et de synchronisation des mouvements. En outre, grâce à la multiplication des organes sensoriels (mille yeux voient mieux que deux), ils découvrent plus facilement la nourriture et l'ennemi, car il suffit qu'un seul individu le perçoive pour que tout le banc participe à l'action, grâce aux mécanismes de communication. Si l'on ajoute à cet avantage que la résistance à l'avancement dans l'eau est moindre pour un banc que pour un individu, on comprendra les raisons qui font que les poissons se rassemblent.
  Dans ces associations, les individus ne s'incorporent pas à un groupe existant et peuvent passer de l'un à l'autre, mais il existe des cas où la colonie forme un tout. Les abeilles qui composent un essaim ne se reconnaissent pas individuellement entre elles ; toutefois, grâce à l'odeur caractéristique de l'essaim, elles savent si elles en sont ou non les membres.
  La stabilité de ces associations a facilité l'apparition de diverses fonctions sociales qui les rendent plus efficaces. C'est ainsi que le manque de compétence individuelle chez les abeilles a fait naître le système de spécialisation des fonctions : division de l'essaim en castes reproductrices (les reines et les faux bourdons) et non reproductrice (les ouvrières). Parmi ces dernières, de nombreuses autres spécialités se manifestent selon l'âge, la quantité d'aliments et les besoins de la colonie. Elles consistent une meilleure répartition du travail. Quelques ouvrières se chargeant de la surveillance, d'autres de la propreté des cellules­, du soin de jeunes, de l'aération, de la recherche de la nourriture, etc.
  Entre ces sociétés et celles où les compos­ants se reconnaissent individuellement apparaît le cas intermédiaire des colonies d'élevage de nombreux oiseaux, comme les mouettes, les hérons et autres échassiers réunis en groupes importants pour la construction de nids. Individuellement, ils ne reconnaissent, sur le sable des plages ou dans les arbres et arbustes, que leur compagne ou leurs poussins.
  La réunion en colonies d'élevage représente une diminution des probabilités qu'un individu soit attaqué séparément dévoré par les prédateurs ou les ennemis naturels. Cette disposition augmente les moyens de vigilance et de défense, la population se concentrant, au lieu de se répartir sur des territoires différents. Du fait que ces rassemblements n'ont pas besoin d'une grande structuration, l'identification individuelle de ses membres n'est pas nécessaire, à l'exception de ceux qui partagent le même nid.
  Appartenir à un groupe social, c'est observer certaines relations de distance. Les membres qui le composent instaureront entre eux des relations plus étroites que vis-à-vis d'autres groupes et, dans les relations avec leurs compagnons, ils suivront des règles fixes s'inscrivant dans telle localisation spatiale. Ils s'approchent rarement de certains individus et se tiennent très près des autres.
  Le groupe social est une réunion d'individus, mais les lois de son comportement ne découlent pas de la simple somme du comportement de ses composants. Les tendances individuelles de chaque sujet s'opposent et s'incorporent à celles de ses congénères et constituent ainsi cet autre organisme plus complexe, la société, qui maintient son équilibre en protégeant sur­tout la cohésion entre les individus et en les consacrant à des fonctions spéciali­sées.
  Dans le maintien de cette cohésion et de la diversité des fonctions, les relations de distance et l'ordre hiérarchique jouent un rôle primordial."

 

Henri Tissot (dir.), Le Comportement animal, Bibliothèque Laffont des Grands Thèmes, 1975, p. 35-39.

 

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Date de création : 08/01/2021 @ 13:16
Dernière modification : 08/01/2021 @ 13:50
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