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Texte à méditer :  

Il est vrai qu'un peu de philosophie incline l'esprit de l'homme à l'athéisme ; mais que davantage de philosophie le ramène à la religion.   Francis Bacon


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Hors des sentiers battus
La violence et le droit

  "« Pas de violences.» Rien en effet de plus funeste aux États, rien d'aussi contraire au droit et aux lois, rien de moins digne d'un citoyen et d'un homme que d'avoir recours à la violence dans un État organisé. La loi réclame aussi qu'on se soumette quand il y a de l'opposition. Rien de plus juste ; car il vaut bien mieux qu'une bonne mesure soit empêchée que non pas qu'une mauvaise soit acceptée.

 

Cicéron, Les Lois, -52, livre III, § 18, tr .fr Charles Appuhn, Classiques Garnier, 1932.

 

  "« Point de violence.» Rien n'est si funeste aux États, rien n'est si contraire au droit et aux lois, rien n'est moins digne du citoyen et de l'homme, que la décision par la violence dans une république ordonnée et constituée. La loi prescrit de céder à l'intercession, et cela est excellent ; car il vaut mieux qu'une bonne chose soit empêchée qu'une mauvaise accordée."

 

Cicéron, Les Lois, -52, livre III, § 18, tr .fr. A. Lorquet, in Œuvres complètes de Cicéron, tome IV, Firmin Didot Frères, Fils & Cie, 1868.



  "La puissance souveraine ne se trouve donc que dans la réunion des forces prépondérantes. Elle ne consiste même qu'en cela. Comme elle n'est puissance, que parce qu'elle est une force comparée à une autre force ; elle n'est puissance souveraine, que parce qu'elle est une force prépondérante à toutes.
  Cette puissance, dira-t-on, fait donc violence aux uns pour assurer la liberté des autres. Sans doute, et la chose ne peut pas être autrement. Si la licence régnait, il n'y aurait point de liberté ; puisque la licence de tous nuirait à la liberté de tous. Pour assurer la liberté, il faut donc mettre un frein à la licence. Voilà ce que fait la puissance souveraine ou prépondérante ; et le gouvernement est libre, lorsqu'elle n'emploie la violence que contre ceux qui veulent abuser de leur liberté : c'est-à-dire, que le gouvernement est libre, lorsque les lois règlent l'usage de la puissance souveraine, et en bannissent tout arbitraire."


Étienne Bonnot de Condillac, Cours d'étude pour l'instruction du Prince de Parme, 1775, Œuvres complètes de Condillac, Histoire ancienne, tome II, chapitre III, Baudouin Frères, 1827, p. 66-67.



  " « L'union fait la force. » La violence est brisée par l'union, la force de ces éléments rassemblés représente dès lors le droit, par opposition à la violence d'un seul. Nous voyons donc que le droit est la force d'une communauté. C'est encore la violence, toujours prête à se tourner contre tout individu qui lui résiste, travaillant avec les mêmes moyens, attachée aux mêmes buts ; la différence réside, en réalité, uniquement dans le fait que ce n'est plus la violence de l'individu qui triomphe, mais celle de la communauté. Mais, pour que s'accomplisse ce passage de la violence au droit nouveau, il faut qu'une condition psychologique soit remplie. L'union du nombre doit être stable et durable. Si elle se créait à seule fin de combattre un plus puissant pour se dissoudre une fois qu'il est vaincu, le résultat serait nul. Le premier qui viendrait ensuite à s'estimer plus fort chercherait de nouveau à instituer une hégémonie de violence, et le jeu se répéterait indéfiniment. La communauté doit être maintenue en permanence, s'organiser, établir des règlements qui préviennent les insurrections à craindre, désigner des organes qui veillent au maintien des règlements – des lois –, et qui assurent l'exécution des actes de violence conformes aux lois. De par la reconnaissance d'une semblable communauté d'intérêts, il se forme, au sein des membres d'un groupe d'hommes réunis, des attaches d'ordre sentimental, des sentiments de communauté, sur lesquels se fonde, à proprement parler, la force de cette collectivité."

 

Sigmund Freud, Lettre à Einstein, Vienne, septembre 1932, in "Pourquoi la guerre ?", Institution international de coopération intellectuelle, 1933.


