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Hors des sentiers battus
Le sacrifice

  "Que le sacrifice soit un acte violent et par suite impur et dangereux, qu'il renferme même la pire violence, c'est ce que reconnaissent implicitement la plupart des rites sacrificiels et des mythes qui leur sont associés. Mais ce n'est pas tout : les mythes et les rites laissent souvent entendre que le sacrifice pourrait être un excellent moyen de canaliser cette violence, de la maîtriser en l'assujettissant à des règles strictes.
  Dans une étude des relations qu'entretiennent vengeance et sacrifice en Inde, Malamoud cite un texte du Sathapatha-Brahmana qui justifie clairement le sacrifice par le danger de voir les hommes s'entretuer. Mais sans montrer, il est vrai, comment le rite parvient à conjurer ce danger. À cet égard, un rituel africain destiné à mettre fin à une vendetta qui oppose deux groupes riverains est plus riche d'enseignement que mainte glose théologique. Voici comment Igor de Garine décrit très succinctement ce rite de réconciliation.

« Au pays des Moussey, pour faire la paix, les gens de Domo et Berté déléguèrent un esclave, dont il était peu important qu'il fût consumé par la puissance du sacrifice qu'il manipulait. Parvenu à la frontière des deux groupes, il coupa un chien vivant en deux, disant : "Voici, sulukna, affaire très puissante, nous t'égorgeons un animal, que personne ne soit plus tué" »
 
En dépit de sa concision, ce texte est très dense. Il laisse entrevoir une théorie du sacrifice dont on repère assez facilement les grandes lignes de force pour peu qu'on prête attention au destinataire du sacrifice, à la personnalité du sacrificateur, au lieu et aux modalités du geste sacrificiel.
 
Tout d'abord, il est manifeste que pour les Moussey le but du rite est d'obtenir « que personne ne soit plus tué », de mettre un point final à un processus de contagion violente ; et cela, par un acte lui­ même violent, mais qui au lieu de constituer (comme la vengeance) une réponse à un acte violent symétrique, consiste à détourner la violence vers une victime émissaire, et, par ce biais, à retourner, en quelque sorte, la violence contre elle-même. En effet, le sacrifice est offert à un dieu qui se nomme sulukna. Or, sulukna ne signifie rien d'autre que « vengeance », comme si les Moussey voyaient dans la violence elle-même le dieu sanguinaire que leurs sacrifices viennent apaiser. Comme si leur dieu n'était que cette violence réifiée, extériorisée par les sacrifices précédents et maintenue, par ce nouveau sacrifice, à bonne distance des hommes.
 
C'est évidemment parce que le sacrifice est lui-même un acte violent que le sacrificateur risque d'être « consumé par la puissance du sacrifice » et que l'on confie cet acte dangereux à un esclave, c'est-à-dire à un être marginal qu'on est prêt à « sacrifier » lui aussi, comme le chien, pour la survie de la collectivité. Quant au geste sacrificiel, il explicite la fonction du rite : c'est parce que le sacrifice est, dans son principe, un acte séparateur, c'est parce qu'il doit mettre fin aux affrontements sanguinaires qu'il doit être accompli sur la frontière des deux groupes hostiles, et que la victime doit être coupée en deux, pour séparer les belligérants, pour mettre à nouveau les deux groupes à bonne distance l'un de l'autre. Cet exemple s'accorde avec les précédents et aboutit à une vision cohérente du sacrifice. Celui-ci n'est pas seulement un acte violent et reconnu comme tel. C'est aussi un tribut consenti à la violence pour se protéger d'une violence encore plus grande. De là que les hommes peuvent à la fois condamner la violence du sacrifice et révérer ce dernier comme l'instrument même de leur salut."

 

Lucien Scubla, " « Ceci n'est pas un meurtre », comment le sacrifice contient la violence", 1999, De la violence II, Odile Jacob, 2005, p. 157-159.



  "Le sacrifice se présente comme l'exécution rituelle d'un être vivant, et souvent d'un humain, même si un animal peut, à l'occasion, lui servir de substitut. Ce n'est pas une simple offrande aux dieux ou aux esprits mais un rite à la fois sanglant et sacré. Parmi les sacrifiés, on peut retrouver tout aussi bien l'ennemi captif, le condamné, le réprouvé que le membre de la communauté désigné pour disparaître: enfant, ado­lescent ou adulte. S'il s'agit manifestement d'un recours à la violence se soldant par la mort de l'indi­vidu, le sacrifice doit-il être assimilé à un meurtre ? C'est là un vieux débat de l'anthropologie. Deux observations liminaires toutefois. D'abord, sang menstruel et sang sacrificiel s'excluent : la femme ne peut donc pratiquer le sacrifice. De la même façon doivent être disjoints sang du meurtre et sang du sacrifice : un meurtrier ne peut être sacrificateur. Il y a donc une barrière symbolique nette entre le meurtre, acte négatif, et le sacrifice, acte voulu positif. Toute­fois, dans les deux cas de figure, il y a objectivement violence même si, dans le second, le geste sacrifi­ciel, ritualisé, se veut bénéfique et salvateur. On sait d'ailleurs la diversité des interprétations devant cet acte. Geste religieux, véritable devoir, le sacrifice est perçu comme un élément de purification. En sacrifiant un sujet - ou l'animal qui en tient lieu - on assure une sorte de rédemption au groupe acteur. Comme l'a montré René Girard, la violence du sacrifice est une solu­tion, une façon de canaliser la violence des individus de la communauté". C'est un outil de paix sociale comme peut l'être le tabou de l'inceste qui, en inter­disant tout rapport sexuel à l'intérieur du groupe fami­lial, évite les violences internes à celui-ci. Le rite sacrificiel, pour violent qu'il soit, sauve la société. « Au cercle vicieux de la violence réciproque, se sub­stitue le cercle vicieux de la violence rituelle, créatrice et protectrice. » On punit ce responsable par procu­ration qu'est la victime, celle-ci prenant la place de toutes les victimes potentielles. On la rend garante de la conservation du monde, on focalise sur elle tous les problèmes et sa mort purificatrice permettra à la société de se sauver. Il y a là-dedans une répétition du meurtre fondateur nécessaire au maintien d'un équi­libre social.
  Mais une telle vision ne saurait complètement absoudre la dureté de l'acte commis, que de nom­breux auteurs ont dénoncé depuis l'Antiquité jusqu'à aujourd'hui en montrant les parentés qui rapprochent sacrifice, meurtre et guerre. D'autres considèrent le sacrifice comme la traduction de besoins instinctifs de mort, au même titre que la guerre ou le crime, acte qui, une fois commis, entraîne l'apaisement. On peut aussi voir dans le sacrifice une façon de contenir la violence : au fond, le sacrifice serait un exutoire, un remède, un acte « civilisateur ». Dernier point : le sacrifice n'est pas perçu comme un acte contre nature par ceux qui le commettent ou le provoquent. Bien au contraire, il recueille l'assentiment de toute la communauté."

 

Jean Guilaine et Jean Zammit, Le Sentier de la guerre. Visages de la violence préhistorique, 2001, Seuil, p. 60-61.

 

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Date de création : 13/12/2023 @ 19:31
Dernière modification : 11/02/2024 @ 18:10
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