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Texte à méditer :  La raison du plus fort est toujours la meilleure.
  
La Fontaine
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Hors des sentiers battus
Les droits des animaux

  "Je me considère comme un militant des droits des animaux – comme faisant partie du mouvement pour les droits de animaux. Ce mouvement, tel que je le conçois, est dédié à un certain nombre de buts parmi lesquels :

  • l'abolition totale de l'utilisation des animaux dans les sciences ;
  • l'élimination totale de l'élevage à des fins commerciales ;
  • l'interdiction totale de la chasse pour le sport et le commerce ainsi que l'interdiction du piégeage.

  Je suis conscient qu'il existe de gens qui disent défendre les droits des animaux et qui ne soutiennent pas les buts énoncés ci-dessus. Pour eux, l'élevage industriel est mauvais – car il bafoue les droits de animaux –  mais ils estiment que l'élevage traditionnel n'est pas condamnable. Pour eux, les tests de toxicité de cosmétiques sur les animaux bafouent leurs droits, mais les grands programmes de la recherche médicale – comme, par exemple, la recherche sur le cancer – ne le font pas. L'abattage des bébés phoques est intolérable, mais pas celui des phoques adultes. Il fut un temps où je croyais comprendre ce raisonnement. Plus maintenant. Il est impossible de changer des institutions injustes en se contentant de les améliorer.
  Ce qui est mal – fondamentalement mal –  dans la manière dont sont traités les animaux, ce ne sont pas les détails, qui varient d'un cas à l'autre. C'est le système dans son ensemble qui est mauvais. La misère du veau élevé pour la viande est pitoyable, écoeurante.  La douleur intense que ressent le chimpanzé dont le cerveau est implanté d'électrodes est répugnante. La lente agonie du raton laveur pris à la patte par un piège est insupportable. Mais ce qui est mal, ce n'est pas la douleur, la souffrance ou la privation. Tous ces éléments font partie d'un tout qui est mauvais. Parfois, souvent même, tous ces éléments rendent le tout encore pire, bien pire. Mais ces éléments ne sont pas le mal fondamental.
  Le mal fondamental est le système qui nous autorise à considérer les animaux comme nos ressources, comme étant à notre disposition, pour être mangés, subir des expériences chirurgicales ou encore pour être exploités pour l'argent ou le sport. Dès lors que l'on accepte de considérer les animaux comme nos ressources, les conséquences sont aussi prévisibles que regrettables. Pourquoi se lamenter sur leur solitude, leur souffrance ou leur mort ? Étant donné que les animaux existent pour nous – pour que nous en tirions un profit quelconque –, ce qui leur nuit ne pose pas vraiment problème – ou ne commence à le faire que si cela nous contrarie, ou nous met légèrement mal à l'aise au moment de manger notre escalope de veau. Dans ce cas, faisons en sorte que le veau ne soit plus maintenu dans l'isolement, qu'il ait plus l'espace, un peu de paille et quelques compagnons. Mais qu'on ne nous enlève pas notre escalope !
  Cependant, ce n'est pas un peu de paille, plus d'espace ou quelques compagnons qui élimineront, ni même allégeront, le mal fondamental qui reste attaché au fait que nous considérions et traitions les animaux comme nos ressources. Un veau est considéré et traité comme une simple ressource quand il est élevé dans l'isolement pour être tué puis mangé. Mais c'est aussi le cas, du veau qui est élevé (comme on dit) « plus humainement ». Ce n'est las simplement en rendant « plus humaines » les méthodes d'élevage que nous réparerons nos torts envers les animaux d'élevage. Il n'y a pas d'autre solution que de faire disparaître purement et simplement l'élevage à des fins commerciales."

 

Tom Regan, "Pour les droits des animaux", 1983, tr. fr. Éric Moreau, Cahiers antispécistes, 1992, n°5.



