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Texte à méditer :  La raison du plus fort est toujours la meilleure.
  
La Fontaine
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Hors des sentiers battus
Vérité et violence

  "La terreur de ces lois, par la publication desquelles les rois servent le Seigneur avec crainte, a profité à tous ceux dont je viens d'indiquer les états divers ; et maintenant, parmi eux, les uns disent : Depuis longtemps nous voulions cela ; mais rendons grâces à Dieu qui nous a fourni l'occasion de le faire à présent, et a coupé court à tout retard. D'autres disent : Nous savions depuis longtemps que là était la vérité, mais je ne sais quelle coutume nous retenait : rendons grâces au Seigneur qui a brisé nos liens et nous a fait passer dans le lien de la paix. D'autres disent : Nous ne savions pas que là se trouvait la vérité, et nous ne voulions pas l'apprendre ; mais la crainte nous a rendus attentifs pour la connaître, et nous avons eu peur de perdre nos biens temporels sans profit pour les choses éternelles : rendons grâces au Seigneur qui a excité notre indolence par l'aiguillon de la crainte et nous a poussés à chercher dans l'inquiétude ce que nous n'avons jamais désiré connaître dans la sécurité. D'autres encore : De fausses rumeurs nous faisaient redouter d'entrer ; nous n'en aurions pas connu la fausseté si nous ne fussions entrés ; nous n'aurions jamais franchi le seuil sans la contrainte : nous rendons grâces au Seigneur de ce châtiment qui nous a fait triompher de vaines alarmes et nous a appris par l'expérience tout ce qu'il y a d'imaginaire et de menteur dans les bruits répandus contre son Église : nous concluons que les auteurs du schisme n'ont débité que des faussetés, en voyant leurs descendants en débiter de pires. Enfin d'autres disaient : Nous pensions que peu importait où l'on observât la foi du Christ ; mais nous rendons grâces au Seigneur qui nous a retirés du schisme, et nous a montré qu'il convenait à son unité divine d'être adorée dans l'unité."

 

Saint Augustin, Lettre XCIII à Vincent, évêque donatiste, 408.


 

