"L'homme est d'une nature très différente et si supérieure à celle des bêtes, qu'il faudrait être aussi peu éclairé qu'elles le sont pour pouvoir les confondre. Il est vrai que l'homme ressemble aux animaux par ce qu'il a de matériel, et qu'en voulant le comprendre dans l'énumération de tous les êtres naturels, on est forcé de le mettre dans la classe des animaux ; mais la nature n'a ni classes ni genres, elle ne comprend que des individus ; ces genres et ces classes sont l'ouvrage de notre esprit, ce ne sont que des idées de convention, et lorsque nous mettons l'homme dans l'une de ces classes, nous ne changeons pas la réalité de son être, nous ne dérogeons point à sa noblesse, [...] nous n'ôtons rien à la supériorité de la nature humaine sur celle des brutes, nous ne faisons que placer l'homme avec ce qui lui ressemble le plus, en donnant même à la partie matérielle de son être le premier rang.
En comparant l'homme avec l'animal, on trouvera dans l'un et dans l'autre un corps, une matière organisée, des sens, de la chair et du sang, du mouvement et une infinité de choses semblables ; mais toutes ces ressemblances sont extérieures et ne suffisent pas pour nous faire prononcer que la nature de l'homme est semblable à celle de l'animal ; […] nous ne pouvons juger que par les effets, nous ne pouvons que comparer les résultats des opérations naturelles de l'un et de l'autre. […] On conviendra que le plus stupide des hommes suffit pour conduire le plus spirituel des animaux, il le commande et le fait servir à ses usages, et c'est moins par force et par adresse que par supériorité de nature, et parce qu'il a un projet raisonné, un ordre d'actions et une suite de moyens par lesquels il contraint l'animal à lui obéir ; […] par conséquent on doit penser qu'ils sont tous de même nature, et en même temps on doit conclure que celle de l'homme est non seulement fort au-dessus de celle de l'animal, mais qu'elle est aussi tout à fait différente. L'homme rend par un signe extérieur ce qui se passe au-dedans de lui, il communique sa pensée par la parole, ce signe est commun à toute l'espèce humaine ; l'homme sauvage parle comme l'homme policé, et tous deux parlent naturellement, et parlent pour se faire entendre : aucun des animaux n'a ce signe de la pensée. […]
Il y a une distance infinie entre les facultés de l'homme et celles du plus parfait animal, preuve que l'homme est d'une différente nature, que seul il fait une classe à part, de laquelle il faut descendre en parcourant un espace infini avant que d'arriver à celle des animaux ; car si l'homme était de l'ordre des animaux, il y aurait dans la nature un certain nombre d'êtres moins parfaits que l'homme et plus parfaits que l'animal, par lesquels on descendrait insensiblement et par nuances de l'homme au singe ; mais cela n'est pas, on passe tout d'un coup de l'être pensant à l'être matériel, de la puissance intellectuelle à la force mécanique, de l'ordre et du dessein au mouvement aveugle, de la réflexion à l'appétit. Il est évident que l'homme est d'une nature entièrement différente de celle de l'animal."
Buffon, Histoire naturelle de l'homme, 1749, in Œuvres, Pléiade, 2007, p. 186-187 et p. 189-190.
"Mais un être à qui la Nature a donné un instinct si précoce, si éclairé, qui juge, combine, raisonne et délibère autant que s'étend et lui permet la sphère de son activité, un être qui s'attache par les bienfaits, qui se détache par les mauvais traitements et va essayer un meilleur maître, un être d'une structure semblable à la nôtre, qui fait les mêmes opérations, qui a les mêmes passions, les mêmes douleurs, les mêmes plaisirs, plus ou moins vifs suivant l'empire de l'imagination et la délicatesse des nerfs, un tel être enfin ne montre-t-il pas clairement qu'il sent ses torts et les nôtres, qu'il connaît le bien et le mal et, en un mot, a conscience de ce qu'il fait ? Son âme, qui marque comme la nôtre les mémés joies, les mêmes mortifications, les mêmes déconcertements, serait-elle sans aucune répugnance à la vue de son semblable déchiré ou après l'avoir lui-même impitoyablement mis en pièces. Cela posé, le don précieux dont il s'agit n'aurait point. Eté refusé aux animaux, car puisqu'ils nous offrent des signes évidents de leur repentir comme de leur intelligence, qu'y a-t-il d'absurde à penser que des êtres, des machines presque aussi parfaites que nous, soient comme nous, faites pour penser et pour sentir la Nature ?
