"Du monde. Le monde, c'est le ciel et la terre, la mer et les œuvres de Dieu qui y sont contenues. À propos duquel il est dit (Jean 1:10): "Et le monde a été fait par lui." Le monde [mundus], est nommé ainsi en latin par les philosophes car il est en mouvement perpétuel, comme le sont le ciel, le soleil, la lune, l'air et les mers. Ainsi ses éléments ne sont jamais en repos, et sont donc toujours en mouvement. D'où il parut à Varron que les éléments étaient animés. "Parce qu'ils sont déplacés par eux-mêmes", a-t-il dit. Les Grecs ont cependant adopté un terme pour "monde" dérivé de l'ornement, en raison de la diversité des éléments et de la beauté des astres. Car parmi eux, il s'appelle KOSMOS, ce qui signifie ornement. Car nous ne voyons rien de plus beau au monde avec les yeux de la chair."
Isidore de Séville, Étymologies, vers 636, Livre XIII.
"MONDE, Grec κόσμος (Kosmos) ; Latin Mundus, Orbis (au sens B et au figuré) ; Allemand Welt, Anglais World ; Italien Mondo – Cf. Cosmos.
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Primitivement, le système bien ordonné que forment la Terre et les astres. Par suite, les autres systèmes analogues qui peuvent exister en dehors de la sphère la plus extérieure de ce système […].
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La Terre (partie centrale et principale du monde sublunaire) et les grandes divisions géographiques de la Terre : « Les cinq parties du monde ; le monde connu des Anciens ; le Nouveau-Monde. » - À ce sens se rattachent probablement les expressions : « Venir au monde, quitter ce monde » pour naître et mourir.
L'autre monde (par opposition à ce monde, ce bas-monde) : lieu que les âmes sont censées habiter après la mort ; par suite, ensemble des esprits autres que ceux des hommes actuellement vivants (morts, anges, démons).
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L'ensemble de tout ce qui existe, l'Univers : Schopenhauer, Die Welt as Wille und Vorstellung. – Plus spécialement, chez Leibniz, l'un des systèmes complets de compossibles qui pouvaient recevoir l'existence, et dont un seul a été effectivement réalisé. (Théodicée, 2e partie, § 414-416 ; 1ère partie, § 8).
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Vaste ensemble de choses d'une même sorte. « Le monde physique, le monde moral. » - « Le monde des Idées. »
Monde sensible, ensemble des choses qui sont ou qui peuvent être objet de perception, telles que l'individu se les représente avant toute critique scientifique ou philosophique.
Monde intelligible, ensemble des réalités correspondant aux apparences sensibles, et telles que la réflexion rationnelle conduit à se les représenter […] « On connaît les choses corporelles par leurs idées, c'est-à-dire en Dieu, puisqu'il n'y a que Dieu qui renferme le monde intelligible, où se trouvent les Idées de toutes choses. » Malebranche, Recherche de la vérité, livre III, 2e partie, chapitre VII.
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La vie sociale des hommes, par opposition : 1° à la vie religieuse : « Il fallait autrefois sortir du monde pour être reçu dans l'Église ; au lieu qu'on entre aujourd'hui dans l'Église en même temps que dans le monde. » Pascal, Comparaison des chrétiens des premiers temps avec ceux d'aujourd'hui, Pensées, Éd. Brunschvicg, 201. Le monde, en ce sens est considéré comme le domaine des désirs charnels, source de dissipation et de péché. – 2° À la vie solitaire, ou même seulement rurale. « Vivre loin du monde. » Cf. les expressions : « Beaucoup de monde, un grand monde », et l'usage populaire du mot « le monde » pour désigner la foule, le public, les relations. – 3° À la vie professionnelle ; « le monde » est alors l'ensemble des gens qui ont du loisir, et qui se réunissent pour se distraire : « Homme du monde ; aller dans le monde. »
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Classe, société ou réunion d'hommes. « Le monde savant, le monde des affaires. »
André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, 1926, article "Monde".
