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Texte à méditer :   Le progrès consiste à rétrograder, à comprendre [...] qu'il n'y avait rien à comprendre, qu'il y avait peut-être à agir.   Paul Valéry
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Critique de l'animalisme et du mouvement de libération animale

  "S'appuyant sur le même couple de concepts et la même opposition homme/animal [que l'humanisme], l'esprit des Déclarations des droits des animaux, et d'une manière générale l'animalisme contemporain, ont conservé la même stratégie anthropocentrique, à l'inversion du signe près. Désormais, la « moralité » est implicitement du côté de l'animal et plus largement de la nature – et l'agressivité destructrice du côté de l'homme. L'animal en général est doté d'une personnalité morale, qu'il tient de sa nature, de la (bonne) nature, il est doté de droits naturels, mais ceux-ci ne sont pas respectés, ils sont même bafoués par l'inconduite moral de l'homme (cruauté, violence gratuite, etc.). Certes l'homme étant un animal, reconnaît-on – car il serait quand même difficile d'exclure l'homme des droits naturels reconnus à l'ensemble des autres créatures. De là des contradictions savoureuses dans l'argumentation animaliste. « L'homme, en tant qu'espèce animale, ne peut exterminer les autres espèces animales ou les exploiter en violant ce droit », lisait-on par exemple dans le texte de 1978. Le « en tant qu'espèce animale» est savamment ambigu. Car, à le prendre au sérieux, il impliquerait tout simplement que toute espèce animale en tant que telle (de la mouche tsé-tsé au pitbull) est soumise à ces mêmes devoirs. On voit bien que, en réalité, le texte aimerait dire en même temps deux choses incompatibles : d'un côté, il veut dire que l'homme est aussi un animal – sinon il n'aurait pas ces droits naturels que l'on reconnaît aux espèces animales en tant que telles –, mais alors on se demande comment, par quelle autorité, les autres espèces animales seront tenues de respecter les droits de l'homme ainsi que les droits de toutes les autres espèces animale ; et d'un autre côté, il veut dire que l'homme est une espèce complètement différente, voire opposée à toutes les autres espèces animales, puisque lui seul a un comportement « criminel » vis-à-vis des autres, qu'il peut et doit seul être soumis à des devoirs vis-à-vis de toutes les autres espèces. C'est la contradiction fondamentale que doit affronter tout animalisme. Il prétend défendre les animaux au nom des droit de la nature, et corrélativement au nom de la condamnation de l'anthropocentrisme et ce faisant, il est fondamentalement antinaturaliste (puisqu'il exclut l'homme de la nature) et reconduit l'anthropocentrisme sur son fondement le plus sûr et le plus constant : le concept d'animal. Il veut, au nom de l'unité de la « nature », étendre à l'animal (au sens large) des droits qu'on ne recon­naissait jusqu'alors qu'à l'homme ; il doit pourtant restreindre à l'homme le devoir de respecter l'animal (au sens étroit). L'homme, déchu de sa position centrale au nom d'un universalisme moral et devenu une espèce animale comme les autre, est remis en position d'« empire dans un empire », face à face avec son « Autre », l'animal, redevenu le concept corrélatif de l'homme. La tension interne au concept d'animal (tantôt incluant, tantôt excluant l'homme) détermine une contradiction dans le concept de « nature », concept central de toutes les Déclarations des droits (de l'homme, des animaux) comme de toute forme d'animalisme.
  On peut mesurer cette contradiction interne à l'animalisme dans le dilemme suivant : l'homme, quand il agit « criminellement» contre les animaux (puisque c'est ce dont on l'accuse), agit-il « naturellement » ?

  Si l'on répond non, on se trouve face à une série de questions insolubles : comment fixer, en l'homme, ce qui dépend de la nature en général (d'où il est supposé pouvoir tirer ses droits) et ce qui dépend de sa conduite perverse (à laquelle on est supposé opposer des devoirs) ? Et l'homme serait-il la seule espèce à avoir une « mauvaise nature », la seule qui soit ennemie du reste de la « nature» ? Et comment distinguer cette conduite « criminelle » de l'homme vis-à-vis des autres espèces de la « bonne » conduite des espèces animales entre elles ?
  Et si l'on répond « oui, quand l'homme agit "criminellement" contre les animaux, il agit "naturellement" », on se demande bien pourquoi la même « nature» devrait être empêchée chez l'homme alors qu'elle est source des droits des espèces animales et qu'elle devrait pour cela même être préservée et défendue. Et aussi : pourquoi l'homme agit-il « criminellement» quand il chasse et non la panthère ? Certains diront que l'un chasse pour survivre ou par nécessité (croyant voir là le critère de la « bonne» nature), alors que l'autre chasse par plaisir ou par jeu (croyant voir là, étrangement, le critère d'une activité non naturelle, voire, paradoxalement, celui d'une activité inutile ou superflue, alors que c'est d'ordinaire le critère des activités humaines jugées les plus élevées). Mais tel n'est pas le cas : on sait bien que les chats des villes eux aussi chassent, même lorsqu'ils sont bien nourris, et qu'ils se plaisent à jouer avec le corps vivant et désarticulé de leur proie. Faudrait-il les en empêcher au nom des droits des souris ? Toutes les espèces animales devraient-elles respecter les « droits de l'animal » ? Toute la nature devra­it-elle être pacifiée ? Et de force ? Faut-il déclarer que désormais elle devra s'abstenir de toute conduite « cruelle » avec elle-même ? Mais alors qui fera la police ?
  Ces contradictions internes de l'animalisme révèlent la contradiction plus fondamentale de l'idée de droits (naturels) des animaux. Si on pose que les hommes ont des droits naturels, c'est parce qu'on pose par hypothèse qu'ils ont tous les mêmes, qu'ils les ont tous également, et que les devoirs de chacun ne sont que la contrepartie inversée des droits reconnus à tous. Mais si l'on dit que les animaux ont des droits naturels, on doit confesser que seul l'homme peut les reconnaître et les déclarer, mais qu'il ne peut le faire qu'à condition d'une part de s'exclure lui-même de ces droits pour­tant déclarés naturels, et d'autre part de s'obliger aux devoirs qui en sont la contrepartie sans pouvoir ni devoir y obliger ceux à qui les droits sont reconnus. Que reste-t-il alors de l'idée de droits subjectifs, sinon une morale compassionnelle qui lui est étrangère ?"