  "Si ceux qui sont bons et saints ne persécutent personne mais se résignent seulement à la souffrance, pourquoi, je vous prie, ces paroles du Psalmiste : « Je poursuivrai mes ennemis, je les atteindrai et je ne reviendrai qu'après les avoir vus défaillir » [Ps. XVII, 38.] ? Si nous voulons nous en tenir à la vérité, nous reconnaîtrons que la persécution injuste est celle des impies contre l'Église du Christ, et que la persécution juste est celle de l'Église du Christ contre les impies. Elle est donc bienheureuse de souffrir persécution pour la justice, et ceux-ci sont misérables de souffrir persécution pour l'iniquité. L'Église persécute par l'amour, les autres par la haine ; elle veut ramener, les autres veulent détruire ; elle veut tirer de l'erreur, et les autres y précipitent. L'Église poursuit ses ennemis et ne les lâche pas jusqu'à ce que le mensonge périsse en eux et que la vérité y triomphe ; quant aux donatistes, ils rendent le mal pour le bien ; pendant que nous travaillons à leur procurer le salut éternel, ils s'efforcent de nous ôter le salut même temporel ; ils ont un si grand goût pour les homicides, qu'ils se tuent eux-mêmes lorsqu'ils ne peuvent tuer les autres. Tandis que la charité de l'Église met tout en oeuvre pour les délivrer de cette perdition afin que nul d'entre eux ne périsse, leur fureur cherche à nous tuer pour assouvir leur passion de meurtre, ou à se tuer eux-mêmes, de peur de paraître se dessaisir du droit qu'ils s'arrogent de tuer des hommes. […]
  Pourquoi l'Église ne forcerait-elle pas au retour les enfants qu'elle a perdus, puisque ces enfants perdus forcent les autres à périr ? Si, au moyen de lois terribles, mais salutaires, elle retrouve ceux qui n'ont été que séduits, cette pieuse mère leur réserve de plus doux embrassements et se réjouit de ceux-ci beaucoup plus que de ceux qu'elle n'avait jamais perdus. Le devoir du pasteur n'est-il pas de ramener à la bergerie du maître, non-seulement les brebis violemment arrachées, mais même celles que des mains douces et caressantes ont enlevées au troupeau, et, si elles viennent à résister, ne doit-il pas employer les coups et même les douleurs ? Car si ces brebis se multiplient auprès des serviteurs fugitifs et des larrons, le pasteur a plus de droit sur elles, car il y trouve la marque du maître ; cette marque nous la respectons, c'est pourquoi nous ne rebaptisons pas ceux qui nous reviennent. Dans la correction de l'erreur et le retour de la brebis, nous ne devons pas toucher au sceau du Rédempteur. Si quelqu'un recevait d'un déserteur le signe royal, et que tous deux reçussent leur pardon, de façon que l'un revînt à la milice et que l'autre y entrât, on n'effacerait pas ce signe chez les deux soldats, mais on l'y reconnaîtrait et on l'y honorerait parce que c'est la marque du roi. Ces gens-là, ne pouvant donc montrer que c'est au mal que nous les contraignons, disent qu'on ne doit pas même être forcé au bien. Mais nous venons de voir Paul forcé par le Christ : c'est pourquoi l'Église imite son Seigneur ; elle avait d'abord attendu et n'avait contraint personne pour que les paroles du prophète sur la foi des rois et des nations s'accomplissent.
  C'est ainsi qu'on peut avec raison entendre ce passage du bienheureux Paul « Résolus à châtier toute désobéissance quand votre obéissance sera complète. » [I Cor. X, 6] Le Seigneur lui-même commence par ordonner que les conviés soient amenés à son grand festin, ensuite il ordonne qu'ils soient forcés ; après que ses serviteurs lui ont répondu : « Seigneur vos ordres sont exécutés et il reste encore de la place ; allez, dit-il, allez le long des chemins et des haies, et forcez d'entrer tous ceux que vous trouverez. » [Luc, XIV, 22, 23] Ceux qui d'abord sont doucement amenés nous représentent donc la première obéissance dont parle l'Apôtre ; mais ceux qui arrivent forcés nous représentent la désobéissance châtiée : voilà ce que signifient ces mots : « Forcez-les d'entrer, » après qu'il a été dit : « Amenez, » et qu'il a été répondu : « Ce que vous avez commandé a été fait, et il reste encore de la place. » Si on prétend que cette contrainte ne doit s'entendre que des épouvantements causés par les miracles, nous répondrons que les miracles de Dieu ont été opérés en plus grand nombre sous les yeux des premiers qui ont été appelés, surtout sous les yeux des juifs, dont on a dit « qu'ils demandent des prodiges » [I Cor. I, 22] ; et devant même les gentils, au temps des apôtres, la divinité de l'Évangile a été prouvée par des miracles tels que ce serait plutôt les premiers convives qui auraient été forcés de croire. C'est pourquoi si, par la puissance qu'elle a reçue de la faveur divine et au temps voulu, au moyen de la piété et de la foi des rois, l'Église force d'entrer ceux que l'on rencontre le long des chemins et des haies, c'est-à-dire dans les hérésies et les schismes, ceux-ci ne doivent pas se plaindre d'être contraints, mais ils doivent faire attention à quoi on les contraint. Le festin du Seigneur c'est l'unité du corps du Christ, non-seulement dans le sacrement de l'autel, mais encore dans le lien de la paix. Nous pouvons assurément dire des donatistes en toute vérité qu'ils ne forcent personne au bien, car lorsqu'ils forcent c'est toujours au mal."

 

Saint Augustin, Lettre au comte Boniface, CLXXXV, 415.


 

  "Qui donc ne sait pas que l'homme n'est damné que pour sa mauvaise volonté et que c'est uniquement sa bonne volonté qui le sauve ? Par la raison qu'on les aime, ceux qui sont dans l'erreur ne doivent pas être impunément et cruellement livrés à leur mauvaise volonté ; mais dès qu'on en a le pouvoir, il faut les détourner du mal et les forcer au bien.
  Si on doit toujours abandonner à sa liberté une volonté mauvaise, pourquoi tant de fléaux pour détourner du mal les Israélites et les forcer à marcher dans la terre de promission, malgré leurs résistances et leurs murmures ? Si on doit toujours abandonner à sa liberté une volonté mauvaise, pourquoi ne fut-il pas permis à Paul de continuer à persécuter cruellement l'Église ? Pourquoi fut-il renversé pour être aveuglé, aveuglé pour être changé, changé pour être envoyé, envoyé pour souffrir au profit de la vérité ce qu'il avait fait au profit de l'erreur ? Si on doit toujours abandonner à sa liberté une volonté mauvaise, pourquoi les saintes Écritures font- elles au père de famille un devoir, non-seulement de reprendre un mauvais fils avec des paroles, mais même de le battre, afin de l'amener, contraint et dompté, à la pratique du bien ? Le sage dit : « Tu le frappes de la verge, mais tu délivres son âme de la mort. » Si on doit toujours abandonner à sa liberté une volonté mauvaise, pourquoi l'Écriture reprend-elle les pasteurs négligents et leur dit-elle : « Vous n'avez pas ramené la brebis errante, vous n'avez pas cherché celle qui était perdue ? » Et vous, vous êtes des brebis du Christ, vous portez le caractère du Seigneur dans le sacrement que vous avez reçu ; mais vous êtes errants et vous périssez. Souffrez que nous ramenions les errants et que nous cherchions ceux qui sont perdus. Nous préférons faire la volonté du Seigneur, qui nous demande de vous forcer à revenir au bercail, que de faire la volonté des brebis errantes, pour vous laisser périr. Ne dites donc plus ce que j'apprends que vous dites souvent : C'est ainsi que je veux errer, c'est ainsi que je veux périr. — Nous devons nous y opposer tant que nous pouvons."

