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Texte à méditer :  Je vois le bien, je l'approuve, et je fais le mal.  Ovide
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Hors des sentiers battus
L'idolâtrie

  "Autrefois il n'y avait point d'idoles. Avant que les artisans de cette nouveauté monstrueuse pullulassent dans le monde, les temples étaient vides et leurs murailles nues, comme l'attestent encore dans certains lieux les vestiges de l'antiquité. Toutefois l'idolâtrie existait déjà, si ce n'est dans son nom, au moins dans ses œuvres. Car, même de nos jours, on peut s'en rendre coupable en dehors du temple, et sans avoir d'idole. Mais aussitôt que le démon eut introduit dans le monde des fabricateurs de statues, d'images et de simulacres de toute nature, cette œuvre grossière, d'où jaillirent les calamités humaines, prit un corps et un nom qu'elle emprunta aux idoles. Dès ce moment, tout art qui produit une idole, d'une forme ou d'une autre, devint une source d'idolâtrie. Il n'importe pas qu'une image sorte des mains d'un sculpteur, d'un ciseleur ou d'un brodeur phrygien, parce qu'il est indifférent qu'elle soit exécutée en plâtre, en couleurs, en pierre, en airain, en argent, en tapisserie. Puisque l'idolâtrie existe même sans idole, certes, une fois que l'idole est présente, peu importe de quelle espèce elle est, de quelle matière, de quelle forme. Qu'on ne s'imagine donc pas qu'il faut seulement appeler idole une statue consacrée sous la représentation humaine. L'étymologie du mot est ici nécessaire. Εἴδος, en grec, équivaut à forme ou image ; είδολον en est venu comme diminutif, de même que de forme nous avons fait formule. C'est pourquoi toute forme, grande ou petite, doit être appelée une idole. Il suit de là que tout travail, tout service concernant une idole, quelle qu'elle soit, est une idolâtrie. Donc aussi le fabricant d'images idolâtriques est coupable du même crime, à moins que les Juifs n'aient été idolâtres qu'à demi lorsqu'ils consacrèrent, l'image d'un veau et non celle d'un homme."

 

Tertullien, De l'idolâtrie, vers 211-212, tr. fr. E.-A. de Genoude, in Œuvres de Tertullien, Louis Vivès, 1852, p. 219-202.



  "On nous a rapporté qu'enflammé d'un zèle inconsidéré, tu avais brisé les images des saints, sous prétexte qu'on ne devait pas les adorer. Et certes, que tu aies interdit qu'elles fussent adorées, nous l'avons tout à fait approuvé, mais que tu les aies brisées, nous le blâmons […]. Une chose est en effet d'adorer une peinture, une autre d'apprendre par une « histoire » (historia) peinte ce qu'il faut adorer. Car ce que l'écrit procure aux gens qui lisent, la peinture les fournit aux incultes (idiotis) qui la regardent : parce que les ignorants y voient ce qu'ils doivent imiter, ceux qui ne savent pas lire y lisent ; c'est pourquoi, surtout chez les païens, la peinture tient lieu de lecture. Tu aurais dû y faire attention, toi qui habites au milieu des païens, de peur d'engendrer le scandale dans ces esprits sauvages, par cette flambée d'un zèle honnête, mais imprudent. Il n'aurait donc pas fallu briser ce qui a été placé dans les églises non pour y être adoré mais seulement pour instruire les esprits des ignorants. Et puisqu'un usage a permis, non sans raison, de peindre les histoires des saints dans des lieux vénérables, sans aucun doute, si tu avais agrémenté ton zèle de discrétion, tu aurais pu obtenir sainement ce que tu désirais et, au lieu de disperser le troupeau rassemblé, tu aurais rassemblé le troupeau dispersé […].
  Il te faut en effet convoquer les fils dispersés de l'Église et leur démontrer à l'aide de témoignages scripturaires qu'il n'est permis d'adorer aucune œuvre de main d'homme. […] ensuite, tu ajouteras que, voyant devenir des objets d'adoration les images peintes qui avaient été faites pour édifier un peuple sans savoir (imperitus), afin que ceux qui ne savent pas lire, en voyant l'image narrative (historia), apprennent ce qui a été dit, tu as été secoué d'une émotion qui t'a fait ordonner de briser ces images. Puis tu leur diras : « si vous voulez avoir dans l'église des images pour des fins d'enseignement (instructio) pour lesquelles elles ont été faites anciennement, je permets qu'on en fasse et qu'on en possède sous toutes leurs formes » et fais-leur remarquer que ce n'est pas la vision d'une histoire (historia) qui se déployait selon le témoignage de la peinture, qui t'avait déplu, mais cette adoration, qui avaient été adressées aux peintures d'une manière inconvenante. Et par ces paroles, en apaisant leurs esprits, rappelle-les à la concorde avec toi. Enfin, si quelqu'un veut faire des images, garde-toi de le lui défendre ; mais évite de toutes les manières qu'on adore les images. Mais que ta fraternité les avertisse avec sollicitude pour qu'à la vision de l'histoire (res gesta) ils ressentent l'ardeur de la componction et qu'ils se prosternent humblement dans l'adoration de la seule Trinité."

