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Texte à méditer :  

Il est vrai qu'un peu de philosophie incline l'esprit de l'homme à l'athéisme ; mais que davantage de philosophie le ramène à la religion.   Francis Bacon


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Hors des sentiers battus
La conception continuiste du progrès scientifique ; le progrès comme accumulation de connaissance

  "La géométrie, l’arithmétique, la musique, la physique, la médecine, l'architecture, et toutes les sciences qui sont soumises à l'expérience et au raisonnement, doivent être augmentées pour devenir parfaites. Les anciens les ont trouvées seulement ébauchées par ceux qui les ont précédés ; et nous les laisserons à ceux qui viendront après nous en un état plus accompli que nous ne les avons reçues. Comme leur perfection dépend du temps et de la peine, il est évident qu'encore que notre peine et notre temps nous eussent moins acquis que leurs travaux, séparés des nôtres, tous deux néanmoins joints ensemble doivent avoir plus d'effet que chacun en particulier. [...]
  [L'homme] est dans l'ignorance au premier âge de sa vie ; mais il s'instruit sans cesse dans son progrès : car il tire avantage non seulement de sa propre expérience, mais encore de celle de ses prédécesseurs, parce qu'il conserve toujours dans sa mémoire les connaissances qu'il s'est une fois acquises, et que celles des anciens lui sont toujours présentes dans les livres qu'ils en ont laissés. Et comme il conserve ces connaissances, il peut aussi les augmenter facilement ; de sorte que les hommes sont aujourd'hui en quelque sorte dans le même état où se trouveraient ces anciens philosophes, s'ils pouvaient avoir vieilli jusques à présent, en ajoutant aux connaissances qu'ils avaient celles que leurs études leur auraient pu acquérir à la faveur de tant de siècles. De là vient que, par une prérogative particulière, non seulement chacun des hommes s'avance de jour en jour dans les sciences, mais que tous les hommes ensemble y font un continuel progrès à mesure que l'univers vieillit, parce que la même chose arrive dans la succession des hommes que dans les âges différents d'un particulier. De sorte que toute la suite des hommes, pendant le cours de tant de siècles, doit être considérée comme un même homme qui subsiste toujours et qui apprend continuellement".

 

Pascal, Préface au Traité du vide, 1647.



  "L'histoire nous montre […] qu'aucune théorie physique n'a jamais été créée de toutes pièces. La formation de toute théorie physique a procédé par une suite de retouches qui, graduellement, ont conduit le système à des états plus achevés ; et en chacune de ces retouches la libre initiative du physicien a été conseillée, soutenue, guidée, parfois impérieusement commandée par les circonstances les plus diverses, par les opinions des hommes comme par les enseignements des faits. Une théorie physique n'est pas le produit soudain d'une création ; elle est le résultat lent et progressif d'une évolution.
  Lorsque quelques coups de bec brisent la coquille de l'œuf et que le poussin s'échappe de sa prison, l'enfant peut s'imaginer que cette masse rigide et immobile, semblable aux cailloux blancs qu'il ramasse au bord du ruisseau, a soudainement pris vie et produit l'oiseau qui court et qui piaille ; mais là où son imagination puérile voit une soudaine création, le naturaliste reconnaît la dernière phase d'un long développement ; il remonte, par la pensée, à la fusion première de deux microscopiques noyaux pour redescendre, ensuite, la série des divisions, des différenciations, des résorptions qui, cellule par cellule, ont construit le corps du jeune poulet.

  Le profane vulgaire juge de la naissance des théories physiques comme l'enfant juge de l'éclosion du poulet. Il croît que cette fée à laquelle il donne le nom de Science a touché de sa baguette magique le front d'un homme de génie et que la théorie s'est aussitôt manifestée, vivante et achevée."

 

Pierre Duhem, La Théorie physique, son objet, sa structure, 1906, 2ème partie, chapitre VII, § 2, p. 365.