Qu'on ne m'objecte point que les animaux sont pour la plupart des êtres féroces qui ne sont pas capables de sentir les maux qu'ils font, car tous les hommes dans notre espèce de la férocité, comme dans la leur. Les hommes qui sont dans la barbare habitude d'enfreindre la loi naturelle n'en sont pas si tourmentés que ceux qui la transgressent pour la première fois et que la force de l'exemple n'a point endurcis. Il en est de même des animaux comme des hommes. Les uns et les autres peuvent être plus ou moins féroces par tempérament, et ils le deviennent encore plus avec ceux qui le sont. Mais un animal doux, pacifique, qui vit avec d'autres animaux semblables et d'aliments doux, sera ennemi du sang et du carnage ; il rougira intérieurement de l'avoir versé, avec cette différence peut-être que comme chez eux tout est immolé aux besoins, aux plaisirs et aux commodités de la vie, dont ils jouissent plus que nous, leurs remords ne semblent pas devoir être si vifs que les nôtres, parce que nous ne sommes pas dans la même nécessité qu'eux. La coutume émousse et peut-être étouffe les remords comme les plaisirs.
Mais je veux pour un moment supposer que je me trompe, et qu'il n'est pas juste que presque tout l'univers ait tort à ce sujet tandis que j'aurais seul raison. J'accorde que les animaux, même les plus excellents, ne connaissent pas la distinction du bien et du mal moral, qu'ils n'ont aucune mémoire des attentions qu'on a eues pour eux, du bien qu'on leur a fait, aucun sentiment de leurs propres vertus ; que ce lion, par exemple, dont j'ai parlé après tant d'autres, ne se souvienne pas de n'avoir pas voulu ravir la vie à cet homme qui fut livré à sa furie, dans un spectacle plus inhumain que tous les lions, les tigres et les ours, tandis que nos compatriotes se battent, Suisses contre Suisses, frères contre frères, se reconnaissent, s'enchaînent ou se tuent sans remords parce qu'un prince paie leurs meurtres. Je suppose enfin que la loi naturelle n'ait pas été donnée aux animaux. Quelles en seront les conséquences ? L'homme n'est pas pétri d'un limon plus précieux ; la Nature n'a employé qu'une seule et même pâte, dont elle a seulement varié les levains. Si donc l'animal ne se repent pas d'avoir violé le sentiment intérieur dont je parle, ou plutôt s'il en est absolument privé, il faut nécessairement que l'homme soit dans le même cas ; moyennant quoi, adieu la loi naturelle et tous ces beaux traités qu'on a publiés sur elle ! Tout le règne animal en serait généralement dépourvu. Mais réciproquement, si l'homme ne peut se dispenser de convenir qu'il distingue toujours, lorsque la santé le laisse jouir de lui-même, ceux qui ont de la probité, de l'humanité, de la vertu, de ceux qui ne sont ni humains, ni vertueux, ni honnêtes gens, qu'il est facile de distinguer ce qui est vice ou vertu par l'unique plaisir ou la propre répugnance, qui en sont comme les effets naturels, il s'ensuit que les animaux formés de la même matière, à laquelle il n'a peut-être manqué qu'un degré de fermentation pour égaler les hommes en tout, doivent participer aux mêmes prérogatives de l'animalité, et qu'ainsi il n'est point d'âme ou de substance sensitive sans remords. […]
Enfin, le matérialiste convaincu, quoi que murmure sa propre vanité, qu'il n'est qu'une machine ou qu'un animal, ne maltraitera point ses semblables, trop instruit sur la nature de ces actions dont l'inhumanité est toujours proportionnée au degré d'analogie prouvée ci devant, et ne voulant pas, en un mot, suivant la loi naturelle donnée à tous les animaux, faire à autrui ce qu'il ne voudrait pas qu'on lui fit."
Julien Offray de La Mettrie, L'Homme Machine, in Œuvres philosophiques, Coda, 2004, p. 62-63 et p. 84.