  "Les individus possédant une valeur inhérente ont un égal droit fondamental à être traité avec respect. Selon la théorie des droits, c'est un droit que nous ne sommes jamais justifiés à ignorer ou à outrepasser. Dans tous nos rapports moraux avec les agents et les patients moraux, nous devons toujours les traiter avec le respect qui, en tant que possesseurs d'une valeur inhérente, leur est dû. C'est là le précepte fondamental de la théorie des droits. De ce précepte, il suit que nous ne devons jamais causer de dommage à des individus qui ont une valeur inhérente au motif que tous ceux affectés par le résultat s'assureraient par là de la « meilleure » balance agrégée de valeurs intrinsèques (par ex., de plaisirs) et de valeur négatives intrinsèques (par ex., de douleurs). Causer des dommages à certains individus pour ces raisons c'est les traiter comme s'ils étaient de simples réceptacles à valeur, dépourvus par eux-mêmes de toute valeur, ce qui revient, par conséquent, à les traiter de façons qui échouent à montrer le respect qui leur est dû en matière de stricte justice. […] Parce que les individus possédant une valeur inhérente ont une prétention valide, et par conséquent, dans ce cas, un droit fondamental à un traitement respectueux, parce que leur possession de ce genre de valeur peut être utilisée pour dériver le devoir direct non acquis et prima facie de ne pas leur causer de dommage, parce que les droits fondamentaux sont validés par des appels à des principes moraux valides régissant les devoirs non acquis, et parce que la prétention à ne pas subir de dommages est une prétention-à valide et une prétention-contre valide, il suit que les individus possédant une valeur inhérente ont aussi une prétention valide, et par conséquent, dans ce cas, un droit prima facie fondamental à ne pas subir de dommage, la validation de ce droit reposant en définitive sur le principe de respect et sur le postulat de la valeur inhérente sur lequel il repose . Dire que ce droit est un droit prima facie, c'est dire (1) que la considération de ce droit est toujours une considération morale pertinente, et (2) que quelqu’un qui causerait des dommages à un autre, ou permettrait aux autres d'agir ainsi, doit être capable de se justifier (a) en appelant à d'autres principes moraux valides et (b) en montrant que ces principes ont un poids moral supérieur au droit à ne pas subir de dommage dans un cas donné."

 

Tom Regan, Les Droits des animaux, 1983, tr. fr. Enrique Utria, Hermann, 2012, p. 549-550.


 

  "Tous les agents et patients moraux possèdent certains droits moraux fondamentaux. Dire que ces individus ont des droits moraux fondamentaux (ou non acquis) signifie que (1) ils possèdent certains droits indépendamment des actes volontaires de qui que ce soit, que ce soit les leurs ou ceux des autres, et indépendamment de la position qu'il leur arrive d'occuper dans n'importe quel arrangement institutionnel ; que (2) ces droits sont universels – c'est-à-dire qu'ils sont possédés par tous les individus pertinemment semblables, indépendamment des considérations mentionnées en (1) ; et que (3) tous ceux qui possèdent ces droits les possèdent de manière égale. Les droits moraux fondamentaux diffèrent ainsi tant des droits moraux acquis (par ex., le droit de celui à qui une promesse est faite contre le prometteur), parce qu'on acquiert ces droits par suite de nos actes volontaires ou de notre position au sein d'un arrangement institutionnel, que des droits légaux (par ex., le droit de vote) puisque les droits légaux, à la différence des droits moraux fondamentaux, ne sont ni égaux ni universels.
  Les droits moraux, qu'ils soient fondamentaux ou acquis, ont été analysés en tant que prétentions valides. Former une prétention c'est affirmer qu'un certain traitement est dû, soit à moi soit à quelqu'un d'autre (soit aux autres). Une prétention est valide si et seulement si (a) c'est une prétention-contre des individus assignables qui est valide et (b) c'est une prétention-à un traitement dû par ces individus qui est valide, la validité de toute prétention-à reposant en définitive sur la validité de principes régissant les devoirs directs. […]
  Le principal droit moral fondamental possédé par tous les agents et patients moraux est le droit à un traitement respec­tueux. […] Tous les agents et patients moraux sont intelligiblement et non arbitrairement considérés comme possédant un genre de valeur distinctif (la valeur inhérente) et comme possédant cette valeur de manière égale. Tous les agents et patients moraux doivent toujours être traités de manière cohérente avec la reconnaissance de leur égale possession d'une valeur de ce genre. Ces individus ont un droit moral fondamental à un traitement respectueux parce que la prétention qui y est faite est a) une prétention-contre des individus assignables (à savoir tous les agents moraux) valide et (b) une prétention-à valide, la validité de la prétention-à reposant sur l'appel au principe de respect […] Le droit moral fondamental à un traitement respectueux interdit de traiter les agents ou les patients moraux comme s'ils étaient de simples réceptacles à valeurs intrinsèques (par ex., le plaisir), dépourvus de toute valeur par eux-mêmes, puisqu'un tel point de vue sur ces individus permettrait de causer des dommages à certains (par ex., en les faisant souffrir) au motif que l'agrégat de conséquences pour tous les autres « réceptacles» affectés par le résultat serait  alors « meilleur ». […] tous les agents et patients moraux ont un droit moral fondamental prima facie à ne pas subir de dommage.
  Dire que ce dernier droit est un droit prima facie signifie que (1) il est des circonstances où il peut être permis de l'outrepasser, mais que (2) toute personne qui voudrait l'outrepasser doit justi­fier un tel acte par l'appel à des principes moraux valides dont il est possible de montrer qu'ils outrepassent ce droit dans un cas donné."