"La nouveauté [grecque] a été de donner au monde son nom propre. Pour ce faire, les Grecs choisirent le mot kosmos. Son étymologie n'est pas claire, mais son sens l'est, dès l'Iliade : « ordre », toujours dans l'expression figée kata kosmon (« en bon ordre »), ou « parure » : comme la bossette du mors d'un cheval et les bijoux l'Héra. Le terme désigne l'ordre et la beauté, plus précisément encore la beauté résultant de l'ordre, celle que vise encore aujourd'hui une activité qui en tire son nom, la cosmétique. En grec, les deux sens subsisteront côte à côte et permettront des jeux de mots récurrents. Parallèlement, le latin mundus, d'où vient notre « monde », est sans doute le même mot que mundus, « toilette, parure de la femme », le sens cosmologique en ayant été tiré par imitation du grec. C'est en tout cas ce qu'affirme Pline l'Ancien : « Ce que les Grecs appellent kosmos, nous l'appelons mundus à cause de son élégance parfaite et sans défaut (a perfecta absolutaque elegantia).» Le mot elegantia n'est pas qu'une préciosité, mais une référence directe à l'usage cosmétique du terme mundus. L'usage n'allait nullement de soi et resta longtemps perçu comme une métaphore. Ainsi, Tertullien rappelle que, chez les Grecs, le monde est nommé d'un terme qui signifie proprement « ornement ». Et, au IXe siècle, Jean Scot Erigène fait encore remarquer : « Le grec kosmos se traduit au sens propre par ornement (ornatus), non par monde. » Enfin, après Goethe qui parlait de « die ewige Zier » [l'ornement éternel], Alexander von Humboldt, réintroduisant en 1845 le mot kosmos, n'hésita pas à expliquer le titre de son œuvre en rappelant l'étymologie grecque, et à paraphraser le mot par « ornement de l'ordonné » (Schmuck des Geordneten).
Appliquer un tel terme au « monde » suppose une décision implicite sur la nature de celui-ci. Quant à l'origine chronologique d'une telle application, on y voit traditionnellement une innovation due à Pythagore. On situe la maturité de ce dernier vers 532-531 et sa mort vers 496-497 avant J.-C. Nous n'avons sur cet usage que des témoignages – forcément ! –, et, qui plus est, tardifs : « Pythagore fut le premier à appeler "kosmos" l'englobement de toutes choses (hè tôn holôn periokhè), à cause de l'ordre (taxis) qui règne en lui. » Il est difficile de dire ce que désigne ici « l'englobement de toutes choses ». S'agit-il uniquement de ce qui enveloppe, à savoir le ciel ? ou, avec lui, de ce qui est enveloppé – donc du « monde » entier ? Un parallèle chez Diogène Laërce associe cette dénomination à l'affirmation de la forme ronde de la terre. Ce qui semble réserver l'usage du terme kosmos au Ciel (ouranos). De toute façon, il semble qu'il s'agisse d'une rétroprojection sur Pythagore de conceptions platoniciennes. Le terme se rencontre en tout cas chez divers auteurs présocratiques, à commencer par Héraclite, puis chez Empédocle, Anaxagore et Diogène d'Apollonie. Mais […] c'est surtout Platon qui a fermement installé l'usage."
Rémi Brague, La Sagesse du monde, 1999, Chapitre II, Le Livre de Poche, 2002, p. 35-36.
"Le terme de monde renvoie au moins à deux usages distincts mais complémentaires :
Quand on parle de monde sous-marin, de monde astronomique ou bien de monde d'un peintre, on désigne une somme d'objets, d'éléments, de manifestations donnés dans un cadre déterminé (les plantes et les poissons des fonds marins, les planètes et les étoiles, la palette et les toiles...). Mais, dans chaque cas, « monde » désigne également le cadre lui-même où se rencontrent ces objets et ces éléments, le lieu où se produisent ces phénomènes. Le terme de « monde » désigne donc, d'une part. un agrégat plus ou moins ordonné d'objets et de contenus. Mais il peut désigner également leur structure globale d'appartenance. (Cette structure d'appartenance peut d'ailleurs n'être qu'un procédé de classement arbitraire mais commode, ou au contraire figurer l'ordre des choses lui-même.).
C'est ainsi qu'en logique mathématique, on définit un ensemble ou une classe selon deux aspects : l'extension et la compréhension (ou « intension »). L'extension d'un ensemble ou d'une classe, c'est simplement la liste des termes individuels ou éléments auxquels s'étend cet ensemble ou cette classe. La compréhension désigne au contraire les caractères communs aux éléments de la classe, les critères d'appartenance à l'ensemble, les propriétés que doivent vérifier tous les éléments. L'ensemble des nombres pairs, par exemple, peut être défini en extension par les symboles {4, 6, 8, 10, 12, etc.}, ou en compréhension par la proposition : « x est pair si et seulement si, quel que soit x, il existe un nombre entier naturel noté n, tel que x = 2n ». Les éléments de la classe ou de l'ensemble ne sont plus considérés individuellement, ou nommément, mais ils sont désignés, au moyen de variables algébriques, par l'énoncé d'une propriété caractéristique (dans notre cas, c'est la propriété d' « être le double d'un entier naturel »).