"Pourquoi l'homme est-il perfectible et pourquoi l'animal ne l'est-il pas ? L'animal ne l'est pas, parce que sa raison, s'il en a une, est dominée par un sens despote qui la subjugue. Toute l'âme du chien est au bout de son nez, et il va toujours flairant. Toute l'âme de l'aigle est dans son œil, et l'aigle va toujours regardant. Toute l'âme de la taupe est dans son oreille, et elle va toujours écoutant.
Mais il n'en est pas ainsi de l'homme. Il est entre ses sens une telle harmonie qu'aucun ne prédomine assez sur les autres pour donner la loi à son entendement ; c'est son entendement au contraire, ou l'organe de sa raison qui est le plus fort. C'est un juge qui n'est ni corrompu ni subjugué par aucun des témoins ; il conserve toute son autorité, et il en use pour se perfectionner : il combine toutes sortes d'idées et de sensations, parce qu'il ne sent rien fortement.
Ainsi l'homme en qui l'ouïe prédominerait les autres sens à un extrême degré, ne leur laisserait qu'autant d'exercice que la propagation de l'espèce et la conservation de l'individu en exigeraient ; dans tous les autres instants, il serait comme la taupe dont l'antre retentit du moindre petit bruit, un être écoutant, et toujours écoutant.
D'où il s'ensuit que l'homme de génie et la bête se touchent, parce qu'il y a dans l'un et l'autre un organe prédominant qui les entraîne invinciblement à une seule sorte d'occupation, qu'ils exécutent parfaitement."
Denis Diderot, Réfutation d'Helvétius, 1758, Garnier Frères, tome II, 1875, p. 323-324.
"En écrivant les premières lignes de ce chapitre, je songe aux abattoirs de Chicago, les horribles usines à viande où se dépècent dans l'année un million quatre-vingt mille bœufs, un million sept cent cinquante mille porcs, qui, entrés vivants dans la machine, sortent de l'autre bout changés en boîtes de conserves, saindoux, saucisses, jambons roulés ; j'y songe parce que le Carabe va nous montrer, en tuerie, semblable célérité.
Dans une ample volière vitrée, j'ai vingt-cinq Carabes dorés (Carabus auratus Lin.). Maintenant ils sont immobiles, tapis sous une planchette que je leur ai donnée pour abri. Le ventre au frais dans le sable, le dos au chaud contre la planchette que visite le soleil, ils somnolent et digèrent.
La bonne fortune me vaut, à l'improviste, une procession de la chenille du pin qui, descendue de son arbre, cherche un lieu favorable à l'ensevelissement, prélude du cocon souterrain. Voilà un excellent troupeau pour l'abattoir des Carabes.
Je le cueille et le mets dans la volière. Bientôt la procession se reforme ; les chenilles, au nombre de cent cinquante environ, cheminent en série onduleuse. Elles passent à proximité de la planchette, à la queue-leu-leu comme les porcs de Chicago. C'est le bon moment. Je lâche alors mes fauves, c'est-à-dire que j'enlève leur abri.
Les dormeurs aussitôt s'éveillent, sentant la riche proie qui défile à côté. Un accourt ; trois, quatre autres suivent, mettent l'assemblée en émoi ; les enterrés émergent ; toute la bande d'égorgeurs se rue sur le troupeau passant. C'est alors spectacle inoubliable. Coups de mandibules de-ci, de-là, en avant, en arrière, au milieu de la procession, sur le dos, sur le ventre, au hasard. Les peaux hirsutes se déchirent, le contenu s'épanche en coulée d'entrailles verdies par la nourriture, les aiguilles de pin ; les chenilles se convulsent, luttent de la croupe brusquement ouverte ou refermée, se cramponnent des pattes, crachent et mordillent. Les indemnes désespérément piochent pour se réfugier sous terre. Pas une n'y parvient. À peine sont-elles descendues à mi-corps que le Carabe accourt, les extirpe, leur crève le ventre.
Si la tuerie ne s'accomplissait dans un monde muet, nous aurions ici l'épouvantable vacarme de l'égorgement de Chicago. Il faut l'oreille de l'imagination pour entendre les lamentations hurlantes des étripées. Cette oreille, je l'ai, et le remords me gagne d'avoir provoqué telles misères.