 

  "C'est un des paradoxes de la technique sociale, ici définie comme un ordre de contrainte, que l'instrument qui lui est propre – l'acte de contrainte de la sanction – soit exactement de même nature que l'acte qu'elle souhaite prévenir dans le domaine des relations entre les individus : le délit, la sanction est une conduite identique à la conduite socialement nuisible. En effet, ce qui doit être accompli par la menace d'une privation forcée de la vie, de la santé, de la liberté ou des biens que l'individu possède, équivaut précisément à ce que dans leur conduite réciproque, les hommes doivent s'abstenir de faire – priver leurs semblables de la vie, la santé ou a liberté, ou leur ravir les biens qu'ils possèdent. La force[1] est employée pour prévenir l'usage de la force dans la société. On pourrait voir là une antinomie ; toute entreprise visant à échapper à cette antinomie sociale conduit à la doctrine de l'anarchisme absolu, qui va jusqu'à proscrire l'usage de la force comme sanction. L'anarchisme établit l'ordre social sur la seule obéissance volontaire des individus. Il rejette la technique de l'ordre de contrainte, et donc le droit en tant qu'il est une forme d'organisation.
  Cette antinomie n'est toutefois qu'apparente. Le droit est sans conteste un ordre favorisant la paix en ceci qu'il interdit l'usage de la force dans les relations entre les membres de la communauté. Cependant, il n'exclut pas absolument le recours à la force. Nous devons nous garder de considérer le droit et la force comme inconciliables. Le droit est une organisation de la force. En effet, il attache certaines conditions à l'emploi de la force dans les relations entre les hommes, seuls certains individus étant autorisés à employer la force, et ce dans certaines circonstances seulement. Le droit autorise une conduite qui, en toute autre circonstance, doit être considérée comme « interdite » ; qu'une chose soit interdite par le droit signifie que cette chose est la condition même d'un acte de contrainte, d'une sanction. L'individu qui, autorisé en cela par l'ordre juridique, applique la mesure de contrainte (la sanction) fait acte d'agent de cet ordre ou, ce qui revient au même, il agit en qualité d'organe de la communauté ainsi constituée. Cet individu, l'organe de la communauté, est seul autorisé à utiliser la force. Nous dirons précisément que le droit fait de l'usage de la force le monopole e la communauté. C'est en ce sens que le droit maintient la paix au sein de la communauté."

 

Hans Kelsen, Théorie générale du droit et de l'État, 1945, tr. fr. Béatrice Laroche, Bruylant L.G.D.J., 1997, p. 72.


[1] Même si Kelsen utilise ici le terme "force", il est clair qu'il est pris comme synonyme de violence, par exemple lorsque plus loin, il définit la paix comme "un état d'où est absent l'usage de la force".


 

  "Dans son principe le droit a toujours été conçu comme exclusion de la violence. C'est l'emploi de moyens autorisés par le droit qui légitime des fins ; la violence ne peut être qu'en dehors de lui. Il est certes possible que l'ordre juridique laisse subsister des zones de violences autorisées :

  « Dans les ordres juridiques primitifs, il n'est pas encore vrai que soit prohibé tout recours à la violence qui n'ait pas le caractère de réaction attribuable à la collectivité, à un état de choses tenu pour socialement nuisible. Même le meurtre n'est défendu que dans une mesure limitée : le meurtre d'un homme libre membre du groupe est bien considéré comme illicite, mais non le meurtre des étrangers ou des esclaves. »[2]

