"La division naturelle du travail à l'intérieur de la famille agricole a permis, à un certain niveau de bien-être, d'introduire une ou plusieurs forces de travail étrangères. Ce fut particulièrement le cas dans des pays où la vieille propriété en commun di sol s'était déjà désagrégée ou bien, du moins, la vieille culture en commun avait cédé le pas à la culture individuelle des lots de terrain par des familles respectives. La production était développée au point que la force de travail humaine pouvait maintenant produire plus qu'il n'était nécessaire à son entretien simple ; les moyens d'entretenir davantage de forces de travail existaient ; ceux de les occuper, également : la force de travail prit une valeur. Mais la communauté à laquelle on appartenait et l'association dont elle faisait partie ne fournissaient pas de forces de travail disponibles, excédentaires. En revanche, la guerre en fournissait, et la guerre était aussi vieille que l'existence simultanée de plusieurs groupes de communautés juxtaposées ? Jusque-là, on n'avait su que faire des prisonniers de guerre, on les avait donc tout simplement abattus ; à une date plus reculée encore, on les avait mangés. Mais, au niveau de l'« état économique » maintenant atteint, ils prenaient une valeur ; on leur laissa donc la vie et on se servit de leur travail. C'est ainsi que la violence, au lieu de dominer la situation économique a été au contraire enrôlée de force dans le service de la situation économique. L'esclavage était inventé. Il devint bientôt la forme dominante de la production chez tous les peuples dont le développement dépassait la vieille communauté, mais aussi, en fin de compte, une des causes principales de leur décadence. Ce fut seulement l'esclavage qui rendit possible sur une assez grande échelle la division du travail entre agriculture et industrie et par suite, l'apogée du monde antique, l'hellénisme. Sans esclavage, pas d'État grec, pas d'art et science grecs ; sans esclavage, pas d'Empire romain. Or, sans la base de l'hellénisme et de l'Empire romain, pas non plus d'Europe moderne. Nous ne devrions jamais oublier que toute notre évolution économique, politique et intellectuelle a pour condition préalable une situation dans laquelle l'esclavage était tout aussi nécessaire que généralement admis. Dans ce sens, nous avons le droit de dire : sans esclavage antique, pas de socialisme moderne."
Friedrich Engels, Anti-Dühring, 1878, chapitre 2, tr. fr. E. Bottigelli,, in Le Rôle de la violence dans l'histoire, Éditions sociales, 1968, p. 31-32.
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