Est-ce le cas pour le monde ? Est-il légitime d'appliquer ces notions logiques des classes ou de théorie des ensembles au monde, sous prétexte que ce terme évoque « la réalité dans son ensemble » ? Rien ne nous autorise encore à parler du monde comme d'un ensemble unifié par des critères d'existence et d'appartenance stricts ou comme d'une classe homogène, dont tous les membres vérifient une même propriété. Le concept de monde pourrait désigner un objet très complexe, ou un conglomérat regroupant un nombre extrêmement élevé d'objets hétéroclites sans que pour autant on puisse dire qu'il les contient ou les enveloppe (soit à la manière d'un récipient matériel ou d'une structure objective, soit dans le cadre d'une récapitulation mentale ou d'un procédé intellectuel de classification).
Néanmoins, si on lui applique cette distinction logique, le monde pourra être défini au moins de deux manières :
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en extension, le monde est une série indéfiniment ouverte des choses existantes (nous laissons pour l'instant de côté la question de savoir s'il faut considérer le monde comme un ensemble de choses ou bien de faits, et dans quelle mesure les comportements, les actions, les représentations humaines s'insèrent dans la trame des faits, et la question non moins épineuse, de l'existence d'une classe comprenant toutes les classes ou d'un ensemble comprenant tous les ensembles) ;
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en compréhension, le monde serait l'allure d'ensemble, la forme générale de la réalité.
Or, notre appréhension du monde mêle constamment ces deux points de vue. D'un côté, l'accumulation d'impressions sensibles, c'est-à-dire de contacts avec ce que nous présumons être des choses, la synthèse de données perceptives, la communication des découvertes techniques et théoriques nous donnent une idée, un aperçu général du monde. Ces éléments dessinent pour nous le concept et les limites de la réalité. Réciproquement, ce concept d'ensemble, cette représentation générale nous servent à situer, à classer, à relier les contenus d'expérience ou de connaissance qui nous sont proposés. Quelle que soit l'échelle à laquelle on choisit de s'arrêter (monde privé de nos rêves, de nos impressions, de nos idées, « petit monde » de nos relations, monde habité, monde géographique, planétaire, monde des particules élémentaires, monde astronomique, univers interstellaire, galactique...), on retrouve cette dualité des éléments et de l'ensemble ; du contenu (existentiel, événementiel) et de la structure (essentielle, relationnelle) ; des matériaux et de la forme ; du fait et du critère d'appartenance; de la collection et de la connexion. Ainsi, le monde se présente à la fois comme le cadre général de notre appréhension de la réalité, et comme ce qui vient remplir ce cadre."
Paul Clavier, Le Concept de monde, 2001, Introduction, PUF, p. 8-10.
"MONDE : Dans la langue philosophique, c'est souvent un synonyme d'univers : le monde est « l'assemblage entier des choses contingentes » (Leibniz), l'ensemble de « tous les phénomènes » (Kant) ou de « tout ce qui arrive » (Wittgenstein). Mais alors l'idée d'une pluralité des mondes, bien attestée dans l'histoire de la philosophie, devient inintelligible : comment y aurait-il plusieurs Tout ? Il convient donc de distinguer le monde (le cosmos des Grecs) du Tout (to pan).
Pour les Anciens, le monde est un tout, mais pas le Tout. C'est l'ensemble ordonné qui nous contient, tel que nous pouvons l'observer, depuis la Terre jusqu'au ciel et aux astres. Il n'est pas inenvisageable qu'il en existe d'autres, voire un nombre infini (c'est ce que pensait Épicure). Mais nous ne pouvons les connaître, faute d'en avoir la moindre expérience.
Quand on parle du monde, sans plus de précision, il est entendu que c'est le nôtre. C'est l'ensemble, qui nous contient, de tout ce avec quoi nous sommes en relation, de tout ce que nous pouvons constater ou expérimenter — l'ensemble des faits, plutôt que des choses ou des événements. C'est le réel qui nous est accessible : une petite portion de l'être, valorisée (pour nous) par notre présence. C'est notre lieu de coïncidence, ou le paquet-cadeau du destin. Après tout, nous aurions pu tomber plus mal.
Les scientifiques l'appellent parfois l'univers, qui serait le tout du réel. Mais comme nous ne le connaissons jamais qu'en partie, et comme nous ne connaissons rien d'autre, comment savoir s'il est le tout ?"
André Comte-Sponville, Dictionnaire philosophique, article "Monde", 3e édition, PUF Quadrige, 2021.
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Date de création : 30/08/2022 @ 07:55
Dernière modification : 13/03/2023 @ 09:22
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