 

Grégoire le Grand, "Lettre à Serenus", vers 600, Registrum epistolarum, XI, 10, tr. fr. Daniele Menozzi, in Les Images, l'Église et les arts visuels, Paris, Le Cerf, 1991, p. 75-77.



  "Voilà que c'est : l'entendement humain, comme il est rempli d'orgueil et témérité, prend l'audace d'imaginer Dieu tel que son appréhension le porte : comme il est lourd et comme accablé d'ignorance brutale, il conçoit au lieu de Dieu toute vanité et je ne sais quels fantômes. Avec tous ces maux, il y a l'outrecuidance, qu'il ose attenter d'exprimer au dehors les folies qu'il a conçues en soi touchant de Dieu. Par quoi l'esprit humain engendre les idoles, et la main les enfante. Que telle soit la source d'idolâtrie, à savoir que les hommes ne croient point que Dieu leur soit prochain, sinon qu'ils l'aient présent d'une façon charnelle, il appert par l'exemple du peuple d'Israël.  Nous ne savons, disaient-ils, ce qu'il est advenu à Moïse : pourtant qu'on nous fasse des dieux qui marchent devant nous (Exode 32, 1).  Ils connaissaient bien que celui qui leur avait fait sentir sa vertu en tant de miracles, était Dieu : mais ils ne se fiaient pas qu'il leur fût prochain, s'ils ne voyaient à l'œil quelque figure corporelle de lui, qui leur fût comme témoignage de sa conduite. En somme, ils voulaient avoir quelque image qui les menait à Dieu : et l'expérience montre tous les jours cela, que la nature des hommes ne se peut tenir coite jusqu'à ce qu'elle ait rencontré quelque masque ou fantôme, répondant à sa folie, pour se réjouir comme en la remembrance de Dieu. Et n'y a eu âge depuis la création du monde, auquel les hommes pour obéir à cette cupidité insensée, ne se soient dressés des signes et figures, auxquelles ils ont pensé que Dieu se montrât à eux.
  Or il faut que de telles imaginations amènent quant et quant une sotte dévotion d'adorer les images : et de fait, quand les hommes ont pensé qu'ils voyaient Dieu ou sa remembrance aux images ils l'ont là aussi honoré.  Et en la fin, ayant là fiché leurs yeux et leurs sens, ils s'y sont abêtis, étant ravis en admiration, comme s'il y eût eu quelque divinité. Il appert donc que les hommes ne se jettent point à faire honneur aux idoles, qu'ils n'aient là conçu quelque opinion lourde et charnelle :  non pas d'estimer que les idoles soient dieux, mais en imaginant qu'il y habite quelque vertu divine. Par ainsi ceux qui s'adonnent à adorer les simulacres, soit qu'ils se proposent d'adorer là Dieu ou ses Saints, sont déjà ensorcelés de superstition. Par quoi Dieu non seulement a défendu de faire statues pour représenter sa Majesté, mais aussi de consacrer aucuns titres ni pierres qui fussent dressées pour y faire adoration. Par une même raison, au second précepte de la Loi a été ajouté de ne point adorer les images. Car sitôt qu'on a inventé quelque forme visible à Dieu, on y attache sa vertu : d'autant que les hommes sont si stupides, d'enclore Dieu où ils ont imaginé sa présence : pourtant il est impossible qu'ils n'adorent là même.  Et ne peut chaloir s'ils adorent l'idole simplement, ou Dieu en l'idole : car c'est toujours idolâtrie, quand on présente à l'idole quelque service divin, sous quelque couleur que ce soit. Et pour ce que Dieu ne veut point être servi par superstition, tout ce qu'on attribue à l'idole lui est ravi et dérobé."