 

Saint Augustin, Lettre à Donat d'octobre 416 (lettre 173), in Œuvres complètes de Saint Augustin, p. 456-457.


  "C'est une étrange et longue guerre que celle où la violence essaie d'opprimer la vérité. Tous les efforts de la violence ne peuvent affaiblir la vérité, et ne servent qu'à la relever davantage. Toutes les lumières de la vérité ne peuvent rien pour arrêter la violence, et ne font que l'irriter encore plus. Quand la force combat la force, la plus puissante détruit la moindre ; quand l'on oppose les discours aux discours, ceux qui sont véritables et convaincants confondent et dissipent ceux qui n'ont que la vanité et le mensonge ; mais la violence et la vérité ne peuvent rien l'une sur l'autre. Qu'on ne prétende pas de là néanmoins que les choses soient égales : car il y a cette extrême différence, que la violence n'a qu'un cours borné par l'ordre de Dieu, qui en conduit les effets à la gloire de la vérité qu'elle attaque : au lieu que la vérité subsiste éternellement, et triomphe enfin de ses ennemis ; parce qu'elle est éternelle et puissante comme Dieu même."

 

Pascal, Les Provinciales, 1656, Seconde lettre écrite à un provincial par un de ses amis.


  "Quant à l'efficacité de la force et de la rigueur pour modifier les opinions des hommes, l'histoire est remplie d'exemples de leur essai ; mais à peine trouvera-t-on un cas où une opinion ait été éradiquée par les persécutions, sauf là où la violence qui s'est exercée à son encontre s'est employée en même temps à exterminer tous ceux qui la professaient. Je désire seulement que chacun consulte son propre cœur et qu'il en fasse l'expérience : la violence peut-elle contraindre les opinions ? Les arguments eux-mêmes, lorsqu'ils sont poussés avec trop de chaleur, ne nous rendent-ils pas encore plus obstinés dans nos opinions ? Les hommes sont en effet fort soucieux de préserver la liberté de cette partie d'eux-mêmes en quoi réside leur dignité d'hommes et qui, si on pouvait la contraindre, ferait d'eux des créatures très peu différentes des bêtes brutes. Je pose la question à ceux qui, récemment, ont eux-mêmes résisté avec constance à l'emploi d'une force qui s'est révélée sans efficacité, et qui ont montré à quel point elle était incapable de l'emporter sur leurs opinions, alors qu'ils s'empressent aujourd'hui de l'exercer sur les autres : toute la rigueur du monde pouvait-elle les rapprocher d'un seul pas d'une adhésion intime et sincère aux opinions qui prédominaient alors ? Et qu'ils ne viennent pas me dire que c'est parce qu'ils étaient assurés d'être dans le vrai car, dans ce qu'il croit, tout homme est persuadé qu'il a raison."

 

John Locke, Traité sur la tolérance, 1667, tr. fr. Jean-Fabien Spitz, GF, p. 129.


 

  "Les lois n'ont pas à décider de la vérité des dogmes ; elles n'ont en vue que le bien et la conser­vation de l'État et des particuliers qui le composent. Voilà, du moins, ce qui devrait être, et certes, la vérité peut bien se défendre elle-même, si l'on consent une fois à l'abandonner à ses propres forces. Le pouvoir des grands, qui ne la connaissent guère, et de qui elle n'est pas toujours bien venue, ne lui a jamais donné, et probablement ne lui donnera jamais qu'un faible secours. Elle n'a pas besoin de la violence pour s'insi­nuer dans l'esprit des hommes, et les lois civiles ne l'enseignent pas. Si elle n'illumine l'entendement par son propre éclat, la force extérieure ne lui sert de rien. Les erreurs au contraire ne dominent que par le secours étranger qu'elles empruntent."