 

Francis Wolff, "Le statut éthique de l'animal dans la corrida", 2005, in L'animal, Cahiers philosophiques, rééd. 2011, p. 180-182.


 

  "L'idée qui s'impose est que la morale ne repose pas sur des lois universelles, ni sur des règles communes ou sur des contrats (implicites ou non), ni sur la réciproci­té ou sur la reconnaissance d'autrui comme per­sonne, ni sur des devoirs collectifs à respecter ou sur des vertus à transmettre, mais sur la seule valeur intrinsèque et individuelle à accorder à tous les êtres qui pourraient être les victimes de notre conduite méchante (jeunes enfants, vieillards séni­les, handicapés mentaux, animaux). À cette morale centrée sur la seule idée de victime, correspond la montée irrépressible de la notion de « droits subjectif­s » : on ne parle plus de vertus éducatives ou des devoirs des parents, mais des droits de l'enfants ; on ne parle plus d'égalité ou de justice, mais des droits de la femme; et bien entendu, dans le droit-fil de ces droits, voilà les droits de l'animal. Cette notion, elle aussi importée indûment du domaine politique, repose sur une réinterprétation moraliste de l'idée de droits de l'homme. Les droits de l'homme affirmaient la nécessaire reconnaissance d'un territoire d'indépendance des sujets à l'égard de la puissance des États. Ils supposaient l'affirmation de l'égalité fondamentale de tous les hommes et proclamaient par conséquent que les formes de discrimination, raciale, religieuse, sexuelle, etc., devaient être combattues. Mais alors que la discrimination raciale est en effet sans fondement puisque les races n'existent pas, il n'y a pas de sens à parler de discrimination entre espèces : dira-t-on que les loups discriminent les moutons quand ils les mangent ?, cela n'a pas de sens. Et qu'il y a un sens à prétendre fonder l'égalité fr droits entre les hommes sur leur commune nature, sur quelle identité de nature fonder l'égalité de droits entre animaux ? Sur le fait que ce sont des vivants et que tout vivant aurait a priori un « droit à la vie » ? Mais s'il y a un caractère commun aux animaux, c'est qu'ils sont des vivants « hétérotrophes», c'est-à-dire qu'ils se nourrissent de substances organiques, des végétaux ou des animaux. Proclamer qu'ils ont tous un droit à la vie est une absurdité, puisque, par définition, un animal ne peut vivre qu'au détriment du vivant. J'aurais beau m'abstenir de manger des espèces vivantes, je n'empêcherai jamais toutes les autres espèces vivantes de le faire, sous peine de leur propre mort. Plus généralement la notion de droits des animaux est contradictoire : si l'on concède au loup le droit de vivre, on le retire à l'agneau ; et si l'on dit que l'agneau a des droits, que fait-on du droit du loup à se nourrir ? Proclamer l'égalité des droits des animaux est absurde : si mon chien a le droit de vivre sans puces, la puce n'a pas le droit de cohabi­ter avec mon chien.
  Ajoutons que la notion de droits subjectifs sup­pose une autorité neutre chargée de les faire respec­ter ; or les seuls animaux qui peuvent faire respecter ce droit sont les animaux humains qui sont aussi, dit-on, les seuls qui doivent les respecter ! Décidé­ment, on est en pleine confusion. Preuve qu'on n'a jamais intérêt à calquer les normes qui doivent gui­der no relations avec les bêtes sur des concepts, comme celui de « libération» ou celui de « droits », forgés pour penser les relations politiques des hom­mes entre eux."

 

Francis Wolff, "Libérer les animaux ? Un slogan immoral…", 2009, in Qui sont les animaux ?, Folio essais, 2010, p. 186-188.

 

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Date de création : 19/03/2021 @ 15:14
Dernière modification : 19/03/2021 @ 15:14
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