 

Jean Calvin, L'Institution de la religion chrétienne, 1560, Livre I, chapitre 11, E. Béroud et Cie, 1888, p. 50.



  "Les souverains chrétiens doivent détruire les images auxquelles leurs sujets ont pris l'habitude de rendre un culte, afin qu'il n'y ait plus d'occasion d'idolâtrie. Aujourd'hui, en effet, là où un culte est rendu aux images, les gens ignorants croient que ces images ont un pouvoir réel ; leurs prêtres leur racontent que certaines d'entre elles ont parlé et saigné, et qu'elles ont fait des miracles dont ils se disent qu'ils sont faits par des saints, lesquels sont ou bien l'image elle-même, ou se trouvent à l'intérieur de celle-ci. […]
  Mais ils déduisent d'autres passages qu'il est licite de peindre des anges et Dieu lui-même, comme ces passages où Dieu se promène dans le jardin, où Jacob voit Dieu du haut de son échelle, et d'autres visions et rêves. Mais visions et rêves, qu'ils soient naturels ou surnaturels, ne sont que des hallucinations ; et celui qui en peint une image ne fait pas une image de Dieu, mais de ses propres hallucinations, ce qui consiste à fabriquer une idole. Je ne dis pas que peindre une image d'après sa fantaisie [fancy] soit un péché, mais une fois faite, la tenir pour la représentation de Dieu, c'est s'opposer au second commandement, et cela ne sert à rien sinon à rendre un culte. Et l'on peut dire la même chose des images d'anges et de personnes mortes, sauf s'il s'agit de monuments pour des amis ou des personnages dont on doit se souvenir. En effet, une telle utilisation d'une image ne consiste pas à rendre un culte à l'image, mais à honorer civilement la personne, non celle qui est, mais celle qui fut. Mais quand cela est fait pour l'image d'un saint, sans autre raison que parce que nous pensons qu'il entend nos prières, et que l'honneur qu'on lui rend lui fait plaisir, alors qu'il est mort et sans aucune sensation, nous lui attribuons plus qu'un pouvoir humain, et donc il s'agit d'idolâtrie."

 

Thomas Hobbes, Léviathan, 1651, chapitre 45, tr. fr. Gérard Mairet, Folio essais, 2000, p. 899-901.


 