  Mais précisément, dans ce cas, elles ne comptent pas juri­diquement comme violences. Comme le dit Walter Benjamin, « le droit positif exige que toute violence lui présente quant à son origine un document justificatif capable, sous certaines conditions, de la légitimer, de la sanctionner »[3]. Des moyens conformes au droit font la violence sanctionnée, qui du coup disparaît comme telle. C'est ce qui se passe avec l'emploi de la force publique, l'application du châtiment. On en a l'illustra­tion la plus caractéristique avec la légitime défense. Si l'on appelle sécurité collective la détermination des conditions sous lesquelles et des individus par lesquels peut être exercée la contrainte, lorsque les garanties ne peuvent en être assurées à l'individu par l'institution qui seule en a le droit, il est reconnu que l'individu en danger a le droit de se protéger lui-même sous la condition d'avoir ensuite à faire la preuve que les garanties de la sécurité collective étaient effectivement défaillantes, le document justificatif étant en l'occurrence une menace de mort immédiate. Il pourra arriver que la justification soit insuf­fisante et la violence ne pourra être sanctionnée, elle devra même être poursuivie conformément à la loi.
  Si l'on emprunte à Walter Benjamin la distinction entre buts naturels atteints par la violence et buts légaux atteints selon le droit, la tendance du droit à travers son histoire semble être l'interdiction progressive des buts naturels pour leur substituer des buts légaux :

  « L'interdiction de tout recours à la violence manifeste la tendance à l'extension du cercle des situations auxquelles l'ordre juridique attache un acte de contrainte ; au cours de l'évolution cette tendance dépasse de beaucoup cette seule interdiction, elle porte également sur des actions autres que le recours à la violence et sur de simples abstentions". »[4]

  Comme si l'objectif du droit était de ne plus laisser aucune zone de violence aux mains des individus :

  « Au cours de l'évolution, cette réaction de la sanction aux actes illicites est centralisée dans une mesure croissante : aussi bien la consta­tation des actes délictueux que l'exécution des sanctions sont réservées à des organes spécialisés, tribunaux et autorités chargées de l'exécution forcée. Le principe de l'auto-justice est restreint dans toute la mesure du possible. »[5]

  Il y aurait ainsi une sorte de phobie de la violence qui traver­serait le droit qui, ayant pour principe la paix des rapports, exclurait son autre. Pourtant il apparaît très vite que le droit redoute moins dans la violence la brèche qu'elle fait dans la paix que le fait même qu'on puisse le transgresser. René Girard a montré, dans le prolongement de son interprétation des rites et du sacré, que le système judiciaire est un des moyens, probablement le plus efficace, pour se protéger de la vengeance inter­minable[6]. Le principe d'une justice contraignante libère les hommes du devoir de la vengeance. En son fond, il est lui aussi une vengeance, mais si massive et si puissante qu'elle ne permet pas de contre-vengeance et ne peut alimenter la violence. Alors que les rites et le sacrifice travaillent à empêcher la violence « en la modérant, en l'éludant et en la dirigeant vers un but secon­daire », le droit la rationalise, la découpe et en fait une technique curative dissimulant ainsi sous la rationalité d'une assignation pertinente du châtiment sur le coupable qu'il est lui aussi un système violent contre la violence. Mais pour qu'il puisse fonc­tionner, il faut que cela n'apparaisse pas, qu'on le sache unique­ment occupé de justice et non pas violence comme celle qu'il réprime. C'est pourquoi il ne peut tolérer que subsiste une zone qui lui échappe. C'est pourquoi aussi il doit apparaître intrans­gressable. En ce sens, les châtiments rétablissent son intégrité : leur férocité, la solennité de l'administration de la loi ont pour fonction de manifester l'hétérogénéité entre le droit et les défis qui lui sont portés : force doit rester à la loi, la justice passe, est passée – les choses sont restituées en l'état, rien n'a eu lieu. Dans sa phobie de la violence, le droit cherche moins la paix qu'à maintenir son inquestionnabilité et à dissimuler sa propre origine dans la violence."

 

Yves Michaud, Violence et politique, 1978, chapitre IV, Gallimard nrf, p. 127-129.


[2] Hans Kelsen, Théorie pure du droit, Dalloz, 1962, p. 60.
[3] Walter Benjamin, "Pour une critique de la violence", in L'Homme, le langage et la culture, Denoël, 1971, p. 27.
[4] Hans Kelsen, Théorie pure du droit, Dalloz, 1962, p. 53.
[5] Hans Kelsen, Théorie pure du droit, Dalloz, 1962, p. 54.

[6] René Girard, La Violence et le sacré, Grasset, 1972, p. 38 sq.

 

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Date de création : 15/03/2024 @ 15:02
Dernière modification : 15/03/2024 @ 15:22
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