"L'histoire des anciennes violences politiques ne peut pas être envisagée comme une collection de faits exceptionnels. Elles ne peuvent être confondues avec, mettons, les révolutions du XIXe siècle qui faisaient irruption dans le jeu ordinaire des institutions et venaient apporter un bouleversement des gouvernements. Les recours collectifs à la violence étaient trop fréquents. Ils s'autorisaient de l'autodéfense des habitants constamment armés, des traditions de petite guerre, de l'endémie guerrière de certains confins, ou bien des statuts privilégiés de certaines personnes ou de certaines provinces, etc. La violence politique était une instance possible, une ressource extrême mais encore légitime et sans doute bien éloignée de toute idée ou chance de subversion. Ces justifications et banalisations de la révolte allaient durer aussi longtemps que l'État ne serait pas en mesure de pacifier les rapports sociaux et de confisquer à son seul usage l'emploi de la force."
Yves-Marie Bercé, Révoltes et révolutions dans l'Europe moderne, XVIe-XVIIIe siècles, PUF, 1980, p. 253-254.
"À partir de la fin du XVIIIe siècle, la torture avait progressivement disparu et, malgré la violence des affrontements politiques du XIXe siècle (par exemple, les exécutions massives de la Commune), elle n'était pas réapparue. Au XXe siècle, elle est redevenue un instrument courant de gouvernement. Pratiquée dans d'innombrables pays, son caractère clandestin fait partie de son efficacité. Elle a de moins en moins pour but de recueillir des renseignements, mais d'humilier et de briser les victimes, de les terroriser, de terroriser les proches, les amis, les voisins et finalement toute la société. La torture tend aussi à s'aseptiser : les tortionnaires sont de moins en moins des bouchers, mais des techniciens avec leurs électrodes, des médecins psychiatres avec leurs drogues, voire des spécialistes de l'action psychologique, du conditionnement, du chantage affectif ou de la privation sensorielle. Le résultat, c'est l'atomisation du champ social, la disparition de la vie publique, la défiance et la peur parmi les citoyens, le repli angoissé sur soi. Le terrorisme d'État pratique à une échelle industrielle la politique qu'Aristote attribuait au tyran et il aboutit au même résultat : la dépolitisation de la vie."
Yves Michaud, La Violence, 5e édition, 1999, PUF, Que-Sais-Je ?, p. 67-68.
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