  "YHWH se dit un jour : « Faisons l'homme à notre image » (se lem en hébreu, du salmu akkadien, qui veut dire statue, effigie). Mais cela fait, il dit à l'Homme : « Tu ne feras pas d'idoles » (Exode 20,4). Et à Moïse, il ajoute : « Tu ne saurais contempler ma face, car il n'est mortel qui me puisse contempler et demeurer en vie »  (Exode 33, 20). Le vrai Dieu de l'Écriture s'écrit en consonnes, l'imprononçable tétragramme ne se regarde pas. « Que son Nom soit béni » – et non ses images. Quand Yahvé apparaît à son peuple, c'est derrière des nuées et des fumées. Ou en songe, dans des visions nocturnes, à Abraham, Isaac ou Balaam. Il fuit la lumière et la vue des hommes. La théologie biblique n'est pas une théophanie, « l'ère des idoles » contourne le judaïsme, admirable isolat. Le Dieu juif se médiatise par la parole et les visions oniriques de l'Ancien Testament valent par la bande-son, alors qu'elles sont plutôt muettes dans le Nouveau, où l'image sans parole a du sens en elle-même. Il n'y a vision pour un monothéiste orthodoxe que des choses passagères et corruptibles, et donc d'idoles que de faux dieux. Ces derniers se reconnaissent à ceci qu'on peut les voir et les toucher – comme des morceaux de bois. Comble du ridicule : la statue sacrée. Qu'est-ce qu'un Dieu qui se casse en morceaux, qu'on peut jeter à terre ? Quel être infini peut se laisser circonscrire dans un volume ? Le Temple est vide, comme l'Arche. Les faux prophètes le remplissent de babioles, les vrais annoncent sans montrer. Seule la parole peut dire la vérité, la vision est puissance de faux. L'œil grec est gai, l'œil juif n'est pas un organe faste, il porte malheur et n'augure rien de bon (l'œil était dans la tombe et regardait Caïn). Un aveugle dans le désert monothéiste peut être roi, mais un roi grec qui perd la vue perd sa couronne. L'œil est l'organe biblique de la tromperie et de la fausse certitude, par la faute duquel on adore a créature au lieu du Créateur, on méconnaît l'altérité radicale de Dieu, ramené au statut commun du corruptible – oiseau, homme, quadrupède ou reptile. Le mécréant s'annexe le monde par l'œil, mais par l'œil l'homme de Dieu est possédé. Les visions ne font-elles pas partie des fléaux envoyés aux Égyptiens par le Protecteur du peuple élu ?
  « Ils sont confus tous ceux qui servent les images » (Psaumes 97, 7). « Maudit soit l'homme qui fait une image taillée » (Deutéronome 27, 15). « Vous brûlerez au feu les mages taillées » (Deutéronome 7,25). Tant d'insistance dans l'imprécation fait sentir l'omniprésence du danger. Il y a là comme une rage d'autopunition. Ce qui ne se pratique pas n'a pas besoin d'être interdit. Nous savons qu'il y avait des statues de taureaux et de lions dans le Temple de Salomon (on en voit la façade sur certaines monnaies de la deuxième guerre juive). Hors des motifs géométrique et ornementaux autorisés, on a retrouvé une iconographie judaïque, d'influence grecque et orientale, aux premiers siècles de notre ère, enfreignant l'interdit. Une Bible hébraïque en images, Ether et Mardochée en B.D. ? Suggestion sacrilège, mais dont les fresques quasiment illusionnistes de la synagogue de Doura­Europos, sur l'Euphrate, offrent témoignage (celui-ci date du IIIe siècle, mais on connaît des Bibles manuscrites à miniatures du XIIIe), Preuve que lire et écouter la Torah sans voir de figure n'était pas un exploit aisé. D'ailleurs, les rouleaux sont logés physiquement dans le mur, au centre de la synagogue, comme gage de présence.
  La Bible accouple clairement, néanmoins, la vue au péché. « La femme vit que l'arbre était bon à manger, agréable à la vue ... » (Genèse 3). Ève en a cru ses yeux, le serpent l'a fascinée, et elle a succombé à la tentation. Attention, piège ! Vagina dentata. Péché d'image, péché de chair : on échappe à l'Ordre par les yeux, soyez tout ouïe pour bien obéir. L'optique est pécheresse : séduction et convoitise, malédiction des abêtis. Ne vous prosternez pas devant l'impulsive, la turbulente, la trop fiévreuse. Babylone la putain regorge de provocations audiovisuelles contre la Vérité froide de l'Ecriture. La magicienne envoûte en engluant, aspire comme une ventouse, empâte empoisse le signe viril et abstrait dans une doucereuse déclivité. L'Image est Mal et Matière, comme Ève. Folle du logis et Vierge Folle. Maîtresse d'erreur et de fausseté. Diablesse à exorciser. Chant de sirène. « L'idée de faire des idoles a été à l'origine de la fornication », disait-on dans les milieux juifs hellénisés du Ier siècle.
  Le tandem apparence/concupiscence aura la vie dure, même en plein christianisme. Tertullien, Carthaginois qui voyait dans l'idolâtrie « le plus grand crime du genre humain », le grand pourfendeur chrétien des images, fustigera avec insistance la coquetterie féminine. Fard, chevelure, rouge à lèvres, parfum, robe – tout est par lui contrôlé. Jusqu'à la longueur du voile que doit porter la jeune chrétienne dans les réunions liturgiques. Autre iconomaque militant, Calvin lui fera écho dans l'Institution chrétienne : « Jamais l'homme ne se meut à adorer les images qu'il n'ait conçu quelque fantaisie charnelle et perverse. »
  Non pas que Materia vienne de Mater – étymologie fantaisiste – mais il y a bien féminitude dans l'image matérielle. Les Madones catholiques superposent les deux mystères. « L'icône, comme la Mère sert de médiateur visible entre le divin et l'humain, entre le Verbe et sa chair, entre le regard de Dieu et la vision des hommes. " La persécution puritaine des images, derrière le refus de les adorer, ne va jamais sans une répression sexuelle plus ou moins avouée, ni la relégation sociale des femmes. Le mot détache, l'image attache. À un foyer, un lieu, une habitude. Et le nomade monothéiste qui s'arrête dans sa course abîme sa pureté, se laisse rattraper par l'idole, image fixe et lourde, régression à la Mère sédentaire. Les monothéismes du Livre sont des religions de pères et de frères, qui voilent filles et sœurs pour mieux résister à la capture par l'impure image. Il serait audacieux de voir dans l'interdit juif « une forme radicale de l'interdiction de l'inceste » et dans le courroux de Moïse contre les idolâtres « la menace de castration qui accompagne l'amour interdit de la mère ». Mais non de déceler là derrière la persistante hantise d'une rechute virile dans le giron, le gynécée, le matriarcat de l'imaginaire.

