"Le rapport étroit entre sexualité et violence, héritage commun de toutes les religions, s'appuie sur un ensemble de convergences assez impressionnant. La sexualité a fréquemment maille à partir avec la violence, et dans ses manifestations immédiates, rapt, viol, défloration, sadisme, etc., et dans ses conséquences plus lointaines. Elle cause diverses maladies, réelles ou imaginaire ; elle aboutit aux douleurs sanglantes de l'accouchement, toujours susceptibles d'entraîner la mort de la mère, de son enfant ou même des deux en même temps. À l'intérieur même d'un cadre rituel, quand toutes les prescriptions matrimoniales et les autres interdits sont respectés, la sexualité s'accompagne de violence; dès qu'on échappe à ce cadre, dans les amours illégitimes, l'adultère, l'inceste, etc., cette violence et l'impureté qui en résulte deviennent extrêmes. La sexualité provoque d'innombrables querelles, jalousies, rancunes et batailles ; elle est une occasion permanente de désordre, même dans les communautés les plus harmonieuses.
En refusant d'admettre l'association pourtant si peu problématique que les hommes, depuis des millénaires, ont toujours reconnue entre la sexualité et la violence, les modernes cherchent à prouver leur « largeur d'esprit » ; c'est là une source de méconnaissance dont on ferait bien de tenir compte. Tout comme la violence le désir sexuel tend à se rabattre sur des objets de rechange quand l'objet qui l'attire demeure inaccessible. Il accueille volontiers toutes sortes de substitutions. Tout comme la violence, le désir sexuel ressemble à une énergie qui s'accumule et qui finit par causer mille désordres si on la tient longtemps comprimée. Il faut noter, d'autre part, que le glissement de la violence à la sexualité, et de la sexualité à la violence s'effectue très aisément, dans un sens comme dans l'autre, même chez les gens les plus «normaux» et sans qu'il soit nécessaire d'invoquer la moindre « perversion ». La sexualité contrecarrée débouche sur la violence. Les querelles d'amoureux, inversement, se terminent dans l'étreinte. Les recherches scientifiques récentes confirment sur beaucoup de points la perspective primitive. L'excitation sexuelle et la violence s'annoncent un peu de la même façon. La majorité des réactions corporelles mesurables sont les mêmes dans les deux cas."
René Girard, La Violence et le sacré, 1972, chapitre I, Pluriel, 2003, p. 57-58.
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