Or, de partout, dans le tas des mortes et des mourantes, chacun tiraille, chacun déchire, emporte un morceau qu'il va déglutir à l'écart, loin des envieux. Après cette bouchée, une autre est taillée à la hâte sur la pièce, et puis d'autres encore, tant qu'il reste des éventrées. En quelques minutes, la procession est réduite en charcuterie de loques pantelantes.
Les chenilles étaient cent cinquante ; les tueurs sont vingt-cinq. Cela fait six victimes par Carabe. Si l'insecte n'avait qu'à tuer indéfiniment, comme les ouvriers des usines à viande, et si l'équipe était de cent éventreurs, nombre bien modeste par rapport à celui des manipulateurs de jambons roulés, le total des victimes, dans une journée de dix heures, serait de trente-six mille. Jamais atelier de Chicago n'a obtenu pareil rendement."
Jean-Henri Fabre, Souvenirs entomologiques, Livre X, 1907, chapitre XIV : le carabe doré, Delagrave, 1916, p. 215-217.
"Jusqu'à aujourd'hui en effet, l'humanisme n'eut jamais lieu parce que l'homme universel qu'il évoquait n'existait pas. [... ]
Il vient de naître aujourd'hui, d'une toute autre source. Tiré de la paléoanthropologie, de la biochimie et de quelques autres disciplines expertes dans les datations, le Grand récit qui raconte l'émergence, l'expansion et les voyages aventureux d'Homo sapiens permet de dessiner l'arbre généalogique d'une seule et même famille et donc d'accéder à un nouvel universel.
Et de nouveau : existe-t-il une nature humaine ? Qu'est-ce donc que l'homme ? À ces deux questions, chaque réponse proposée par la tradition tente de définir notre espèce en général. Mais toujours quelque critique, ironique et judicieux, oppose à chaque essai une bête dite brute qui correspond à cette définition, soit parce qu'elle a deux pieds sans plume ou qu'elle rit, soit qu'experte, elle fabrique des outils, qu'elle fait l'amour face à face… Fourmis, termites, castors, chimpanzés, bonobos… voilà, que je sache, autant d'animaux politiques. Et combien de fois, mon âme, avez-vous assisté à la réception du corps diplomatique par un chef d'Etat ou, malade, à la visite d'un patron de médecine précédant sa suite… sans reconnaître là, immanquablement, quelque mâle dingo dominant ses femelles et autres dépendants, un coq en gloire dans la basse-cour parmi poules et chapons, un lion de mer sur la plage sale, levant son cou flasque ? Ethologie et génétique savent mesurer cette distance infime à nos cousins animaux.
Que l'on définisse enfin l'homme comme chose qui pense, combien en avez-vous rencontré sur la place publique ou dans quelque amphithéâtre ? Inversement, qui vous assure qu'aucune bête n'a conscience de soi, que la vache dans son pré ne médite pas sur ce pourquoi elle se trouve comme jetée dans ce carré de luzerne, ruminant sa déréliction ? Qui d'entre nous entra jamais dans la cénesthésie d'une chauve-souris ?
Une fois rejetées ces définitions absurdes, une fois fermé cet accès à l'homme universel, il semble plus aisé de répondre à la question : qui es-tu toi, mon prochain, mon voisin, que je fréquente au quotidien et que je crois connaître ?"
Michel Serres, Récits d'humanisme, 2006, Le Pommier.
"Ce qu'on rencontre sur leur terrain, c'est bel et bien « le chimpanzé », « le gorille », « l'orang-outan », dès lors qu'entre l'individu et son espèce il y a superposabilité directe. Mais en s'imaginant pouvoir confronter terme à terme « le chimpanzé » et « l'homme » - quel « homme », au juste ? On paraît croire superflu de le préciser -, on a déjà oblitéré ce qui fait toute la différence : « l'homme » historiquement développé n'est pas du tout réductible à un être individuel observable selon le même mode que le chimpanzé, c'est bien plus primordialement, et le débordant de très loin, tout un monde d'outillages et de langages, de rapports et d'institutions, de savoirs et de valeurs qu'appréhende fort mal une observation centrée sur l'individu. Qu'aucun « propre de l'homme » ne soit raison suffisante de la fantastique disparité de destin des singes anthropoïdes et des hommes, cela revient à dire en somme qu'à la différence du chimpanzé, en lui-même porteur d'à peu près toute la chimpanzéité, un individu humain n'est en lui-même qu'une très parcellaire réfraction subjectale d'humanité. Différence décisive – l'excentration sociale de l'humanitas -, qui semble demeurer lettre morte pour l'éthologie aujourd'hui dominante.
