"Nous pouvons ainsi comprendre comment il se fait que l'homme et tous les autres vertébrés ont été construits sur un même modèle général, pourquoi ils traversent les mêmes phases primitives de développement, et pourquoi ils conservent quelques rudiments communs. Nous devrions, par conséquent, admettre franchement leur communauté de descendance ; adopter toute autre théorie, c'est en arriver à considérer notre conformation et celle des animaux qui nous entourent comme un piège tendu à notre jugement. Cette conclusion trouve un appui immense dans un coup d'œil jeté sur l'ensemble des membres de la série animale, et sur les preuves que nous fournissent leurs affinités, leur classification, leur distribution géographique et leur succession géologique. Nos préjugés naturels, cette vanité qui a conduit nos ancêtres à déclarer qu'ils descendaient des demi-dieux, nous empêchent seuls d'accepter cette conclusion. Mais le moment n'est pas éloigné où l'on s'étonnera que les naturalistes, connaissant la conformation comparative et le développement de l'homme et des autres mammifères, aient pu si longtemps croire que chacun d'eux a été l'objet d'un acte séparé de la création."
Charles Darwin, La Filiation de l'homme, 1871, chapitre I, tr. fr. Edmond Barbier.
"Évoquons un animal supérieur au repos, par exemple un chat… Du coup, nous avons la notion de bien-être, de confort. Analysons ce concept : il nous donnera la clef de ce qu'est effectivement le repos chez l'animal supérieur.
On éprouve du bien-être, on se sent à l'aise, on a du confort, lorsqu'on se trouve dans une situation corporelle dont nous avons nous-mêmes l'expérience, et dont la présence chez l'animal supérieur est évidente, visible. Ce bien-être va de pair avec des comportements donnés et des mouvements expressifs ; or, ces manifestations, nous pouvons objectivement les retrouver chez les animaux. La situation qui, d'expérience humaine, suscite le bien-être, est toujours d'ordre « ambiant » ; elle relève de l'environnement diffus. Par exemple, dans le domaine vital : une température égale et douce, l'apaisante suavité d'un crépuscule, l'enveloppante caresse d'une nappe de lumière solaire, le bercement de l'onde, etc. On réagit à ces situations en s'exposant activement à des influences diffuses, en s' « ouvrant» délibérément à leur efficace, en s'abandonnant ; c'est une attitude qui met fin aux tensions, abolit les efforts, une prise de position active et orientée dans un sens défini; on s'accorde la caresse d'une détente alanguie ; on se laisse aller, détendu, dans un fauteuil ou sur une couche.
Mais tout ceci se rencontre aussi chez le chat qui fait sa sieste.
Non seulement il choisit cette situation, mais il s'y abandonne activement. Nous le voyons s'allonger voluptueusement, se coucher : il va se reposer. Inutile de rappeler ici les nombreuses habitudes des animaux supérieurs ; chacun connaît les « formalités » préparatoires, la recherche de l'endroit voulu, sur quoi la bête fixe son choix avant d'aller « se » reposer, et la façon dont tout cela se passe. Si nous parlons en l'occurrence de bien-être, de confort, c'est à cause du regard physiognomique jeté par l'homme sur le monde animal ; si forte est ici la ressemblance de conduite, jusque dans les détails, avec celle de l'homme jouissant de son repos, que personne – y compris le chercheur scientifique – ne peut échapper à la conviction que le chat, allongé au soleil ou devant la flamme du foyer, se sent, lui aussi, confortable, « à l'aise », saturé de bien-être. En est-il effectivement ainsi, et dans quelle mesure, voilà qui, pour notre enquête, est au fond dépourvu d'intérêt immédiat. Mais il faut envisager la possibilité de cette question : un animal inférieur, par exemple un poisson ou un crapaud, ne repose-t-il pas avec un égal confort dans l'étang irradié de soleil ? On peut en croire, ce qu'on veut, mais il est certain que les animaux inférieurs n'ont pas le comportement objectivement observable chez les supérieurs : le choix de l'endroit, la détente active, l'abandon positif à la situation ambiante.
Pendant qu'il fait froid ou obscur, et durant leur digestion, les animaux inférieurs doivent tomber dans un état d'immobilité ; par contre, les supérieurs peuvent prendre du repos, aller dormir, effectuant ainsi une activité positive, qui consiste dans l'abandon à une situation ambiante et « indifférente », dont la teneur est le bien-être, le confort, et qui se manifeste à notre perception par l'adoption d'une attitude exprimant le repos. Il s'agit, chez les animaux supérieurs, d'une tranquillité gratuite, qui n'est pas réductible, du moins ni directement : ni toujours, à un processus finaliste, utilitaire, de restauration après le travail.
Tout comme nos autres actes gratuits – par exemple nos manifestations de joie, nos jeux, etc. – le repos caractérise les animaux supérieurs. Il y a chez eux une individualité plus prononcée, une autonomie plus grande ; c'est pourquoi l'on découvre chez eux des phénomènes qui ne trouvent leur réalité complète, leur accomplissement plénier, que dans l'homme, distingué de tous les animaux par sa « personnalité », C'est pourquoi la parenté, l'affinité, existe-t-elle aussi entre l'animal supérieur et l'homme ; bien entendu, cette affinité ne peut être conçue comme étiogénétique, comme relevant des origines causales, mais comme une « parenté idéale »."
F. J. J. Buytendijk, Traité de psychologie animale, 1952, tr. fr. A. Frank-Duquesne, PUF logos, p. 94-96.
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