 

Tom Regan, Les Droits des animaux, 1983, tr. fr. Enrique Utria, Hermann, 2012, p. 614-616.


 

  "La situation que nous devons imaginer est la suivante : cinq survivants sont sur un canot de sauvetage. Quatre sont des êtres humains adultes normaux. Le cinquième est un chien. Le canot n'a de place que pour quatre d'entre eux. L'un d'eux doit passer par-dessus bord ou tous périront. Lequel devrait être [sacrifié] ? Considérations spéciales mises à part, je pense que cela devrait être le chien. Et ce, parce que je crois que la mort pour n'importe lequel des survivants humains causerait un dommage plus important qu'elle n'en occasionnerait dans le cas du chien. Car, bien que le chien et chacun des humains perdent tout, si le chien ou l'un des humains doit mourir, je crois que le « tout » que chacun des humains perdrait est plus que celui qui serait perdu par le chien. Pourquoi ? Parce que la perte que représente la mort est fonction du nombre et de la diversité des sources possibles de satisfaction qu'elle a forcloses. Ainsi, s'il est vrai que la mort pour n'importe lequel des êtres humains représente une perte plus importante de possibilités de ce genre qu'elle n'en représente pour le chien, la mort pour n'importe lequel des humains serait un dommage plus important que la mort pour ce chien. C'est la raison pour laquelle, dans ces circonstances tragiques, c'est le chien qui devrait être sacrifié.
  De plus, le nombre [d'individus concernés] ne fait aucune différence. S'il nous avait fallu choisir entre non pas un chien et quatre humains, mais entre quatre humains et dix, cent ou un million de chiens, ce sont les chiens qu'il aurait fallu sacrifier. Car il n'y a pas d'individu, O, subissant un dommage par la mort des dix, cent ou un million de chien. Il y a seulement le dommage que la mort serait pour chacun des humains, comparé au dommage que la mort serait pour chacun des dix, cent ou un million de chiens. Et (dans chaque cas) la mort de n'importe lequel des êtres humain représenterait un dommage plus important, parce que la perte est plus importante, que la mort pour chacun des dix, cent ou un million de chiens.
  Avec ce qui précède en toile, de fond, ce que j'appelle le principe du pire devrait être intelligible. Ce principe spécifie que :

  considérations spéciales mises à part, lorsqu'il nous faut décider d'outrepasser  les droits d'un grand nombre d'innocents ou les droits d'un petit nombre d'innocents, et lorsque le dommage auquel ferait face le petit nombre les conduirait à être plus mal loti que ne le serait aucun [individu] du grand nombre si une autre option était choisie, alors nous devrions outrepasser les droits du grand nombre

  J'espère qu'il apparaît clairement que ma résolution des cas du canot de sauvetage où dix, cent ou un million de chiens ont jetés par-dessus bord n'est ni plus ni moins qu'une application particulière du principe du pire au type de cas de prévention qui sont discutés."

 

Tom Regan, Les Droits des animaux, 1983, préface à l'édition de 2004, tr. fr. Enrique Utria, Hermann, 2012, p. 42-44.



  "Dans son livre intitulé Animals' Rights, publié pour dernière fois en 1892, Henry Salt posait la question suivante « Les animaux inférieurs ont-ils des "droits" ? ». Et de répondre immédiatement : « Sans aucun doute, si les hommes en ont ». Je suis entièrement d'accord avec lui. S'il existe des droits possédés par tous les êtres humains, ces droits sont également possédés par les animaux non humains. Car les droits possédés par tous les êtres humains ne peuvent l'être en vertu de caractéristiques spécifiquement humaines, telles que la rationalité, l'autonomie, la conscience de soi, la capacité de passer un contrat avec quelqu'un ou de lui rendre la pareille, ou toute autre chose de ce genre. Fonder les droits de cette manière conduirait en effet à laisser de côté des êtres humains qui n'ont jamais possédé – et dans certains cas ne posséderont jamais – ces caractéristiques particulières, tels que les enfants en bas âge ou les malades atteints d'un handicap congénital.
  Certains philosophes ont suggéré que, à défaut de reconnaissance aux enfants en bas âge et aux handicapés mentaux le même statu moral que les êtres humains en possession de leurs capacités intellectuelles, on leur accorde tout de même le statut d'êtres humains à la manière d'un « statut honorifique ». Sans cela, effet, la frontière entre ceux qui ont des droits moraux et ceux qui n'en ont pas risquerait bien de se brouiller, et il se pourrait qu'un glissement se produise entre ces deux groupes d'individus menaçant les droits de ceux qui ont véritablement un titre à bénéficier pleinement de droits moraux.

