"Le concept « normal » est l'un des plus difficiles à définir de toute la biologie, mais en même temps aussi indispensable sue le concept opposé de « pathologique ». Mon ami Bernhard Helmann avait coutume de poser chaque fois qu'il tombait sur quelque chose de bizarre et d'inexplicable dans la construction ou le comportement d'un animal, la question faussement naïve : « Le constructeur a-t-il bien voulu cela ? » La seule manière de caractériser une structure ou fonction « normale » est, en effet, de démontrer que c'est elle, et elle seule, qui a dû évoluer sous la pression de la sélection en raison de sa valeur pour la conservation de l'espèce, sous cette forme et sous aucune autre. Cette définition, malheureusement, ne tient pas compte de tout ce qui, par pur hasard, se trouve être ainsi et non pas autrement, sans pour autant tomber nécessairement sous le concept du pathologique. Car, par « normal » nous ne comprenons point la moyenne de tous les cas particuliers que nous observons, mais plutôt le type construit par l'évolution et qui, pour des raisons faciles à comprendre, n'est réalisé que rarement ou jamais, à l'état vraiment pur. Cette conception purement idéale du type nous est cependant nécessaire, ne serait-ce que pour comprendre ses déviations et aberrations. Aucun manuel de zoologie ne peut se passer de décrire, par exemple, un papillon idéal absolument intact pour représenter son espèce, papillon qui n'existe jamais sous cette forme car tous les exemplaires que l'on trouve dans les collections sont mal formés ou détériorés, chacun à sa façon. De même, nous ne pouvons guère renoncer à construire mentalement le concept idéal du comportement « idéal » de l'oie cendrée ou d'une autre espèce animale, bien que ce comportement « normal » ne saurait être réalisé que si aucun autre facteur n'avait agi sur l'animal et n'existe donc pas plus que le type idéal du papillon."
Konrad Lorenz, L'Agression, une histoire naturelle du mal, 1963, tr. fr. Vilma Fritsch, Champs sciences, 2010, p. 190-191.
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