  Mirages de l'image, miroirs d'Éros. On comprend alors de quels affects l'idole était chargée par les religions du Livre. Comme ce va-et-vient de fascination et de répulsion, cette alternance d'encens et de bûchers, tout au long des démêlés chrétiens avec la scandaleuse. L'amour-haine de la femme (sorcière et servante, crédule et croyante, diabolique et divine) se reporte sur l'idole. Et qui veut la briser veut brimer ses pulsions. Abattre l'animal en lui, le démon. L'iconoclaste est en règle générale un ascète investi d'une mission purificatrice, soit tout le contraire d'un homme de paix. La violence habite la théologie de l'image, et les disputeurs sortent vite l'épée. D'où vient le côté « règlements de comptes » et « crime passionnel » des flambées iconoclastes. À travers son ennemie intime, le fanatique se fustige et expie. C'est un maigre. Il sent le fagot, mais en lui-même. C'est à sa propre chair qu'il en veut. Les Savonarole et tous les sadomasochistes de la vieille proscription judéo-chrétienne scandent à coups de hache : « Ma libido ne passera pas. »
  La Voix, la Vue. Le Sens et les sens. Le langage est du père comme la Loi : digital, consonantique, distancié. Le Dieu abstrait d'Israël, décanté des apparences, pure Parole. Et la Synagogue aux portails gothiques sera une femme aux yeux bandés. L'image, plus barbare, nous vient de la Déesse Mère : analogique, vocalique, tactile. Le chrétien va au Fils de l'Homme par la Mère, au Sens par la Vue. Au Logos par l'Icône, si l'on préfère. Yahvé, lui, se cache tout entier derrière le Livre, chambre noire d symbolique. Jésus et la Vierge Marie luisent en arrière-plan dans l'étable, caressés par une bougie, livrés en clair-obscur aux regards des voisins, et les rois mages se penchent sur le divin enfant, Verbe déjà exposé à tous les sortilèges de l'imagerie."

 

Régis Debray, Vie et mort de l'image, 1992, Folio Essais, p. 102-107.
 

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Date de création : 25/04/2024 @ 08:43
Dernière modification : 11/03/2025 @ 08:18
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