 

John Locke, Lettre sur la tolérance, 1686, tr. fr. Jean Le Clerc, GF, 1992, p. 199-200.



  "À partir de 1232, date à laquelle le pape Grégoire IX charge les dominicains d'établir un tribunal d'Inquisition spécialisé dans la persécution des hérétiques et, à plus forte raison, après les deux décrétales papales du milieu du XIII 13e siècle, l'association de la torture avec le procès inquisitorial ainsi qu'avec le principe du periculum ani­marum [danger pour les âmes] – qui permettait de ne pas appliquer les dispo­sitions du droit si elles causaient un danger pour les âmes –  aboutit à l'élimination de pratiquement toutes les garanties procédurales pour les accusés hérétiques et la soumission des hérétiques à toutes les tortures que l'inquisiteur jugeait adaptées. Au cours des siècles, d'autres délits sont assimilés à l'hérésie : par exemple, la sorcellerie, qui devient crimen exceptum. L'influence de ces procès, surtout à partir du XIVe siècle, s'exerce sur la justice pénale séculière. Partout, l'Église se sert librement des aveux arrachés sous la torture aux héré­tiques. Jusqu'au XVIIIe siècle, la torture judiciaire fait partie de la culture et de la pratique juridique de l'Europe continentale, à l'exception de l'Angleterre, qui semble avoir suivi son propre chemin.
  Ce qui marque, me semble-t-il, cette généralisation de la torture judiciaire en Occident et sa légitimation comme procédure juridique, c'est le fait qu'elle soit annoncée et poursuivie au nom de la vérité. Citant des dizaines de sources juridiques, Fiorelli montre l'impor­tance du concept de vérité en tant que but et justification de la torture, depuis Ulpien qui, au IIIe siècle de notre ère, définit, dans le cadre du droit romain, la torture comme « les tourments et les souffrances du corps pour élucider la vérité », jusqu'aux juristes du haut Moyen Âge qui, comme Pillius à la fin du XIIe siècle, l'autorisent « pour tirer la vérité au clair » (« ad eruendam verita­tem ») et qui permettent au juge de la faire appliquer « s'il ne peut pas trouver la vérité autrement » (« si aliter veritas inveniri non possit ») ou « si la vérité ne peut pas être élucidée par d'autres preuves » (« si aliis probationibus veritas illuminari non possit »).

  Comme le dit Langbein, « Désormais, des humains allaient remplacer Dieu pour décider de la culpabilité ou de l'innocence, des humains appelés juges ». La vérité  n'est plus révélée par Dieu, mais découverte par le juge. Celui-ci remplace Dieu, non seulement dans le jugement sur la culpabilité ou l'innocence de l'accusé, mais aussi dans la revendi­cation de la découverte de la vérité à travers le procès. Le but du procès est donc d'établir la vérité de chaque cas. Cette vérité se cache dans les faits mais elle est aussi détenue par des personnes qui doivent être soumises à la pression morale ou physique, c'est-à-dire à la torture, pour qu'elle soit énoncée.
  Cette légalisation de la torture est donc enchâssée dans une conception du procès juridique comme méca­nisme visant à l'établissement de la vérité. Les juristes du droit canon et du ius commune sont persuadés que leur système de preuves rationnelles leur permet d'éta­blir la vérité sur le comportement, les motivations et les pensées de chaque suspect. La torture sert à renfor­cer le degré de suspicion contre l'accusé et à préparer celui-ci à l'aveu spontané qui fondera le jugement. Les capacités cognitives du juge, le caractère démonstratif des preuves rationnelles et la plausibilité rationnelle de la torture, en tant que procédure qui renforce les pré­somptions qui préparent à l'aveu, sont constitutifs de ce mécanisme qui produit la vérité."

 

Baber Johansen, "Vérité et torture : ius commune et droit musulman entre le XIe et le XIIe siècle", 1995, in De la violence I, Odile Jacob, 2005, p. 141-142.
 

 

 

Date de création : 19/11/2021 @ 11:54
Dernière modification : 28/11/2023 @ 14:38
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