  Une telle thèse ressemble à s'y méprendre à une proposition ad hoc visant à nous retenir de modifier d'une quelconque manière nos façons d'agir ordinaires. Mais si l'on devait prendre cette proposition au sérieux, il faudrait alors demander que l'on fournisse les preuves qu'un tel glissement dangereux est réellement susceptible de se produire. Or les preuves disponibles semblent au contraire aller à l'encontre de la probabilité d'un tel glissement. L'on sait par exemple que de nombreuses sociétés humaines ont refusé de reconnaître le droit de vivre aux nouveaux nés, en particulier ceux affligés d'un handicap. Or rien n'indique que ces sociétés aient été plus enclines que d'autre à violer les droits des êtres humains d'âge adulte – il semble même qu'elles aient été moins enclines à le faire que notre propre société. En outre, si la décision d'accorder ou de ne pas accorder ce statut honorifique doit être prise en considération des conséquences qu'elle pourrait entraîner, il importe d'inclure dans ce calcul les conséquences fâcheuses qui pourraient en résulter pour les animaux, lesquels se verraient alors séparés des êtres humains par un fossé imaginaire.
  Nous ne pouvons pas non plus dire que tous les êtres humains ont des droits au seul motif de leur appartenance à l'espèce des Homo sapiens – une telle position est ni plus ni moins une position spéciste, c'est-à-dire qu'il s'agit d'une forme de favoritisme à notre égard qui est aussi injustifiable que le racisme. Par conséquent, s'il est vrai que tous les humains ont des droits, cela ne peut être qu'en vertu de caractéristiques beaucoup plus minimales comme le fait d'être des êtres vivants. De telles caractéristiques minimales ne manqueraient bien sûr pas d'être possédées par les animaux non humains au même titre que par les animaux humains.
  Je n'examinerai pas ici la thèse selon laquelle certaines classes plus restreintes d'êtres humains disposent des droits qui ne sont possédés ni par les autres humains ni par les animaux non- humains. Une telle thèse, de toute évidence, se laisse défendre bien plus aisément. Si nous concevions les droits comme émer­geant de l'acceptation tacite d'un contrat social, ou de la capacité à reprendre à son compte une idée donnée de la justice et à agir en conformité avec elle, alors il nous faudrait limiter les droits aux êtres qui satisfont cette exigence. Mais une telle limitation serait incapable d'expliquer au nom de quoi – pour prendre un exemple entre mille – l'empoisonnement mortel des animaux en vue de tester des additifs alimentaires nous paraît constituer une mesure adéquate, tandis que l'utilisation de nourrissons humains dans le même but nous semble inacceptable (même des orphelins ou les enfants abandonnés lourdement handicapés). L'approche par les droits de l'homme n'est donc pas pertinente relativement à l'objectif que se fixe le mouvement de libération animale ou des droits des animaux, qui est de promouvoir le statut moral des animaux de telle sorte à garantir que les animaux ne soient pas exposés à ce type de traitement brutal, pas plus que ne le sont les enfants en bas âge.
  Mon rejet des droits des animaux n'a donc rien à voir avec le fait qu'il s'agit de droits des animaux, mais a plutôt tout à voir avec le fait qu'il s'agit de droits. Le problème ne réside pas dans l'extension aux animaux de droits possédés par les êtres humains en y incluant ces êtres humains qui ne possèdent pas les caractéristiques pertinentes dont sont également dépourvus certains animaux. Le problème réside plutôt dans le genre de droit qui pourrait être possédé à la fois par ces êtres humains et par les autres animaux."

 

Peter Singer, "Libération animale ou droit des animaux ?", 1987, The Monist, n°70/3, tr. fr. Hicham-Stéphane Almeida et Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, in Philosophie animale, Vrin, 2015, p. 138-141.

 

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Date de création : 24/03/2021 @ 10:33
Dernière modification : 30/03/2021 @ 17:04
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