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Texte à méditer :  Ceux qui brûlent des livres finissent tôt ou tard par brûler des hommes.  Heinrich Heine
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Hors des sentiers battus
L'idée de monde commun ; le monde comme mise en commun

  "En second lieu, le mot « public » désigne le monde lui-même en ce qu'il nous est commun à tous et se distingue de la place que nous y possédons individuellement. Cependant, ce monde n'est pas identique à la Terre ou à la nature, en tant que cadre du mouvement des hommes et condition générale de la vie. Il est lié aux productions humaines, aux objets fabriqués de main d'homme, ainsi qu'aux relations qui existent entre les habitants de ce monde fait par l'homme. Vivre ensemble dans le monde : c'est dire essentiellement qu'un monde d'objets se tient entre ceux qui l'ont en commun, comme une table est située entre ceux qui s'assoient autour d'elle ; le monde, comme tout entre-deux, relie et sépare les hommes en même temps".

 

Hannah Arendt, La Condition de l'homme moderne, 1958, Chapitre II, tr. Georges Fradier, Pocket, p. 92.



  "Le refus du monde comme phénomène politique n'est possible que s'il est admis que le monde ne durera pas ; mais dans cette hypothèse, il est presque inévitable que le refus du monde, sous une forme ou sous une autre, se mette à dominer la scène politique. C'est ce qui arriva après la chute de l'Empire romain et, encore que pour de tout autres raisons, sous des formes très différentes et peut-être plus désolées encore, c'est ce qui semble se produire de nos jours. Le renoncement chrétien aux choses de ce monde n'est nullement la seule conclusion que l'on puisse tirer de la conviction que l'artifice humain, produit de mains mortelles, est aussi mortel que ses auteurs. Au contraire, cela peut ainsi intensifier la jouissance et la consommation des choses de ce monde, tous rapports dans lesquels le monde n'est pas principalement conçu comme koinon, comme bien commun à tous. Seule dépend entièrement de la durée, l'existence d'un domaine public dont la conséquence est de transformer le monde en une communauté d'objets rassemble les hommes et les relie les uns aux autres. Si monde doit contenir un espace public, on ne peut pas l'édifier pour la durée de vie des hommes mortels.
  À défaut de cette transcendance qui les fait accéder à une immortalité terrestre virtuelle, aucune politique sens strict, aucun monde commun, aucun domaine public ne sont possibles. Car, à la différence du bien commun tel que l'entendait le christianisme – le salut de l'âme, préoccupation commune de tous –, le monde commun est ce qui nous accueille à notre naissance, ce que nous laissons derrière nous en mourant. Il transcende notre vie aussi bien dans le passé que dans l'avenir ; il était là avant nous, il survivra au bref séjour que nous y faisons. Il est ce que nous avons en commun non seulement avec nos contemporains, mais aussi avec ceux qui sont passés et avec ceux qui viendront après nous. Mais ce monde commun ne peut résister au va-et-vient des générations que dans la mesure où il paraît en public. C'est la publicité du domaine public qui sait absorber et éclairer d'âge en âge tout ce que les hommes peuvent vouloir arracher aux ruines naturelles du temps. Durant des siècles – mais cela est fini à présent – des hommes sont entrés dans le domaine public parce qu'ils voulaient que quelque chose d'eux-mêmes ou quelque chose qu'ils avaient en commun avec d'autres fût plus durable que leur vie terrestre."

 

Hannah Arendt, La Condition de l'homme moderne, 1958, Chapitre II, tr. Georges Fradier, Pocket, p. 94-96.
 

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Date de création : 21/03/2023 @ 10:48
Dernière modification : 22/03/2023 @ 14:37
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