"Il est évident que, dans la matière, c'est la nécessité qui domine. Dans le monde matériel tout arrive fatalement. Le monde matériel, comme la science nous le présente, est une immense machine, une sorte d'horloge, dont les pièces s'ajustent parfaitement les unes aux autres ; tout en elle est mécanisme. Et lorsque, avec les habitudes scientifiques, nous considérons l'homme, nous sommes forcément poussés à le voir comme un mécanisme au milieu d'autres mécanismes, comme un être qui fonctionne automatiquement. Toute liberté semble impossible. Bien sûr, le sens commun proteste et a toujours protesté contre cette idée que l'homme serait une sorte d'automate. Il nous semble évident que la volonté jouisse du pouvoir de choisir. En ce moment, je suis libre, apparemment, de me tourner vers la droite ou vers la gauche. Vers la droite ? Ou vers la gauche ? Je me décide pour la droite. Voilà, selon les apparences, quelque chose d'incalculable, quelque chose de totalement imprévisible ; et l'on aura beau dire et répéter que la science, si elle disposait de données suffisantes, pourrait calculer d'avance tout ce qui arrive dans ce monde, cet acte semble écarter absolument le calcul et la prévision ; comme il serait également impossible de calculer une éclipse de Soleil si la Lune, au moment de se glisser entre le Soleil et la Terre, pouvait se dire : « Que vais-je faire ? Et si je faisais une farce à l'astronome qui est là, à me guetter ? » La liberté, si elle existe, est précisément cela : la faculté de tromper la science."
Henri Bergson, Conférence de Madrid sur l'âme humaine, 1916.
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