"Le plus important de tous les monopoles, le monopole des armements, est entre les mains de l'État, et lui appartient essentiellement […]
Il en est de même de l'évolution des techniques modernes de transport et de communication à travers les chemins de fer, les voitures et les avions, et l'organisation de la poste, du télégraphe, du téléphone, de la radio, qui constituent eux aussi dans une grande mesure un monopole de l'État. Mais à côté du contrôle des armements, des transports et des communications, il y a d'autres techniques encore plus importantes pour le pouvoir de l'État, à savoir les techniques qui permettent de former l'opinion publique et la volonté générale de la nation. […] À cet égard, la presse d'imprimerie était le moyen spécifique de l'ère libérale. […] Aujourd'hui, la radio et le film sont des moyens au moins aussi importants et efficaces, sinon plus importants et efficaces, pour former l'opinion publique […] La radio et le cinéma […] conduisent l'État à exercer un monopole ou une censure, ce qui amène nécessairement un renforcement du pouvoir politique."
Carl Schmitt, Die Machtpositionen des modernen Staates, 1933, Verfassungsrechtliche Aufsätze aus den Jahren 1924-1954, Berlin, 1958, p. 367-369.
"La société que nous appelons société moderne est caractérisée, surtout en Europe occidentale, par un niveau bien déterminé de la monopolisation. La libre disposition des moyens militaires est retirée au particulier et réservée au pouvoir central, quelle que soit la forme qu'elle revête ; la levée des impôts sur les revenus et les avoirs est également du domaine exclusif du pouvoir central. Les moyens financiers qui se déversent ainsi dans les caisses de ce pouvoir central permettent de maintenir le monopole militaire et policier qui, de son côté, est le garant du monopole fiscal. Les deux monopoles se tiennent la balance, l'un étant inconcevable sans l'autre. À la vérité, il s'agit tout simplement de deux aspects différents de la même position monopoliste. Si l'un disparaît l'autre disparaît du même coup, même s'il est vrai que le monopole du pouvoir peut être menacé parfois d'un côté plus que de l'autre.
Certaines préfigurations de la monopolisation des ressources financières et militaires d'un territoire relativement étendu s'observent déjà dans quelques sociétés où la division des fonctions est peu développée, notamment à la suite des grandes guerres de conquête. Mais ce qui est caractéristique des seules sociétés fondées sur une division très poussée des fonctions, c'est l'existence d'un appareil administratif permanent et spécialisé chargé de la gestion de ces monopoles. C'est précisément la mise en place d'un appareil de domination différencié qui garantit la pleine efficacité du monopole militaire et financier, qui en fait une institution durable. Dorénavant, les luttes sociales n'ont plus pour objectif l'abolition du monopole de la domination, mais l'accès à la disposition de l'appareil administratif du monopole et la répartition de ses charges et profits. C'est à la suite de la formation progressive de ce monopole permanent du pouvoir central et d'un appareil de domination spécialisé que les unités de domination prennent le caractère d'États.
Dans les États on assiste à la cristallisation de ces deux monopoles, auxquels viennent s'en ajouter d'autres : mais les deux monopoles mentionnés ci-dessus sont des monopoles clefs. S'ils dépérissent, tous les autres monopoles dépérissent, et l' « État » se délabre."
Norbert Elias, La Dynamique de l'Occident, 1939, chapitre I, tr. Fr. Pierre Kamnitzer, Presses Pocket, 2003, p. 25-26.
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