Le fait même que toute la littérature sur la vaste question ici discutée parle exclusivement, sans nulle réserve critique, le langage confusionnel de « l'homme » est le voyant indice de ce qui la vicie en profondeur : on tente de réfléchir sur les rapports entre l'animal et l'homme sans percevoir le caractère radicalement trompeur de cette homologie lexicale. Pourtant les convaincantes analyses et objections de quelques auteurs montrent bien la nécessité d'une réinterrogation principielle sur la démarche. P. C. Reynolds par exemple relève que dans les groupes humains « un outil de pierre n'est jamais produit par un artisan solitaire. [...] Chez l'homme, la construction d'artefacts est intrinsèquement coopérative."
Lucien Sève, Penser avec Marx aujourd'hui. II. L'homme ?, 2008, La Dispute.
"L'idée d'une différence de nature entre les hommes et les animaux a volé en éclats. Nous avons découvert qu'ils souffrent, qu'ils sont dotés d'intelligence, de mémoire, pour certains d'empathie ; on leur attribue même parfois une authentique conscience de soi. L'homme voit réduire ce qui lui est propre comme une peau de chagrin : désormais, il n'est plus qu'un animal comme un autre. Cette vision correspond à ce qu'Étienne Bimbenet nomme le « zoo-centrisme » : l'Animal est le nouveau fétiche, tout tourne autour de lui. Le but de cet essai, passionnant de bout en bout, est d'analyser et de critiquer cette doctrine, imposée par les sciences de la vie ou l'éthologie. Le grief ? Elle fait oublier la « singularité » de l'humain – celle-ci est refoulée, et, en ce sens, le zoocentrisme est un « complexe » à déminer.
Bimbenet commence par épingler un « naturalisme » en vogue : dire que l'homme n'est qu'un vivant, qu'il partage 98,4 % de son patrimoine génétique avec les chimpanzés, c'est réduire sa nature à la seule biologie, éliminant du même coup sa vie subjective. Autre volet de la contre-attaque : le philosophe désosse les diverses éthiques animales et montre que celles-ci reposent sur une logique compassionnelle ; l'animal est victimisé, et la morale n'a d'autre fondement que la sensibilité. Plus, un secret anthropomorphisme est à l'œuvre : si certains veulent accorder des droits aux animaux, c'est avant tout parce qu'ils nous ressemblent – et de fait, les Grands Singes sont généralement privilégiés par rapport aux moustiques.
Quid à présent de la spécificité de l'homme ? Suspense théorique… S'appuyant sur la pédagogie ou la phénoménologie, Bimbenet soutient notamment que notre langage est particulier : il ne sert pas uniquement à transmettre des informations ou à communiquer des émotions (cela, les dauphins le peuvent, entre autres) ; il permet aussi d'objectiver le monde, de le rendre « commun ». La vie humaine, très humaine, est fondamentalement « décentrée » : elle n'est pas rivée à ses intérêts immédiats, elle s'ouvre au réel et à autrui, en ayant la conscience de cette ouverture même. Les éthologues trouveront peut-être une réplique…
Écartons un malentendu : il ne s'agit pas ici de verser dans un « chauvinisme humain », de réintroduire une hiérarchie quelconque. Non, les hommes ne sont pas supérieurs (ou inférieurs) aux animaux ; nous sommes juste distincts d'eux… et réciproquement. Les animaux aussi ont des « capacités spécifiques », et Bimbenet de célébrer leur « magnifique étrangeté » – scruter les différences serait ainsi non seulement une manière de rendre hommage à tout le monde, mais surtout de fonder « une communauté des humains et des non-humains »."
Martin Duru, "Un animal pas comme les autres", Philomag, le 21 septembre 2017.
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