 

  "La vie humaine a un aspect cumulatif qui est inhérent à la notion même de culture et de tradition. Le passé porte le présent, le modifie et le tempère, à certains égards le limite, à d'autres l'enrichit. On comprend mieux Shakespeare pour avoir lu Chaucer, et Milton pour avoir lu Shakespeare. Connaissant Thucydide, on apprécie mieux Trevelyan. On voit Cézanne avec de meilleurs yeux si on a vu aussi Vermeer et on entend beaucoup mieux Locke, après Aristote, et saint Matthieu après Job. Mais en pratique, il est rare que l'on connaisse déjà le plus ancien lorsqu'on aborde le plus récent ; et s'il est vrai que Job éclaire saint Matthieu, il ne l'est pas moins que saint Matthieu éclaire Job. Ainsi on peut comprendre une bonne partie de la littérature d'aujourd'hui sans être très versé dans celle d'hier. De même, on ne peut savoir ce que Shakespeare voulait et entendait dire en ignorant totalement ceux qui l'ont précédé et qui ont modelé sa sensibilité. Le caractère cumulatif de la science est tout différent et beaucoup plus fondamental.
    C'est une des raisons de la grande difficulté que l'on éprouve à comprendre celle où l'on n'excelle pas soi-même, car c'est de la science que Hobbes écrivait : « De cette nature, dont nul ne peut comprendre qu'elle soit, sinon ceux qui à un haut degré l'ont atteinte. Il y a à cela au moins deux raisons : l'une a trait à la relation entre les découvertes récentes et les anciennes ; l'autre à l'utilisation des travaux antérieurs comme instrument du progrès. Une découverte relative au monde naturel ne supplante pas ce que nous savions auparavant, mais le transcende, parce que l'on se trouve dans un nouveau domaine d'expérience auquel on n'a pu accéder souvent que par la pleine utilisation des connaissances antérieures. Les travaux de Huygens et de Fresnel sont aussi nécessaires que jamais, quoique nous sachions que la lumière possède des propriétés qui leur ont échappé et qui, dans le contexte des phénomènes atomiques, sont décisives. La loi de la gravitation de Newton et ses équations du mouvement s'appliquent dans d'immenses régions de la physique qu'elles régissent, et ne sont pas infirmées par le fait que dans d'autres sphères, encore plus vastes, elles doivent être remplacées par les lois plus générales d'Einstein. La théorie chimique de la valence a été expliquée, élucidée et un peu élargie par la connaissance de ce qui se passe dans les combinaisons chimiques d'après le comportement des électrons et des noyaux, mais elle n'est pas détrônée et il y a tout lieu de penser qu'elle continuera à servir aussi longtemps que l'homme s'intéressera à la chimie. Les solides fondements de faits et les lois qui les écrivent subsistent tout au long de l'histoire de la science ; ils sont affinés et adaptés à de nouveaux contextes, jamais négligés ou rejetés. Mais ce n'est pas l'unique raison. Dans le progrès scientifique, on s'aperçoit à chaque pas que ce qui était hier objet d'étude et d'intérêt pour soi devient aujourd'hui une sorte de postulat, compris et digne de foi, connu et familier, un outil de recherches et de découvertes nouvelles."

 

Julius Robert Oppenheimer, La Science et le bon sens, 1954, Gallimard, 1955, p. 35-37.



  "La première impression qui [se dégage des enseignements que l'histoire des science nous apporte sur] l'évolution du progrès scientifique considéré en lui-même est celle de la solidarité des générations successives de chercheurs dans l'œuvre d'édification de la science. Chaque génération reçoit de ses prédécesseurs, par l'intermédiaire de l'enseignement oral ou écrit, un héritage de connaissances qui lui permet d'aborder à son tour l'effort constructif qui lui permettra de développer ces connaissances et par suite de transmettre un héritage plus étendu à ceux qui la suivront. Ainsi s'accroît de génération en génération le stock des faits bien connus par l'observation ou l'expérience et celui des conceptions ou des théories qui servent à les interpréter ou à en prévoir de nouveaux. Tandis qu'elle se développe ainsi, la science se fournit à elle-même les moyens dont elle va avoir besoin, d'une part en créant ou en perfectionnant les instruments et les appareils de mesure dont elle ressent la nécessité, d'autre pan en créant de nouvelles conceptions et en mettant au point de nouvelles méthodes de raisonnement ou de calcul : ainsi la science forge sans cesse de nouvelles armes matérielles ou intellectuelles qui vont lui permettre de surmonter les difficultés qui s'opposent à sa progression, d'ouvrir des champs inexplorés à la recherche. On aperçoit alors comment s'explique le caractère en quelque sorte exponentiel du développement de la science et de ses applications. Plus que toute autre branche de l'histoire, l'histoire des sciences présente pour cette raison ce caractère de constante « accélération » qui ne peut manquer de nous frapper quand nous réfléchissons à l'évolution sans cesse plus rapide de la civilisation contemporaine."

 

Louis de Broglie, "Intérêt et enseignements de l'histoire des sciences", 1956, in Un itinéraire scientifique, La Découverte, 1987, p. 180-181.

 

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Date de création : 07/01/2022 @ 15:51
Dernière modification : 23/01/2024 @ 19:49
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